Les mots et les images. C’est désormais une constante dans les procès pour terrorisme. D’abord, il y a les mots, ceux des victimes et ceux des accusés. Et puis, quand elles existent, il y a aussi les images. Et ce vendredi 17 janvier, elles sont là, sur les écrans de la cour d’assises spéciale, les images de l’attentat du 25 septembre 2020 à Paris. Glaçantes, insoutenables. « Vous vouliez vraiment tuer ce jour-là », lance la présidente, Caroline Jadis-Pomeau à l’accusé. « Oui, on peut dire cela », répond en pleurant l’homme debout dans le box.

Ces images sont issues d’une vidéosurveillance. Elles montrent d’abord un homme et une femme en train de discuter en fumant une cigarette, dans le porche d’entrée d’un immeuble. À l’écran, on distingue furtivement les chaussures rouges d’une personne qui passe devant l’immeuble. Puis, au bout de quelques secondes, on voit surgir un individu, portant ces baskets rouges, un grand hachoir à la main. Il se rue vers l’homme, lui porte des coups au niveau de la tête, avant de frapper la femme. L’attaque est brutale, d’une violence inouïe. La femme sort du porche, tombe au sol. L’assaillant la frappe à nouveau au visage avant de retourner agresser l’homme qui se protège comme il peut. Puis le terroriste sort du champ de la caméra. À l’écran, il reste les deux victimes. Et le sol de l’entrée maculé de sang.

« Ce que je voulais, c’était mettre le feu aux bureaux de Charlie Hebdo »

Aujourd’hui, plus de quatre ans après, dans cette salle d’audience, il y a les trois protagonistes de cette terrible vidéo. Assis au premier rang, Paul et Hélène (1), 37 et 32 ans, écoutent en silence l’accusé. Lundi, les mots de souffrance des deux victimes directes de l’attentat, toujours profondément marquées, avaient tétanisé le prétoire. Ce vendredi, c’est à Zaheer Mahmood de raconter ce 25 septembre 2020.

Le contexte était alors un peu particulier. Charlie Hebdo venait de republier des caricatures du prophète Mohammed. Une initiative insupportable pour Zaheer Mahmood qui, ce 25 septembre, voulait s’en prendre au journal satirique. Alors, il s’est rendu au 6-10 rue Nicolas Appert, à Paris. À l’adresse où, en janvier 2015, les frères Kouachi avaient attaqué Charlie, tuant 12 personnes au total. Mais Zaheer Mahmood ignorait que l’hebdomadaire, depuis, avait déménagé. Et c’est en pensant punir des journalistes de Charlie que, ce matin-là, il a grièvement blessé Paul et Hélène, deux employés d’une agence de presse qui faisaient une pause cigarette.

En allant rue Nicolas Appert, Zaheer Mahmood transportait trois bouteilles de white-spirit, des morceaux de tissus, un hachoir de boucher et un marteau. « Quand je suis arrivé sur place, dans ma tête, je ne pensais pas que j’allais attaquer quelqu’un. Ce que je voulais, c’était mettre le feu aux bureaux de Charlie Hebdo », assure Zaheer Mahmood. « Puis, quand je me suis approché, j’ai entendu quelqu’un qui rigolait, qui se moquait de moi. Alors, j’ai posé mon sac et j’ai sorti ma feuille de boucher… », ajoute l’accusé, qui s’exprime par le biais d’une interprète.

Une vidéo accablante

Ces déclarations laissent dubitative la présidente, guère convaincue par l’idée que, ce jour-là, l’assaillant voulait juste incendier les locaux de Charlie Hebdo. La magistrate observe que, dans les jours précédents, Zaheer Mahmood avait tenté de se procurer un pistolet, en vain. Et que le matin de l’attaque, il a certes acheté du white-spirit mais aussi cette feuille de boucher « bien aiguisée ».« Ce sont là des armes pour tuer, non ? », cingle-t-elle face à un accusé souvent bien en peine de s’expliquer.

Surtout, la vidéo est accablante. Elle montre même, selon la présidente, que Zaheer Mahmood, a cherché à décapiter ses deux victimes. « Je ne savais plus ce que je faisais ce matin-là », répond l’accusé qui, à l’époque des faits, ne cessait de regarder des prêches de Khadim Hussain Rizvi, un homme politique et religieux pakistanais qui prônait la peine de mort par décapitation pour les blasphémateurs. « J’ai honte de ce que j’ai fait ce jour-là », répète l’accusé qui tient désormais un discours très différent de celui qu’il tenait après les faits, en garde à vue.

Alors persuadé d’avoir frappé deux membres de Charlie Hebdo, il s’était félicité de son passage à l’acte, affirmant « avoir bien agi » car « on ne peut pas se moquer des religions ». Mais à l’époque, il était, selon lui, imprégné par le discours ambiant au Pakistan où il a vécu jusqu’à l’âge de 25 ans. « La loi au Pakistan prévoit que si quelqu’un manque de respect au prophète, il doit être puni de mort. À l’époque, je pensais que c’était bien, qu’il fallait respecter les religions », explique Zaheer Mahmood, en ajoutant qu’il était alors persuadé qu’un verset du Coran prônait la mort pour les blasphémateurs. Ce n’est qu’en détention, affirme-t-il, qu’il a découvert que ce n’était pas le cas.

Volte-face sincère ou discours de circonstance ?

En quatre ans, le terroriste au hachoir s’est transformé en un accusé qui pleure, s’excuse, demande pardon. « Ce que j’ai fait, c’est un acte de terrorisme (…) J’ai détruit ma vie, la vie des victimes et la vie de leurs familles », affirme Zaheer Mahmood qui reconnaît même qu’on a le droit de faire des caricatures du prophète « au nom de la liberté d’expression ».

Volte-face sincère d’un homme qui aurait évolué en détention ou discours de circonstance face à une cour d’assises devant laquelle il encourt la perpétuité ? « Je sais que je serai condamné à beaucoup. C’est normal d’être condamné pour cela », dit l’accusé.

(1) Leurs prénoms ont été modifiés