Cagliostro Letter To French People or Lettre Au Peuple Francais
Cagliostro Letter To French People or Lettre Au Peuple Francais
Cagliostro Letter To French People or Lettre Au Peuple Francais
Je vous écris de Londres, mon cher ***. Ma santé est bonne, celle de ma femme aussi.
Vous aurez su les détails de ma route. Que de scènes touchantes ! Il semblait que mes
amis m’eussent devancé partout. Boulogne a mis le comble. Tout ce bon peuple sur le
rivage ! Les bras tendus vers mon paquebot, m’appelant, s’écriant, me comblant de
bénédictions, me demandant la mienne ! …
Quel souvenir ! Souvenir cher et cruel ! On m’a donc chassé de France ! On a trompé le
roi ! Les rois sont bien à plaindre d’avoir de tels ministres. J’entends parler du Baron de
Breteuil, mon persécuteur. Qu’ai-je fait a cet homme ? De quoi m’accuse-t-il ? D’etre
aimé du cardinal ? De l’aimer à mon tour ? De ne l’avoir pas abandonné ? D’avoir de
bons amis partout où j’ai passé ? De chercher la vérité, de la dire, de la défendre, quant
Dieu m’en donne l’ordre en m’en donnant l’occasion ? De secourir, de soulager, de
consoler l’humanité souffrante, par mes aumônes, par mes remèdes, par mes conseils ?
Voila pourtant tous mes crimes ! M’en fait-il un de ma requête d’atténuation ? Cela m’est
revenu. Singulière défaite ! Mais avais-je présenté cette requête, lorsque voyant mon
buste chez le cardinal, il dit avec colère, entre ses dents : on voit partout cette figure ; il
faut que cela finisse ; cela finira ?Mon courage l’a, dit-on, irrité : il ne peut digérer, qu’en
homme dans les fers, qu’un étranger sous les verrouils de la Bastille, sous sa puissance, à
lui, digne ministre de cette horrible prison, ait élevé la voix, comme je l’ai fait, pour le
faire connaître, lui, ses principes, ses agents, ses créatures, aux tribunaux Français, à la
nation, au roi, a toute l’Europe. J’avoue que ma conduite a dû l’étonner ; mais enfin, j’ai
pris le ton qui m’appartenait. Je suis bien persuadé que cet homme, à la Bastille, ne
prendrait pas le même.
Au reste, mon ami, tirez moi d’un doute. Le roi m’a chassé de son royaume, mais il ne
m’a pas entendu. Est-ce ainsi que s’expédient en France toutes les lettres de cachet ? Si
cela est, je plains vos concitoyens, surtout aussi longtemps que le baron Breteuil aura ce
dangereux département. Quoi, mon ami ! Vos personnes, vos biens, sont à la merci de cet
homme tout seul ? Il peut impunément tromper le roi ? Il peut sur des exposés
calomnieux, et jamais contredits, surprendre, expédier et faire exécuter, par des hommes
qui lui ressemblent ou se donner l’affreux plaisir d’exécuter lui-même des ordres
rigoureux qui plongent l’innocent dans un cachot et livrent sa maison au pillage ? J’ose
dire que cet abus déplorable mérite toute l’attention du roi. Me trompai-je ?
Et le sens commun des français, que j’aime tant, est-il autre que celui de tous les hommes
? Oublions ma propre cause, parlons en général, Quand le roi signe une lettre d’exil ou
d’emprisonnement, il a juge le malheureux sur qui va tomber sa rigueur toute-puissante.
Mais sur quoi a-t-il jugé ? Sur le rapport de son ministre ; et ce ministre sur quoi s’est-il
fondé ? Sur des plaintes inconnues, sur des informations ténébreuses, qui ne sont jamais
communiquées ; quelquefois même sur de simples rumeurs, sur des bruis calomnieux,
semés par la haine et recueillies par l’envie. La victime est frappée sans savoir d’où le
coup part ; heureuse si le ministre qui l’immole n’est pas son ennemi ! Je le demande,
sont-ce la les caractères d’un jugement ? Et, si vos lettres de cachet ne sont pas au moins
des jugements privés, que sont-elles donc ? Je crois que ces réflexions, présentées au roi,
le toucheraient. Que serait-ce s’il entrait dans le détail des maux que sa rigueur
occasionne ?
Toutes les prisons d’état ressemblent-elles à la Bastille ? Vous n’avez pas d’idée des
horreurs de celle-ci : la cinique impudence, l’odieux mensonge, la fausse pitié, l’ironie
amère, la cruauté sans frein, l’injustice et la mort y tiennent leur empire ; une silence
barbare est le moindre des crimes qui s’y commettent. J’étais depuis six mois à quinze
pieds de ma femme, et je l’ignorais : d’autres sont ensevelis depuis trente ans, réputés
morts, malheureux de ne pas l’être, n’ayant, comme les damnes de Milton, de jour dans
leur abyme, que ce qu’il leur en fait pour apercevoir l’impénétrable épaisseur des
ténèbres qui les enveloppent ; ils seraient seuls dans l’univers, si l’Eternel n’existait pas,
ce Dieu bon et vraiment tout-puissant, qui leur fera justice un jour au défaut des hommes.
Oui, mon ami, je l’ai dit captif, et libre je le répète, il n’est point de crime qui ne soit
expie par six mois de Bastille. On prétend qu’il ‘y manque ni de questionnaires ni de
bourreaux ; je n’ai pas de peine à le croire.
Oui, mon ami, je l’annonce, il régnera sur vous un prince qui mettra sa gloire à l’abolition
des lettres de cachet, à la convocation de vos états généreux et surtout au rétablissement
de la vraie religion. Il sentira, ce prince aimé du ciel, que l’abus du pouvoir est destructif,
à la longue, du pouvoir même ; il ne se contentera pas d’être le premier de ses ministres,
il voudra devenir le premier des Français. Heureux le roi qui portera cet édit mémorable !
Heureux le chancelier qui le signera ! Heureux le parlement qui le vérifiera ! Que dis-je,
mon ami, les temps sont peut-être arrivés : il est certain, du moins, que votre souverain
est propre a ce grand œuvre, je sais qu’il y travaillerait, s’il n’écoutait que son cœur : sa
rigueur, à mon égard, ne m’aveugle pas sur ses vertus.
Adieu, mon ami : que dit-on du mémoire ? La dernière lecture que Thilorier m’en a faite
à Saint-Denis, m’a causé bien du plaisir : a-t-il su les détails de Boulogne assez a temps
pour en faire un article ? Ce mémoire est-il public ? Il doit l’être. Bonsoir. Parlez de nous
à tous nos amis ; dites leurs qu’il nous seront présents partout : demandez à d’Eprémesnil
s’il m’a donc oublié ; je n’ai point de ses nouvelles. Adieu, adieu, mon bon ami, mes bons
et vrais amis ; c’est à vous que je m’adresse, pensez à nous ; que cette lettre vous soit
commune ; nous vous aimons tous de tout notre cœur.
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