Emmanuelle, présidente de l’association « Psy’hope » : « Les troubles bipolaires restent stigmatisés »
Emmanuelle Douriez, 57 ans, a longtemps été confrontée à des problèmes psychiques. Le diagnostic est posé en 2002 : elle souffre de troubles bipolaires. Aujourd’hui rétablie, elle accompagne, à la tête de l’association « Psy’hope », les personnes vivant avec ces troubles. Cette médiatrice souhaite intensifier la promotion de la santé mentale, grande cause nationale de 2025.
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La Croix L’Hebdo : Comment ça va ?
Emmanuelle Douriez : Ça va très bien. Même si je suis un peu triste parce qu’une collègue avec qui j’ai sympathisé vient de partir à la retraite. Je travaille depuis 2020 à l’hôpital psychiatrique Charles-Perrens, à Bordeaux, en tant que médiatrice de santé-pair.
En quoi cela consiste-t-il ?
E. D. : Un médiateur de santé-pair est une personne rétablie d’un trouble psychique qui s’appuie sur sa propre expérience pour accompagner les patients en psychiatrie. C’est une nouvelle profession, qui complète l’approche traditionnelle de soins. Actuellement, nous sommes trois salariées à ce poste à Charles-Perrens, mais j’ai été la première médiatrice professionnelle de l’hôpital. C’est ici que j’ai été diagnostiquée en 2002 d’un trouble bipolaire, après une longue errance médicale. Cela fait plus de neuf ans que je n’ai plus d’épisodes dépressifs et maniaques.
Comme pair-aidante, je participe à l’élaboration des programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP), qui permettent aux personnes vivant avec des troubles psychiques d’apprendre des compétences d’auto-soin. Je propose aussi aux patients des entretiens individuels. Nous faisons le point sur les freins et les leviers à leur rétablissement. Par exemple, si quelqu’un a des relations difficiles avec les autres, je vais lui expliquer comment je fais face à ce problème.
Cela me permet de me sentir utile, comme avec mon association bordelaise « Psy’hope », que j’ai créée en 2017 et qui organise des groupes de parole entre personnes touchées par un trouble bipolaire.
L’ancien premier ministre Michel Barnier a fait de la santé mentale la « grande cause » de l’année 2025. Qu’attendez-vous du nouveau gouvernement à ce sujet ?
E. D. : D’abord, il faudrait accroître l’accès au diagnostic. En plus de mon trouble bipolaire, on m’a diagnostiqué ces dernières années un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ainsi qu’un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Le trouble bipolaire est souvent associé à d’autres troubles, qui peuvent parfois prendre du temps à être identifiés, comme cela a été le cas pour moi. Or, on a besoin de savoir contre quoi on lutte pour ne pas boxer dans le noir.
Il faudrait aussi faciliter l’accès aux psychothérapies et créer des formations pour accompagner la reconversion professionnelle. Me concernant, je n’ai pas pu continuer à être avocate et ma reconversion a été difficile. C’est la double peine : on souffre de notre trouble psychique et de l’exclusion professionnelle et sociale.
Les troubles psychiques, notamment bipolaires, restent stigmatisés. Moi, j’ai très peur qu’on ne me fasse plus confiance. Souvent, je préfère dire que je prends un traitement contre les troubles de l’humeur plutôt que contre les troubles bipolaires, cela passe mieux. Mes voisins savent où je travaille, mais ne savent pas quel métier je fais.
Y a-t-il un lieu où vous vous sentez particulièrement bien ?
E. D. : J’aime bien être au milieu des arbres pour admirer la beauté de la nature. Je suis contente d’habiter en ville, car tout est à portée de main, mais je n’oublie pas que je viens de la campagne. J’ai souvent besoin d’y retourner car c’est plus calme. Je suis particulièrement engagée pour la protection des animaux. Je suis végétarienne et j’écris des billets d’humeur à ce sujet sur des blogs.
Quel est le dernier événement dans l’actualité qui vous a touchée ?
E. D. : Tout ce qui concerne les migrations. Je me demande souvent comment agir. Avec le Secours catholique, j’ai aidé une famille kosovare qui dormait dehors à trouver un logement. Ils ont obtenu leur titre de séjour le jour de mon anniversaire. J’ai dû arrêter cette activité associative, car je la prenais trop à cœur, mais je suis heureuse, car chaque 14 novembre, cette famille me souhaite un bon anniversaire.
Votre vitamine, c’est quoi ?
E. D. : La connaissance. Mes philosophes préférés sont les stoïciens, car ils acceptent la vie telle qu’elle est, avec ses hauts et ses bas. Je lis aussi des psychiatres, comme l’autrichien Viktor Frankl(1905-1997, NDLR), qui a survécu aux camps de concentration nazis et n’a jamais perdu espoir. Il a écrit Découvrir un sens à sa vie (1) et a inventé la logothérapie, qui aide les gens à trouver un sens à leur existence. Je l’ai trouvé en aidant les autres.
(1) J’ai lu, 2013, 224 p., 7,20 €
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