Législatives en Irak : « C’est l’une des plus importantes élections depuis longtemps »
ENTRETIEN La campagne électorale pour les élections législatives du 12 mai prochain – les premières depuis 2014 –, commence mardi 12 avril. Après Daech, la crise kurde et une quasi-guerre civile, le pays semble s’acheminer vers plus de stabilité. Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS (1), décrypte les enjeux de ce scrutin à venir.
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La Croix : Quels sont les enjeux de ces élections, les premières depuis l’arrivée au poste de premier ministre d’Haïder al-Abadi ?
Karim Pakzad : C’est l’une des plus importantes élections qui ont eu lieu en Irak depuis longtemps, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce sont des élections de stabilisation, après que l’Irak a traversé toutes ces épreuves, Daech, une quasi-guerre civile. Désormais, nous sommes dans une période assez favorable pour que l’Irak progresse enfin vers la stabilité. La liste d’Haïder al-Abadi, « la Victoire », sera sûrement victorieuse.
L’actuel premier ministre était pourtant un quasi-inconnu jusqu’à fin 2014, à l’époque où il fallait absolument remplacer Nouri Al Maliki. On est allé chercher quelqu’un qui était peu impliqué dans les conflits confessionnels mais qui avait de l’expérience, sans trop savoir ce que ça allait donner. Il a montré dès les premiers mois sa capacité à repérer ce qui était important pour l’Irak, c’est-à-dire organiser la reconquête des territoires pris par Daech.
Il y avait deux conditions à cela. En premier lieu, reformer une armée digne de ce nom, et il a consacré beaucoup de moyens pour la refaire. Il fallait aussi essayer de modérer les relations avec les pays arabes sunnites, et mobiliser l’Occident, qui avait des intérêts convergents du point de vue de la lutte contre Daech. Même s’il reste des éléments de Daech par-ci par-là, la reconquête a été une réussite.
Haïder al-Abadi a aussi très bien géré la question d’Hachd al Chaabi, la coalition de milices majoritairement chiites (mais comprenant également des composantes sunnites, chrétiennes, yézidies et shabaks), un sujet très délicat pour les autres pays arabes sunnites. Il les a intégrées comme forces de sécurité dans l’armée irakienne.
Quelles sont les forces en présence dans ces élections ?
K. P. : Le parti chiite Al-Dawa est divisé. L’ancien premier ministre Nouri Al Maliki mène une liste, mais a laissé la liberté aux membres du parti de voter pour qui ils veulent. En effet, Haider al-Abadi, qui en est issu de cette formation, présentera sa propre liste, nommée « La Victoire » : une coalition multiconfessionnelle soutenue par des groupes chiites pro-iraniens. Il a le soutien des grands ayatollahs chiites du Sud, ce qui est très important pour les membres de cette communauté.
Le troisième concurrent est Moqtada Al-Sadr. Il était à la tête de l’Armée du Madhi, une importante milice chiite lors de l’occupation américaine. Son rôle a été important dans les mouvements sociaux de ces dernières années, notamment lors des manifestations contre la corruption. Il a viré d’une idéologie radicale vers une position plus modérée, en s’alliant avec le parti communiste irakien.
À un mois des élections, on est dans une situation où Haider al-Abadi part favori. Il y a seulement des interrogations sur les résultats de la liste d’Al-Sadr, qui a actuellement 33 députés dans le parlement sortant. Mais je ne pense pas que l’autorité du premier ministre sera remise en cause par cette alliance.
Certes, parmi les centaines de milliers de déplacés, beaucoup ne seront peut-être pas en mesure de voter. Mais les élections en Irak ne peuvent pas être jugées d’après des critères occidentaux. On ne parle pas d’un pays européen, où les institutions sont ronronnantes, mais d’un pays en guerre. Pour l’instant, la situation s’est beaucoup améliorée depuis la conquête de Mossoul par Daech.
Qu’en est-il du Kurdistan irakien à l’approche des élections ?
K. P. : Le premier ministre Haider al-Abadi a géré de manière remarquable la crise avec le Kurdistan irakien. Massoud Barzani, le président du gouvernement autonome du Kurdistan irakien et chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) se sentait très fort à ce moment-là, ce qui l’a amené à prendre la décision très contestée du référendum d’indépendance le 25 septembre 2017. Haider Al-Abadi a eu une réaction immédiate et lancé les troupes pour reprendre Kirkouk. Ce qui a abouti, au final, à la reprise de presque tous les avantages concédés aux Kurdes depuis 15 ans. Grâce à cela, il a renforcé son autorité auprès des Arabes sunnites, opposés aux Kurdes.
En même temps que les élections législatives irakiennes se joueront celles du Kurdistan irakien. Cette région a toujours son statut d’autonomie et va voter pour envoyer des députés dans deux parlements : le sien et celui d’Irak. La question se pose de savoir si, après les déboires du référendum, Massoud Barzani a les moyens de les gagner ou si les autres partis, dans leur grande majorité opposés au PDK de Barzani, ont les moyens de l’emporter.
(1) Institut de relations internationales et stratégiques
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