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« L’indépendance du juge administratif »

2022, Etudes juridiques, Faculté de Droit de Sfax, université de Sfax, Tunisie

L'INDEPENDANCE DU JUGE ADMINISTRATIF Lamia NEJI Maître de conférences à la Faculté de droit de Sfax Université de Sfax Qualification juridique, raisonnement juridique, interprétation juridique, tous ces procédés de la science du droit traduisent la flexibilité du droit et son caractère humain. Mais autant ces instruments sont empreints de subjectivité puisqu’ils tiennent compte du caractère flexible du droit1, autant ils donnent au juge, tout comme les autres praticiens du droit, une marge de liberté. Cette dernière ne cesse de s’étendre avec la complexification des rapports sociaux et l’évolution sociale et technique. En droit et en pratique, le juge crée la norme juridique même si sa fonction naturelle consiste à appliquer la règle de droit et non à la créer2. D’où l’exigence de l’indépendance du juge. En effet, l’indépendance est une garantie pour les citoyens sans laquelle ils ne peuvent avoir confiance dans le juge. Qu’est ce qu’on entend par indépendance ? L’indépendance est définie comme étant le fait de jouir d’une autonomie à l’égard de quelqu’un ou de quelque chose3. L’indépendance n’est pas une qualité objective4. Elle n’est pas non plus un privilège mais plutôt un devoir de conduite exigeante. Elle n’est pas définitivement acquise mais elle 1 2 3 4 J. CARBONNIER, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10ème édition, LGDJ, 2014. S. BELAID, Essai sur le rôle créateur et normatif du juge, Thèse de Doctorat, Droit, Paris, 1970. Dictionnaire Larousse. R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », Dir. J. ASPIRO SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE, L’indépendance de la justice, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 47. 211 L'indépendance du juge administratif doit être toujours prouvée. L’indépendance est souvent associée à la notion de neutralité et d’impartialité. Mais l’indépendance ne s’identifie pas à la neutralité du juge même si les deux notions se croisent. N’a-t-on pas affirmé, certes avec une volonté de provoquer, que le magistrat neutre est un fantasme5 ? L’indépendance n’est pas non plus l’impartialité. Alors que l’impartialité est une question interne et ne peut pas être observée ni vérifiée6, l’indépendance du juge se mesure principalement par rapport aux pressions venant de l’extérieur. Dès lors, exiger l’indépendance du juge est nécessaire en tant que présomption de son impartialité7. 5 6 7 « Qu’on le veuille ou non, il y a et il y aura toujours entre la loi et le cas particulier un interstice, que le magistrat a vocation à remplir, avec sa conscience, ses valeurs, ses opinions, ses émotions-ses « affects », dirait Spinoza. Le magistrat est humain ; cessons donc de vouloir le neutraliser au nom des apparences », M. BONDUELLE, « Juger est un acte politique », Le monde diplomatique, septembre 2014, p. 28, https://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/BONDUELLE/50780 « Démontrer l’impartialité du juge est une entreprise largement impossible. Sauf à pouvoir analyser le cerveau du juge lorsqu’il raisonne et à disposer des outils permettant de comprendre la signification des activations de zones, l’impartialité ne peut pas constituer un critère pertinent pour « afficher » la validité d’un raisonnement. Il ne suffit donc pas que le juge prête serment...pour être certain qu’il le respecte », R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », Dir. J. ASPIRO SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE, L’indépendance de la justice, Paris, L’Harmattan, 2011, pp. 50-51. V. également, J-L. BERGEL, Méthodologie juridique, Paris, PUF, 2001, p. 356. « L’indépendance est souvent considérée comme une condition de possibilité de l’impartialité », R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », Dir. J. ASPIRO SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE, L’indépendance de la justice, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 51, Selon Jean-Louis BERGEL « L’indépendance du juge qui paraît être la condition de l’impartialité… implique que le juge ne soit soumis ni à des pressions économiques, sociales ou idéologiques, ni au pouvoir des experts, ni aux instructions de sa hiérarchie sur le sens et le contenu de sa décision », J-L. BERGEL, Méthodologie juridique, op. cit, p. 356. Selon l’auteur, « l’impartialité exclut toute tendance militante, tout favoritisme de sa part, toute prétention purificatrice propre… le juge ne doit pas se prendre pour un justicier », J-L. BERGEL, Méthodologie juridique, op. cit, p. 356 ; Toutefois, dans un arrêt Piersack c. Belgique en date du 1er octobre 1982, la CEDH a admis : « si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris, elle peut, notamment sous l’angle de l’article 6 §1, s’apprécier de diverses manières. On peut distinguer sous ce rapport entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime. La cour a également souligné que, pour que les tribunaux inspirent au public la confiance 212 L'indépendance du juge administratif Mais, l’indépendance ne signifie pas que le juge est totalement affranchi dans la résolution des litiges8. D’abord, la compétence du juge est circonscrite par le droit et en tentant de s’en affranchir, le juge risque le discrédit et la violation de la loi. Ensuite, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, le juge est nécessairement soumis à des contraintes procédurales multiples comme la collégialité en dehors des contentieux confiés à un juge unique9, le devoir d’écouter les parties lors du déroulement du litige, la possibilité de requalification juridique… Ces contraintes sont légitimes et nécessaires tant qu’elles assurent l’impartialité du juge et le sépare de sa seule subjectivité10. Mais les contraintes cessent-elles de l’être si elles conduisent à la dépendance du juge comme l’affirme un auteur11 ? Le sujet de « l’indépendance du juge » est une occasion pour méditer le rôle et la place du juge dans l’ordonnancement juridique. Il est au cœur de la combinaison entre droit et éthique12. L’indépendance du juge est une garantie pour le justiciable. Il s’agit d’une exigence du 8 9 10 11 12 indispensable, il faut de surcroit tenir compte de considérations de caractère organique. Si un juge, après avoir occupé au parquet une charge de nature à l’amener à traiter un certain dossier dans le cadre de ses attributions, se trouve saisi de la même affaire comme magistrat du siège, les justiciables sont en droit de craindre qu’il n’offre pas assez de garanties d’impartialité », Indépendance de la justice, https://www.echr.coe.int/Documents/FS_Independence_justice_FRA.pdf V. R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article précité, p. 51. « La collégialité est un des grands moyens permettant de passer de juges dépendants à une justice indépendante. En multipliant les preneurs de décisions, des négociations vont avoir lieu et la solution qui sera produite par l’institution ne sera pas nécessairement celle voulue par l’un des membres de l’institution ou l’un des membres ayant un fort pouvoir sur certains membres de l’institution. Par ailleurs psychologiquement, les individus auront tendance à considérer qu’une décision prise par un ensemble d’individus sera moins partiale qu’une décision prise par un individu isolé (ne serait ce que parce que plus de solutions peuvent être envisagées … le jugement étant alors un processus de recherche de solutions) », R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article précité, p. 59 ; V. également sur la collégialité, D. CHABANOL, Le juge administratif, Paris, LGDJ, 1993, p.13 et s. V. R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article précité, p. 52. R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article précité, p. 54. Selon J-L BERGEL, indépendance, neutralité et impartialité, constituent l’éthique du juge, J-L BERGEL, Méthodologie juridique, op. cit, p. 355 ; « Le droit doit … suivre le chemin de la loyauté et de l’honnêteté », X. LABBES, cité par J. J. TAISNE, préface ouvrage les critères de la norme juridique, Xavier LABBES, Presses universitaires de Lille, 1994. 213 L'indépendance du juge administratif procès équitable comme l’avait précisé la Convention européenne des droits de l’homme13. N’a-t-on pas affirmé que « l’indépendance du juge est la sauvegarde même des plaideurs »14 ? Prévue expressément par l’article 102 alinéa 2 de la Constitution du 27 janvier 2014 et par l’article 103 d’une manière implicite15, l’indépendance du juge n’est pas l’indépendance de la justice. Alors que la première concerne le justiciable, la seconde touche principalement le corps des juges16. Dans son Esprit des lois, et en exposant sa théorie sur la liberté politique, Montesquieu s’intéressait à l’indépendance de la justice. Selon lui, il faut savoir bien placer la puissance de juger. Elle ne doit pas être dans les mains de celui qui a la puissance exécutrice17. Montesquieu ne voulait point la remettre à des magistrats permanents, mais à des jurés. Il affirmait : « la puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple (en note comme Athènes), dans certains temps de l’année, de manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert. De cette façon la puissance de juger, si terrible 13 14 15 16 17 L’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme prévoit : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle… ». A. Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Editions Panthéon Assas, 2001, p. 504. L’article 102 alinéa deuxième de la constitution prévoit que « le magistrat est indépendant. Il n’est soumis, dans l’exercice de ses fonctions, qu’à l’autorité de la loi ». L’article 103 dispose que « le magistrat doit être compétent. Il est tenu par l’obligation de neutralité et d’intégrité. Il répond de toute défaillance dans l’accomplissement de ses devoirs ». R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article précité, p. 61. « Le chef d’œuvre de la législation est de savoir bien placer la puissance de juger. Mais elle ne pouvait être plus mal que dans les mains de celui qui avait déjà la puissance exécutrice », Esprit des lois, livre XI, chapitre XI. Il ajoutait « Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle. Il n’en reste que deux », En interprétant la phrase de Montesquieu, Léon DUGUIT conclut que Montesquieu admettait « la subordination de la puissance judiciaire à la puissance exécutive », cette lecture a été critiquée par A. Esmein, selon l’auteur Montesquieu ne visait nullement la subordination de la puissance juridictionnelle à la puissance exécutive comme l’avait conclu Léon DUGUIT, V. A. ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, op. cit, p. 498 (en bas de page). 214 L'indépendance du juge administratif parmi les hommes, n’étant pas attachée ni à un certain état ni à une certaine profession, devient pour ainsi dire invisible et nulle, et l’on craint la magistrature et non point les magistrats »18. Ne craignant pas les magistrats car selon lui le juge se contente d’un calcul mécanique et sa marge de manœuvre est réduite à néant, Montesquieu ajoutait : « … si les tribunaux ne doivent pas être fixes, les jugements doivent être à un tel point, qu’ils ne soient jamais qu’un texte précis de la loi. S’ils étaient une opinion particulière du juge, on vivrait dans la société, sans savoir précisément les engagements que l’on y contracte »19. Dès lors, contrairement à l’indépendance de la justice qui se mesure par rapport au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif et qui interdit toute immixtion des deux pouvoirs dans la fonction juridictionnelle20, l’indépendance du juge, inutile selon Montesquieu mais rendue nécessaire par l’extension des pouvoirs du juge parallèlement à l’évolution de la société et du droit fondé sur les droits fondamentaux, est tributaire de la personnalité du juge, de la singularité de sa force d’âme, de ses valeurs pour qu’il ne se laisse pas influencer. Aujourd’hui l’indépendance du juge est mise en avant. C’est l’indépendance des juges qui conduit à l’indépendance de la 18 19 20 Aucoc, Rapport sur le concours relatif à la séparation des pouvoirs, dans les comptes rendus de l’académie des sciences morales et politiques, t. CXII, p. 213 et s, Cité par A. Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, op. cit, p. 498. Montesquieu, L’esprit des lois, Tome I, Cérès EDITIONS, 1994, p. 182. Dans la décision 80-119 DC, le conseil constitutionnel français a affirmé « il résulte des dispositions de l’article 64 C, en ce qui concerne l’autorité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui concerne la juridiction administrative, que l’indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leur fonction sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur, ni le gouvernement ». Dans sa décision du 22 juillet 1980, le conseil constitutionnel français rappelle « considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 64 de la constitution en ce qui concerne l’autorité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que l’indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le gouvernement qu’ainsi, il n’appartient ni au législateur ni au gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d’adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence ». 215 L'indépendance du juge administratif justice21. Dans ce sens, un auteur avait affirmé « Après l’impartialité de la loi, la meilleure garantie de la sûreté individuelle c’est l’existence d’une bonne justice, c’est-à-dire d’une justice où le juge statue uniquement selon les termes de la loi et les enseignements de sa conscience. Le fondement d’une bonne organisation de la justice, c’est l’indépendance des magistrats tant au regard des justiciables qu’à l’endroit du gouvernement »22. Qu’en est-il du juge administratif ? Contrairement au juge judiciaire, le juge administratif tunisien est formé principalement au sein de l’administration23. Il est son conseillé24. Il est parfois détaché dans des postes comportant des responsabilités gouvernementales et par la suite il est appelé à juger ses actes25. Ayant une fonction particulière celle de juger l’administration26, le juge administratif s’immisce dans la sphère du politique. Il joue par la force des choses un rôle politique27. Sortant du ventre de l’administration28, coincé durant des décennies dans la 21 22 23 24 25 26 27 28 R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », Dir. J. ASPIRO SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE, L’indépendance de la justice, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 60. Il convient de citer la démission du juge A. SOUEB du poste d’adjoint du premier président du tribunal administratif pour exprimer son refus de la décision du chef du gouvernement (arrêté du 27 mars 2015) concernant la prolongation d’activité du premier président du tribunal administratif d’une année et qui a mis à mal l’indépendance de la justice. A. SOUEB a qualifié cette décision de violation de la constitution au regard du troisième paragraphe du préambule de la constitution qui prévoit notamment le principe de la séparation des pouvoirs et leur équilibre ainsi que l’indépendance de la justice. G. BURDEAU, Les libertés publiques, Paris, LGDJ, 1972, p. 137 ; V. sur l’indépendance de la justice en Tunisie, J. AJROUD, « l’indépendance de la justice en Tunisie », RFDC, 2011/2, n°86, pp. 427-438. Pour les anciens élèves de l’Ecole Nationale d’Administration. Article 4 de la loi du 1er juin 1972. L’article 116 de la constitution du 27 janvier 2014 dispose : « la justice administrative est composée d’une Haute Cour administrative, de cours administratives d’appel, et de tribunaux administratifs de première instance. La justice administrative est compétente pour connaître de l’excès de pouvoir de l’administration et des litiges administratifs. Elle exerce une fonction consultative conformément à la loi ». D. LOSCHAK, Le rôle politique du juge administratif français, Thèse, Université de Paris, Faculté de droit et des sciences économiques, 1970, p. 11. D. LOSCHAK, Le rôle politique du juge administratif français, Thèse précitée, 1970, p. 12. Le conseil supérieur du TA était présidé par le premier ministre. De même le recrutement des membres du TA était sous son emprise, V. Loi n° 72-67 du 1er 216 L'indépendance du juge administratif capitale, le juge administratif tunisien a pu acquérir tout au long des 45 années précédentes une crédibilité en cherchant à « concilier les impératifs de l’ordre avec ceux de la liberté, la protection de l’intérêt collectif avec la sauvegarde des droits individuels »29. Affranchi et supposé être protégé par des dispositions constitutionnelles30, le juge administratif œuvrant dans le champ politique pour veiller au respect de la légalité arrivera-t-il à prouver son indépendance et à l’assumer vers plus de protection des droits et libertés dans un contexte politique de plus en plus tourmenté ? L’histoire du juge administratif, comme celle de tous les juges, a montré que l’indépendance du juge ne se construit pas uniquement par le droit. Le droit participe à la préparation du cadre qui permet l’épanouissement du juge (II) et lui donne les outils pour juger les affaires en se basant sur sa conscience (I). I- UNE INDEPENDANCE CONSCIENCIEUX FORGEE PAR UN JUGE Pour apprécier l’indépendance du juge, il convient de se référer à ses décisions qui sont des indices fiables de son sérieux, de sa compétence, de sa foi et de sa vertu31. A l’instar des autres juges, le juge administratif ne peut être soumis, dans sa fonction, qu’au droit. Ce droit qui forme un système hiérarchisé. Depuis l’affaire Pierre Falcon, le juge administratif a tracé une ligne de conduite celle de défendre les droits et les libertés publiques tout en assurant en même temps l’intégrité de l’Etat et la pérennité de ses services publics32. Le 29 30 31 32 août 1972 relative au fonctionnement du tribunal administratif et au statut de ses membres. D. LOSCHAK, Le rôle politique du juge administratif français, Thèse précitée, 1970, p. 158. V. B. KARRAY, « la justice administrative dans la constitution tunisienne », in. Mélanges en l’honneur du doyen Mohamed Salah BEN AÏSSA, Centre de publication universitaire, 2020, pp. 235-255 (en arabe). En étudiant la méthodologie juridictionnelle, un auteur avait affirmé qu’« on peut légitimement exiger des magistrats, non qu’ils soient infaillibles, mais qu’ils soient … de bons juristes, qu’ils étudient consciencieusement les dossiers, les écritures et les moyens des parties et qu’ils jugent sans parti pris, ni animosité », J-L. BERGEL, Méthodologie juridique, op. cit, p. 357. TA, aff. n° 325 en date du 14 avril 1981, Pierre FALCON c/ministre de l’agriculture 217 L'indépendance du juge administratif célèbre considérant de l’arrêt est devenu la constitution des juges administratifs33. Serviteur de l’Etat de droit, le Tribunal administratif a su adapter sa démarche en fonction du contexte et des différentes contraintes qui pèsent sur lui34. Il a suivi un itinéraire dialectique au service des droits et des libertés. L’habileté du juge administratif et sa perspicacité l’avaient conduit à adapter son raisonnement juridique afin de rendre la justice. En dépit des contraintes qui pèsent sur lui aussi bien dans un contexte monolithique (1), que dans un contexte révolutionnaire (2), le Tribunal administratif semble pouvoir assurer, non sans hésitations, sa mission de défenseur des droits et des libertés quoi que les décisions du premier président du Tribunal administratif semblent prendre un tournant négatif. 1- Dans un contexte monolithique Traité en parent pauvre par les constituants de 195935, privé par le législateur de la qualité de magistrat et de garanties statutaires nécessaires pour se protéger contre les immixtions du pouvoir36, le juge administratif avait une volonté inébranlable de prouver qu’il n’est jamais complaisant à l’administration bien qu’il ait été considéré par ‫"تخضع اإلدارة للرقابة القضائية ال سيما وان القضاء اإلداري هو حامي الحقوق والحريات‬ ."‫العامة والحريص في الوقت ذاته على سالمة الدولة واستمرار مرافقها العامة‬ 33 34 35 36 A. SOUAB, « Le juge et la défense des droits et des libertés dans la constitution de 2014 », info juridique, n° 204/205, juillet-septembre 2015, pp. 28-30, p. 30. Selon le professeur Néji BACCOUCHE : « le raisonnement juridique mené par le juge administratif face à des faits est loin d’être uniforme ou rectiligne. Souvent la démarche du juge de l’excès de pouvoir s’adapte et s’accommode en fonction du contexte politique et social ainsi que du référentiel légal et son degré de pénétration dans la culture sociale », N. BACCOUCHE, Préface à l’ouvrage de Issam BEN HASSEN, Le contrôle des motifs de fait dans le recours pour excès de pouvoir, Paris, Editions PUBLISUD, 2011, III. L’article 69 de la constitution du 1er juin 1959, seul article relatif à la justice administrative, ne contient aucune disposition relative à l’indépendance de la justice et à l’indépendance du juge. Il dispose que « le conseil d’Etat se compose de deux organes : le tribunal administratif et la cour des comptes. La loi détermine l’organisation du conseil d’Etat et de ses deux organes, et fixe la compétence et la procédure applicable devant ces deux organes ». De même, l’article 65 qui prévoit que l’autorité judiciaire est indépendante et que les magistrats ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi, figure dans le chapitre IV relatif au pouvoir judiciaire. V. Loi n° 72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du tribunal administratif et au statut de ses membres. 218 L'indépendance du juge administratif le pouvoir comme son « enfant biologique » à l’instar de son homologue français37. Conscient du déséquilibre existant entre les deux parties au procès et du caractère liberticide de certaines lois, le juge administratif cherchait à assurer progressivement et avec prudence la soumission de l’administration au droit hiérarchisé. Il a imposé à travers ses décisions le respect, par les actes administratifs, de la Constitution38. Le juge administratif se réfère par ailleurs régulièrement à la Constitution pour dégager des principes généraux du droit ou des principes à valeur constitutionnelle. Il en est ainsi de la théorie de l’Etat de droit qui était le refuge du juge administratif pour étendre son contrôle du pouvoir exécutif même avant sa constitutionnalisation en 200239. Le seul contrôle qu’il se refusait à exercer sous la Constitution du 1er juin 1959 était celui de la constitutionnalité des lois40. 37 38 Napoléon BONAPARTE « Le juge administratif est le juge complaisant de l’administration », V. M. WALINE, Manuel élémentaire de droit administratif, Paris, Sirey, 1946, p. 41. TA, affaire n°15 du 13 septembre 1976, R. 1975-1976, pp. 109-110. V. aussi, TA, aff n°1887, du 27 juin 1990, R. BEN ACHOUR et autres c/ ministre de l’éducation; TA, aff., n° 17972 du 16 mars 2002, K. BOU ABDELLI c/ministre de l’enseignement supérieur ; TA. aff.. n° 18600 du 14 avril 2001, L. REBAIE c/ ministre de l’enseignement supérieur. ‫"وحيث يستخلص من ردود اإل دارة أن خطأ العارض الوحيد يتمثل في الحقيقة والواقع في شبهة‬ ‫ وحيث على فرض ثبوت هذه الشبهة فإن اآلراء السياسية‬.‫حول أفكاره وانتماءاته السياسية‬ ‫لألعوان العموميين تنصهر ضمن حرية الفكر التي ضمنها الفصل الثامن من الدستور وأكدها‬ ‫ وحيث لم تدل جهة اإلدارة بما يفيد اقتراف المدعي خطأ تأديبي‬.‫ من الوظيفة العمومية‬10 ‫الفصل‬ ‫ األمر الذي يجعل تبريرها لقرارها بمجرد أفكاره السياسية مخالفا للقانون خاصة فيما‬،‫أو جزائي‬ ‫تضمنته من حرية الفكر ومبدأ المساواة واتجه بالتالي قبول هذا الفرع كقبول المطعن الماثل‬ ".‫برمته‬ ‫ فكلما استنجدوا بها طيلة‬.‫ " نظرية دولة القانون قريبة من قلوب القضاة اإلداريين وعقولهم‬39 ‫ فبصرف النظر عن النقاوة القانونية‬... ‫السبع سنوات السابقة للثورة إال وجدوها نصيرا لهم‬ ‫واألناقة السياسية لنظرية دولة القانون فقد لعبت في فقه القضاء اإلداري دورا وظيفيا سمح‬ ‫ من القانون المتعلق بالمحكمة اإلدارية‬5 ‫بتوسيع الرقابة على السلطة التنفيذية (ينص الفصل‬ ‫ تهدف دعوى تجاوز السلطة إلى ضمان احترام المشروعية القانونية من طرف‬:‫على ما يلي‬ ."‫السلط التنفيذية وذلك طبقا للقوانين والتراتيب الجاري بها العمل والمبادئ القانونية العامة‬ ،‫ المجلة القانونية‬،2014 ‫ "القاضي والدفاع عن الحقوق والحريات في دستور‬،‫احمد صواب‬ . 30 .‫ص‬ TA, affaire n° 19620 du 17 janvier 2004, J. S. BOUZNED c/ministre de l’intérieur : ‫يتجلى أن العمل المنتقد يمثل خرقا لدولة القانون التي اعتبرها الدستور التونسي من‬... ‫"وحيث‬ ‫مبادئ الجمهورية في الفصل الخامس منه والتي من أوكد مقتضياته حسب الفقهاء والقانون‬ 219 ‫‪L'indépendance du juge administratif‬‬ ‫‪Le juge administratif a intégré les dispositions des conventions‬‬ ‫‪internationales dans les normes de référence du contrôle qu’il effectue.‬‬ ‫‪Dans l’affaire de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, il a fait‬‬ ‫‪primer, en application de l’article 32 de la Constitution du 1er juin‬‬ ‫‪1959, les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et‬‬ ‫‪politiques sur les dispositions contraires de la loi sur les associations41.‬‬ ‫‪Dans une autre affaire, il a mis en avant les dispositions de la‬‬ ‫‪convention bien que les dispositions de la loi étaient postérieures42.‬‬ ‫‪Cette dernière décision a contribué à donner son plein effet au contrôle‬‬ ‫‪de conventionalité comme mise en œuvre du principe de la hiérarchie‬‬ ‫‪des normes.‬‬ ‫‪Les raisonnements juridiques suivis par le juge administratif‬‬ ‫‪étaient dédiés à la protection des libertés individuelles et collectives‬‬ ‫‪contre les intrusions excessives de l’autorité administrative. Il était‬‬ ‫المقارن وجود قضاء مستقل يراقب "احترام المشروعية من طرف السلطة التنفيذية طبقا للقوانين‬ ‫والمبادئ القانونية العامة" حسب صريح الفصل الخامس من قانون المحكمة اإلدارية وتكون‬ ‫أحكامه نافذة وفاعلة"‪.‬‬ ‫‪Affaire n° 15904 du 16 juin 2001, A. A. ELHAZMI c/ le ministre de la‬‬ ‫‪défense nationale :‬‬ ‫"وحيث من المسلم به فقها وقضاء أن السلطة التقديرية‪ ،‬على عكس ما تراه اإلدارة ال تعني‬ ‫السلطة المعفاة من كل رقابة‪ ،‬طالما أن القول بخالفه يجعل منها سلطة مطلقة ومصدرا من‬ ‫مصادر الشرعية ويؤول في نهاية المطاف إلى إعفاء القرارات اإلدارية الصادرة في إطارها من‬ ‫الخضوع إ لى مبدإ الشرعية من جهة ومن جهة أخرى إلى منع قاضي اإللغاء من ممارسة وظيفته‬ ‫القانونية في مراقبة هذه القرارات‪ ،‬وأخيرا إلى خرق أسس دولة القانون التي تفرض حماية حقوق‬ ‫األفراد طبقه"‪.‬‬ ‫‪TA, Jugement de première instance n°18428 du 5 novembre 2002 :‬‬ ‫"حيث يجوز للقاضي اإلداري مراقبة مدى مطابقة القرارات اإلدارية للدستور طالما لم تستند تلك‬ ‫القرارات إ لى نص تشريعي‪ .‬وحيث استقر الفقه على اعتبار انه في صورة اتخاذ مقرر إداري‬ ‫استنادا إ لى نص تشريعي فان القاضي اإلداري يقتصر عند بسط رقابته على شرعية ذلك القرار‬ ‫على مراقبة مدى احترامه لهذا النص دون أن يتجاوز ذلك إلى النظر في مدى مطابقة النص‬ ‫التشريعي للنصوص التي تعلوه درجة بما في ذلك الدستور"‪.‬‬ ‫‪TA, Jugement d’appel n°26819 du 1er juin 2011 :‬‬ ‫"درج فقه القضاء على اعتبار انه في صورة اتخاذ مقرر إداري استنادا إلى نص تشريعي فان‬ ‫القاضي اإلداري يقتصر عند بسط رقابته عند تفحص شرعية ذلك القرار على مراقبة مدى‬ ‫احترامه لذلك النص دون أن يتجاوز ذلك إلى النظر في مدى مطابقة النص التشريعي للنصوص‬ ‫التي تعلوه مرتبة بما فيها الدستور وذلك اقتضاء بنظرية القانون الحاجب سيما أن مراقبة دستورية‬ ‫القوانين ال تندرج ضمن االختصاص القضائي للمحكمة اإلدارية"‪.‬‬ ‫‪Arrêt n° 2643 du 21 mai 1996, Ligue tunisienne des droits de l’homme c/ ministre‬‬ ‫‪de l’intérieur.‬‬ ‫‪Affaire n° 15327, du 24 juin 2005, S. MADANI c/ ministre de la santé publique.‬‬ ‫‪220‬‬ ‫‪40‬‬ ‫‪41‬‬ ‫‪42‬‬ L'indépendance du juge administratif très attentif au respect de la liberté de pensée43, la liberté de conscience44, la liberté de circulation45, la liberté d’association46, la liberté de la presse ou encore la liberté du commerce et de l’industrie47. Certains secteurs ont été particulièrement fertiles comme celui de la fonction publique. Le juge administratif a ainsi joué un rôle important en matière d’égalité entre hommes et femmes48. La même position a été adoptée par le juge concernant la reconnaissance du droit de grève dans la fonction publique49. Le juge administratif a progressivement accentué son contrôle en le remodelant en fonction des circonstances et en fonction des matières50. En matière disciplinaire et en ce qui concerne la motivation des actes administratifs, le TA a exigé la motivation des décisions prononçant des sanctions disciplinaires en dépit du silence des textes51. Il est allé jusqu’à annuler une décision disciplinaire pour absence de motivation alors que la loi n°20 du 31 mai 1967 portant 43 44 45 46 47 48 TA, aff. n° 18600 du 14 avril 2001, L. REBAIE c/ministre de l’enseignement supérieur. TA, aff. n°1/10976 du 9 décembre 2006, S. ADALI c/ ministre de l’éducation et de la formation. TA, aff. Th. ACHOUR, du 12 juin 1981 c/ ministre de l’intérieur ; TA, aff. n° 17972 du 16 mars 2002, K. BOUABDELLI c/ministre de l’enseignement supérieur. TA, aff. n° 16315/1 du 29 avril 2010, HAMMEDI c/ ministre de l’intérieur et du développement local et le gouverneur de Tunis. TA, aff. n°3879, du 14 mars 1995 société krichen c/président de la municipalité de kasserine. Décision en date du 10 mars 1998, A. AMEMOU c/ministre de la justice : 1 ‫"حيث يدفع العارض بان نجاح عنصر نسائي في مناظرة عدول اإلشهاد المصرح بنتائجها في‬ ‫ وحيث نص‬.‫ يخالف الشريعة اإلسالمية لعدم تساوي شهادة المرأة مع شهادة الرجل‬1993 ‫جويلية‬ ‫الفصل السادس من الدستور التونسي على ان "كل المواطنين متساوون في الحقوق والواجبات‬ ‫ وحيث أن نجاح العنصر النسائي في المناظرة المطعون في نتائجها‬...‫وهم سواء أمام القانون‬ ."‫مطابق لمبدإ المساواة خاصة بين الجنسين مما يجعل الدفع الماثل حري بالرفض‬ 49 50 51 TA, affaire n°1655 du 2 mai 1990, SNOUSSI c/ministre de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Issam BEN HASSEN, Le contrôle des motifs de fait dans le recours pour excès de pouvoir, Paris, Editions PUBLISUD, 2011, p. 439 ; V. F. LOUKIL, Juge de l’excès de pouvoir et libertés individuelles, Mémoire de master de recherche en droit public, FDS, 2016. TA, aff. n° 16946 DU 20 janvier 2000, Wetani c/Ministre de l’intérieur (inédit) ‫"حيث يجب على اإلدارة أن تعلل قراراتها التأديبية أو التي لها طابع تأديبي ولو في صورة انعدام‬ ."‫النص الموجب لذلك‬ 221 L'indépendance du juge administratif statut des militaires ne l’impose pas explicitement52. Pourtant, selon une jurisprudence établie du TA, l’administration n’a l’obligation de motiver les actes administratifs qu’en vertu d’un texte législatif ou réglementaire expresse53. En matière de police administrative, le juge administratif est allé jusqu’à contrôler la proportionnalité des mesures de police susceptibles de porter atteinte à une liberté54. Il vérifie alors si la restriction apportée à l’exercice d’une liberté est justifiée dans son principe par une situation particulière, mais également si elle est adéquate et proportionnée. Aujourd’hui, cette condition d’origine jurisprudentielle trouve pleinement sa place dans la Constitution du 27 janvier de 2014. L’article 49 de la Constitution de 2014 dispose : « Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la constitution et à leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre aux exigences d’un Etat civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications. Les instances juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute atteinte ». Toutefois, la présidence du TA est restée insensible à la dynamique qui animait le reste des juges. Désignés par le président de la République et n’appartenant pas aux corps des magistrats, les différents premiers présidents du TA55, ont réussi à refouler certaines affaires qui étaient de nature à embarrasser le pouvoir en place. Il en est ainsi de l’affaire 52 53 54 55 TA, aff. n°25030 du 29 mars 2006, Ministre de la défense nationale c/ Marzough (inédit), V. sur la question, I. BEN HASSEN, « La motivation des actes administratifs, Une exigence de transparence », in. Transparence et droit, Ouvrage collectif en l’honneur du doyen Néji BACCOUCHE, Publications du centre d’études fiscales de la FDS, 2020-2021, pp. 147-192, p. 175. TA, aff. n°476 du 16 juin 1981, Jaber c/Ministre du plan et des finances (inédit) ; aff. n°1028 du 31 décembre 1984, Ben Salah c/Ministre du transport et des communications, Rec, TA, p. 502 ; aff. n°11639 du 26 octobre 2005, Mohamed c/Ministre de l’éducation (inédit) ; TA, aff. n°18104 du 13 mars 2001, Massoud c/Président de la municipalité de Tunis (inédit)., V. I. BEN HASSEN, « La motivation des actes administratifs, Une exigence de transparence », article précité, p. 173. TA, affaire n° 3879 du 14 mars 1995, KRICHENE c/municipalité de Kasserine, Rec, TA, p. 128. Hormis le président Ghazi Jribi 2007-2011. 222 L'indépendance du juge administratif relative au recours en annulation du décret n°629 du 3 avril 2002 relatif à la convocation du corps électoral au référendum sur le projet de loi constitutionnelle portant modification de certaines dispositions de la constitution du 1er juin 1959 et des résultats du référendum organisé le 26 mai 2002. Enregistrée au greffe du TA depuis le 4 juillet 2002, la requête n’a été examinée qu’en 2008 sous la présidence du magistrat Ghazi JRIBI56. 2- Dans un contexte révolutionnaire La révolution tunisienne avait pour conséquence la dilution du pouvoir et l’affaiblissement de l’Etat. Le juge administratif n’était pas à l’abri des pressions extérieures d’origine médiatique, économique, culturelle, politique qui cherchent à influencer ses décisions. Mieux encore, dans un contexte révolutionnaire, le juge n’est pas resté en dehors de la dynamique sociale et juridique. En faisant partie du processus de régénération de la société tunisienne, le Tribunal administratif, fort de sa légitimité historique, a réajusté son contrôle pour assurer efficacement sa fonction de garant tant des droits et des libertés que de l’intérêt général fixé par le pouvoir politique. Plongé au cœur de l’agitation révolutionnaire, le juge administratif a tenté de jouer le rôle de modérateur. Ayant tracé son chemin celui de la protection des droits et des libertés, le juge administratif a su s’adapter aux changements de la donne. Tant que les droits sont en péril, et tant qu’il n’ya pas un garant du respect de ces droits ou tant que la protection des droits fondamentaux s’avère insuffisante, il se déclare compétent. Ainsi, il a su qu’il était temps de reconnaître sa compétence en tant que juge de la constitutionnalité des lois. Suspendue, la Constitution du 1er juin 1959 ou ses valeurs sont restées dans l’esprit du juge administratif. Il était conscient que les droits et libertés n’avaient pas besoin d’être inscrits dans un texte et que l’absence de Constitution n’est pas de nature à l’empêcher d’exercer le contrôle y compris des actes législatifs ou des actes 56 V. TA n°26757 du 15 juillet 2008, Ben Sedrine c/le premier ministre, Jurisprudence du TA pour l’année 2008, Tunis, 2010, pp. 151-154 ; V. B. KARRAY, « la justice administrative dans la constitution tunisienne », article précité, p. 237. 223 L'indépendance du juge administratif présumés législatifs. Il était temps qu’il se libère d’une lecture formelle de l’article 5 de la loi de 197257. Dans ses arrêts en date du 7 novembre 2013, le TA a affirmé qu’il est du devoir du juge administratif, en l’absence d’un juge constitutionnel de contrôler la conformité de la loi à la Constitution, aux principes fondamentaux constitutionnels et aux conventions en vigueur58. Le TA n’a pas hésité à contrôler la constitutionnalité d’une loi même en présence d’un organe chargé du contrôle59. Dans l’arrêt du 10 octobre 2014, le juge administratif a admis qu’il pouvait apprécier la constitutionnalité d’une disposition de loi tant qu’elle a échappé au contrôle de l’instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des 57 L’article 5 de la loi n°72-40 du 1er juin 1972 relative au tribunal administratif dispose : « le recours pour excès de pouvoir vise à assurer conformément aux lois et règlements en vigueur et aux principes généraux du droit le respect de la légalité par les autorités exécutives ». ‫ " وحيث ولئن كان دور القاضي اإلداري يتمثل في التثبت من مدى حسن تطبيق القانون فإنه من‬58 ‫ النظر في‬،‫واجبه في غياب محكمة دستورية تبت بصفة أصلية في مطابقة القانون للدستور‬ ‫مدى احترام النص التشريعي لمصادر القانون التي تعلوه والمتمثلة في الدستور والمبادئ‬ ‫األساسية ذات ا لقيمة الدستورية وكذلك المعاهدات النافذة ليخلص عند االقتضاء إلى استبعاده‬ ."‫كلما تم الدفع بذلك أمامه‬ V. Les décisions n°134854, n°134855, n°134866 en date du 7 novembre 2013 rendues par l’assemblée générale du TA. Il convient de préciser que le juge civil en 2013 a jugé que les articles de la constitution du 1er juin 1959 en rapport avec les libertés sont toujours en vigueur, cour d’appel de Tunis, arrêt rendu en référé le 5 février 2013 ‫ من دستور‬10 ‫" حيث أن جواز السفر هو من مستلزمات حرية التنقل المضمونة بموجب الفصل‬ ‫ الذي يبقى نافذا في أحكامه الضامنة للحقوق والحريات األساسية لكونها غير‬، 1959 ‫ جوان‬1 ".‫ من العهد الدولي للحقوق المدنية والسياسية‬12 ‫ وبموجب الفصل‬،‫قابلة بطبيعتها لإللغاء‬ 59 En privant le TA de la compétence de contrôler la constitutionnalité des projets de lois dans l’attente de la mise en place de la cour constitutionnelle, la constitution a chargé une instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois. L’article 148 ajoute que « les tribunaux ordinaires sont réputés incompétents pour contrôler la constitutionnalité des lois », La même interdiction est rappelée par l’article 3 de la loi organique du 18 avril 2014 relative à l’instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois, « L’instance procède au contrôle de constitutionnalité des projets de loi sur demande du président de la République, du chef du gouvernement ou de trente députés au moins..Les tribunaux sont réputés incompétents pour contrôler la constitutionnalité des lois ». Et pourtant, le tribunal administratif a jugé qu’il est de son devoir d’étendre son contrôle aux lois. 224 L'indépendance du juge administratif projets de lois. Dès lors, il a admis l’existence d’une hiérarchie dans la Constitution concluant que les dispositions transitoires ne peuvent constituer un obstacle devant le juge qui a l’obligation selon l’article 102 de garantir la suprématie de la Constitution60. Dans l’arrêt du 15 mai 2017, le tribunal administratif a soulevé d’office l’inconstitutionnalité de l’article 85 de la loi relative au tribunal administratif et a affirmé son inconstitutionnalité au motif qu’il est contraire à l’article 108 de la Constitution qui consacre le principe de double degré de juridiction. Bien que les dispositions transitoires énoncent l’interdiction pour les tribunaux de contrôler la constitutionnalité des lois, l’article 102 de la Constitution en donne la possibilité en disposant que le pouvoir judiciaire « garantit la suprématie de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et des libertés ». Le juge administratif ne s’est pas laissé emporter par le mouvement de populisme et de démagogie qui a accompagné la révolution de 2011. Selon lui, la liberté n’est pas l’anarchie. La liberté se doit d’être encadrée notamment pour répondre aux exigences du service public. Dans l’affaire n°26255 en date du 28 janvier 2011 concernant l’habit sectaire, le Tribunal administratif a considéré que la liberté de choix de l’habit et la liberté de croyance s’exercent de la part de l’agent public lors de l’exercice de ses fonctions dans la mesure où cela n’est pas incompatible avec l’obligation de réserve qui pèse sur lui et le principe de la neutralité du service public61. La même 60 61 Les dispositions transitoires ont été définies comme étant des « règles énoncées dans une nouvelle constitution particulière qui déterminent de manière temporaire, pour une période intermédiaire, les modalités de passage du régime de l’ancienne constitution à celui de la nouvelle constitution en établissant, pour cette période, un régime original, distinct et temporaire », L. PECH, « les dispositions transitoires en droit constitutionnel », RRJ, cahiers de méthodologie juridique, n°14, p. 1408. Statuant en appel, la 5ème chambre d’appel a décidé dans l’affaire n° 26255 du 28 janvier 2011 : ‫"وحيث بخصوص حرية اللباس وحرية المعتقد فهما تمارسان من قبل العون العمومي عند أداء‬ ‫الوظيفة بالقدر الذي ال يتنافى مع واجب التحفظ المفروض عليه ومع حياد المرفق العمومي‬ ‫ وحيث يفرض المنطق أن تزداد التضييقات على مثل هذه الحريات‬.‫المفروض على اإلدارة‬ ‫ على أن‬،‫الفردية كلما ازد اد عدم التكافئ بين العون ومنظوره وزادت قدرته على التاثير عليه‬ ‫ترجع مبدئيا ممارسة تلك الحريات إلى مداها الجاري به العمل في البالد بمجرد مغادرته مقر‬ ‫ فإنه يجوز إلدارة‬،‫ وعلى نحو ما جاء به المنشور المنتقد‬،‫ وحيث تفريعا على ما سبق‬.‫الوظيف‬ ‫التعليم منع المدرسين والمدرسات وكذلك األعوان من ارتداء لباس أو حمل رموز أو اتباع مظهر‬ 225 ‫‪L'indépendance du juge administratif‬‬ ‫‪position a été prise dans l’avis consultatif de 2012 concernant le port‬‬ ‫‪du voile intégral au sein de l’université. Le juge a conclu que la‬‬ ‫‪préservation de l’ordre public appartient au directeur de l’institution‬‬ ‫‪universitaire62.‬‬ ‫‪En intériorisant que la légalité n’est formelle qu’en apparence et‬‬ ‫‪qu’elle s’identifie à la « légitimité rationnelle »63, le juge administratif‬‬ ‫‪a su assouplir les outils à sa disposition pour remplir sa mission de‬‬ ‫‪contrôle au service de l’Etat de droit. L’adoption d’une conception‬‬ ‫‪libérale de l’intérêt pour agir des requérants64, l’exercice du contrôle‬‬ ‫ما شابه ذلك من الصور التي من شأنها أن تعكس مغاالة أي كان اتجاهها وأن توحي بصورة‬ ‫مباشرة أو بارزة وواضحة انتماء طائفيا أو دينيا أو سياسيا أو عرقيا‪ ،...‬والذي يمكن أن يؤخذ من‬ ‫قبل المتلقين‪ ،‬ال سيما كلما صغر سنهم‪ ،‬أو من قبل أوليائهم أو المجتمع على أنه على األقل استمالة‬ ‫وتأثير على األولين في الذكر وعلى األ كثر استدراجهم واستقطابهم النتماءات المدرس‪ .‬وحيث أن‬ ‫هذا التقييد يعد شرعيا‪ ،‬تطبيقا لواجب التحفظ بالنسبة للعون وتجسيما لمبدا الحياد الواجب على‬ ‫اإلدارة ‪ .‬وحيث ال خالف في علوية المصلحة العامة إن تعارضت مع المصلحة الخاصة‪ ،‬من ذلك‬ ‫أنه يستحيل إعمال المبادئ العامة لسير المرافق العمومية‪ ،‬وخاصة االستمرارية والمساواة‬ ‫والحياد والتأقلم من دون المساس من الحريات الفردية وحتى العامة الراجعة على حد السواء‬ ‫لألعوان العموميين ولمنظوري اإل دارة والتي هي بطبيعتها ليست مطلقة‪ .‬وحيث بناء على ما ذكر‬ ‫يتجه إقرار شرعية المنشور المطعون فيه "‪.‬‬ ‫‪du TA concernant une consultation relative à la possibilité d’organiser le port du‬‬ ‫‪voile intégral dans l’enceinte universitaire moyennant des mesures et règlements‬‬ ‫‪intérieurs :‬‬ ‫‪62‬‬ ‫"تدخل العمداء ومديري مؤسسات التعليم العالي يجب أن يقتصر على اتخاذ التدابير العامة أو‬ ‫الفردية الضرورية لضمان حسن سير المرفق العمومي وتالفي كل ما من شأنه اإلخالل بالنظام‬ ‫العام داخل فضاءاته وإعاقة نشاطه البيداغوجي والعلمي أو اإلخالل بنزاهة االمتحانات وعلى أن‬ ‫ترتكز المقررات الصادرة في هذا الشأن على مبدإ أن ال حق ألحد في االنتفاع بالخدمات التي‬ ‫يسديها المرفق العمومي بمقراته المفتوحة للعموم وهو مغطى الوجه وذلك كلما اقتضى حسن‬ ‫سير المرفق الكشف عن الوجه للتمتع بتلك الخدمات‪ ،‬وأن حدود ذلك المنع بالنسبة لموضوع‬ ‫االستشارة‪ ،‬يجب أن يقتصر على حضر تغطية الوجه بصفة كاملة او جزئية داخل مكونات‬ ‫الفضاء الجامعي‪ ،‬فحسب ودون أن يمتد إلى أي إجراء إضافي من شأنه المس من حرية المعتقد‬ ‫واللباس الراجعة لمستعملي المرفق العمومي"‪.‬‬ ‫‪Max weber, Cité par G. BURDEAU, Traité de science politique, Tome IV, Paris,‬‬ ‫‪LGDJ, p. 141.‬‬ ‫‪Slim MDINI, « L’élargissement de l’intérêt à agir », (inédit).‬‬ ‫‪Pour l’admission de la qualité de contribuable : V. Jugement en référé n° 711506‬‬ ‫‪en date du 10 mars 2011 :‬‬ ‫"وحيث دأ ب فقه قضاء هذه المحكمة على اعتبار أن الصفة في القيام أمام القضاء تستمد من‬ ‫المصلحة ويتم تقديرهما حسب كل حالة معروضة عليه وذلك بعد األخذ بعين االعتبار مالبساتها‬ ‫ويجب أن يقترن ذلك بوجود حقوق ومنافع مادية كانت أو معنوية يهدف القائم بالدعوى إلى‬ ‫حمايتها أو الحصول عليها‪ .‬وحيث بالمتأمل في أوراق الملف يتضح أن الطالبين يستمدون‬ ‫الشرطين المشار إ ليهما من آثار الوضعية المتمثلة في مواصلة صرف الدولة المنح واالمتيازات‬ ‫البرلمانية وانعكاساتها على ميزانيتها وهو إ جراء من شأنه أن يساهم في ازدياد الواجبات‬ ‫‪226‬‬ ‫‪63‬‬ ‫‪64‬‬ ‫‪L'indépendance du juge administratif‬‬ ‫‪de constitutionnalité par voie d’exception sans qu’elle soit soulevée‬‬ ‫‪par l’une des parties, en constituent le meilleur exemple.‬‬ ‫‪Face à l’audace du tribunal administratif dans sa formation‬‬ ‫‪collégiale, le président du TA a fait preuve de « conformisme ». Sous‬‬ ‫‪l’état d’exception, le président du TA a rendu des décisions en matière‬‬ ‫‪de sursis à exécution qui sont loin d’être convaincantes. Face à une‬‬ ‫‪série de décisions d’assignation à résidence sur la base du décret du 26‬‬ ‫‪janvier 1978, et suite à la déclaration du président de la République de‬‬ ‫‪l’état d’exception sur la base de l’article 80 de la Constitution, le‬‬ ‫‪président du TA accepte tant tôt la suspension de l’exécution d’une‬‬ ‫‪décision65, et refuse tant tôt la suspension d’une autre en se basant sur‬‬ ‫‪le même fondement à savoir le décret du 26 janvier 197866. Rappelons‬‬ ‫الضريبية المحمولة على ال مدعين والترفيع في قاعدة األداء الموظف عليهم كالتأثير على‬ ‫وضعياتهم وذممهم المالية‪ .‬وحيث يعد القاضي اإلداري الحامي لألموال العمومية مما يستدعي‬ ‫منه النظر في مدى وجاهة المنازعة الراهنة"‪.‬‬ ‫‪V. aussi, les décisions n°414825, n°414826, n° 4148427, n°414828 en date du 18‬‬ ‫‪octobre 2012, N. BACCOUCHE c/président de l’Assemblée Nationale‬‬ ‫‪constituante :‬‬ ‫"وحيث دأب فقه القضاء اإلداري على اعتبار أن المصلحة في القيام يتم تقديرها حسب مالبسات‬ ‫كل حالة معروضة على المحكمة على أ ن يقترن ذلك بوجود حقوق ومنافع مادية كانت أو معنوية‬ ‫يهدف القائم بالدعوى إلى ح مايتها أو الحصول عليها‪ .‬وحيث يتضح بالتأمل في المستندات التي‬ ‫تأسس عليها المطلب الراهن أن المدعي يستمد شرط المصلحة من اآلثار المترتبة عن صرف‬ ‫الدولة المنح واالمتيازات النيابية وانعكاساتها"‪.‬‬ ‫‪Décision en matière de sursis à exécution n°4106655 du 23 septembre 2021 :‬‬ ‫" وحيث ولئن كان لإلدارة الحق في إخضاع بعض المواطنين إلى االجراء الحدودي‬ ‫في إطار مهمة الحفاظ على األمن العام المتعهدة بها وزارة الداخلية حسب أحكام الفصل ‪ 4‬من‬ ‫األمر عدد ‪ 342‬لسنة ‪ 1975‬والتي تندرج في إطار ممارسة سلطة الضبط اإلداري والتي تخول‬ ‫لإلدارة اتخاذ ما تراه ضروريا لحماية األمن العام‪ ،‬إال أن الحد من بعض الحقوق والحريات‬ ‫المضمونة دستوريا ومنها حرية التنقل يجب أن يكون حسب مقتضيات الفصل ‪ 49‬من الدستور‬ ‫بمقتضى قانون ولضروريات األمن العام‪ ،‬وان عبء إثبات تلك الضروريات محمول على اإلدارة‬ ‫تحت رقابة الهياكل القضائية التي تسهر على حماية تلك الحقوق والحريات من أي انتهاك‪ .‬وحيث‬ ‫أمام أ حجام اإلدارة عن الرد‪ ،‬وفي ظل انعدام السند الواقعي والقانوني للقرار المطعون فيه تغدو‬ ‫األسباب التي استند إليها المطلب جدية في ظاهرها على معنى أحكام الفصل ‪ 39‬المشار إليه‬ ‫أعاله‪ ،‬كما أن التمادي في تنفيذه من شأنه أن يتسبب للعارضة في نتائج يصعب تداركها"‪.‬‬ ‫‪ 66‬وحيث دفعت اإلدارة بخصوص النتائج التي يصعب تداركها ان قرار الوضع تحت اإلقامة‬ ‫الجبرية هو من قبل التدابير الوقتية الوقائية التي تنتهي بانتهاء حالة الطوارئ والتي تم التمديد‬ ‫فيها إلى غاية ‪ 19‬جانفي ‪ 2022‬بموجب األمر الرئاسي عدد ‪ 67‬لسنة ‪ 2021‬المؤرخ في ‪23‬‬ ‫جويلية ‪ 2021‬المشار إ ليه أعاله‪ ،‬ويمكن رفع هذا االجراء حال انتفاء موجبه ولو مع تواصل‬ ‫حالة الطوارئ‪ ،‬وبان اإلدارة حريصة على ضمان معيشة المعني باألمر بالسماح له بالتنقل‬ ‫بكامل مرجع الترابي لمركز األ من الوطني التابع له من حيث اإلقامة‪ /‬مؤكدة أنه يمكن‬ ‫‪227‬‬ ‫‪65‬‬ L'indépendance du juge administratif que la chambre de 1ère instance du Tribunal administratif avait, dans trois décisions successives n°146676, n°150169 et n°150168 en date du 2 juillet 2018 portant sur des recours pour excès de pouvoir à l’encontre de décisions d’assignation à résidence, proclamé la nullité des décisions prises sur la base de l’article 5 du décret n°78-50 du 26 janvier 1978 réglementant l’état d’urgence67. Le Tribunal administratif a affirmé : « considérant que le droit à la libre circulation et de quitter le territoire du pays est considéré comme l’un des droits fondamentaux garanti à chaque citoyen par l’article 24 de la Constitution, qui ne peut être limité que par une loi, afin de préserver l’intérêt général, dont l’interprétation doit être stricte. Considérant que le pouvoir exécutif et les instances étatiques sont munis d’un pouvoir réglementaire qui leur permet de promulguer des décrets et des circulaires afin de servir l’intérêt général ou de sauvegarder la sûreté publique sans que celles-ci n’apportent des restrictions aux droits et libertés sauf celles fixées par la loi »68. Le TA a conclu à 5 ‫وبطلب منه السماح له بالتنقل خارجه لقضاء حاجياته األساسية استنادا إلى احكام الفصل‬ .‫ المتعلق بتنظيم حالة الطوارئ‬1978 ‫ لسنة‬50 ‫من االمر عدد‬ 1978 ‫ جانفي‬26 ‫ المؤرخ في‬1978 ‫ لسنة‬50 ‫ من االمر عدد‬5 ‫وحيث تقتضي احكام الفصل‬ ‫وحيث دأبت المحكمة بخصوص المطالب الرامية الى توقيف تنفيذ‬...‫المشار إ ليه أعاله‬ ‫القرارات المتعلقة بالوضع تحت اإلقامة الجبرية على االذن بتوقيف تنفيذ هذه القرارات‬ ‫جزئيا كلما تضمنت منع األشخاص المعنيين بها من مغادرة محل اقامتهم باعتبار ان ذلك يعد‬ ‫انتهاكا جسيما للحقوق والحريات التي يكفلها لهم الدستور وخاصة حريتهم في التنقل‬ ‫ وحيث لم يتبين ان التمادي في تنفيذ القرار المنتقد من شانه ان‬...‫وممارسة حقوقهم األساسية‬ ،‫ المشار اليه أعاله‬39 ‫يتسبب للعارض في نتائج يصعب تداركها على معنى احكام الفصل‬ ‫ عدد‬،‫ قرار في مادة توقيف التنفيذ‬،"‫مما يتوجه معه رفض المطلب على هذا األساس‬ ،4106699 ‫ وأيضا قرار عدد‬،)‫ (غير منشور‬2021 ‫ سبتمبر‬30 ‫ مؤرخ في‬،4106703 .)‫ (غير منشور‬2021 ‫ سبتمبر‬30 ‫مؤرخ في‬ 67 L’article 5 du décret n°78-50 du 26 janvier 1978 réglementant l’état d’urgence dispose : « le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée, de toute personne résidant dans une des zones prévues à l’article 2 dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics desdites zones ». ‫"وحيث أن الحق في التنقل ومغادرة تراب الوطن يعد من الحقوق األساسية المكفولة لكل‬ ‫ والتي ال يسوغ تقييدها إال بموجب قانون صريح‬،‫ من الدستور‬24 ‫مواطن بموجب الفصل‬ ‫ على أن تؤول‬،‫يكون الهدف منه تحقيق المصلحة العامة وأن ال يمس من جوهر الحق‬ .‫الضوابط والحدود التي تنال من هذا الحق تأويال ضيقا‬ ‫وحيث من الجائز للسلطة التنفيذية وللهيئات العمومية ممارسة ما لها من سلطة ترتيبية أو‬ ‫سلطة إ صدار تراتيب داخلية أو قرارات فردية خدمة للمصلحة العامة أو حماية للنظام العام‬ ‫غير أنه ال يمكن أن تحمل تلك القرارات أو التدابير قيودا أو تضييقات إال في حدود ما‬ ‫ حكم ابتدائي‬،146676 ‫ قضية عدد‬،"‫تضمنته القوانين الصادرة عن السلطة التشريعية‬ 228 68 ‫‪L'indépendance du juge administratif‬‬ ‫‪l’inconstitutionnalité du décret réglementant l’état d’urgence qui‬‬ ‫‪impose des restrictions sur l’exercice du droit à la libre circulation et‬‬ ‫‪de choisir sa résidence qui n’ont pas été établies par une loi‬‬ ‫‪conformément à l’article 49 de la Constitution du 27 janvier 201469.‬‬ ‫‪II- UNE INDEPENDANCE MENACEE EN L'ABSENCE DE‬‬ ‫‪GARANTIES OBJECTIVES‬‬ ‫‪L’indépendance est une question personnelle. Elle dépend de la‬‬ ‫‪conscience du juge. Les garanties lors du recrutement, lors du‬‬ ‫‪déroulement de la carrière, la formation des juges, le régime‬‬ ‫‪disciplinaire du juge sont nécessaires mais insuffisantes en soi pour‬‬ ‫‪assurer l’indépendance du juge. L’adoption d’un code de déontologie‬‬ ‫‪du magistrat tel que prévu par la loi relative au Conseil supérieur de la‬‬ ‫‪magistrature peut servir à préciser les interdictions et les obligations‬‬ ‫‪qui incombent aux juges70. Le code de déontologie peut prévoir,‬‬ ‫بتاريخ ‪ 2‬جويلية ‪( ،2018‬غير منشور)و قضية عدد ‪ 150169‬حكم ابتدائي بتاريخ ‪ 2‬جويلية‬ ‫‪( ،2018‬غير منشور)‪ ،‬قضية عدد ‪ ، 150168‬حكم ابتدائي بتاريخ ‪ 2‬جويلية ‪( 2018‬غير منشور)‪.‬‬ ‫‪69‬‬ ‫"وحيث طالما أن األمر عدد ‪ 50‬لسنة ‪ 1978‬المؤرخ في ‪ 26‬جانفي ‪ 1978‬والمتعلق بتنظيم‬ ‫حالة الطوارئ تضمن قيودا وضوابط تحد من ممارسة حق التنقل والحق في اختيار مقر‬ ‫اإلقامة‪ ،‬لم يسبق ضبطها بنص تشريعي يحترم المقتضيات الدستورية الواردة بالفصل ‪49‬‬ ‫من دستور ‪ 27‬جانفي ‪ ،2014‬رغم مرور أربع سنوات على انتخاب مجلس نواب الشعب‪،‬‬ ‫فان استناد جهة اإلدارة على مثل هذا النص الترتيبي لتأسيس صالحياتها في ضبط حرية‬ ‫التنقل واختيار المقر والحد منها دون وجود نصوص تشريعية تحدد تلك الضوابط وشروط‬ ‫أعمالها‪ ،‬يعد مخالفا للدستور‪ ،‬األمر الذي يجعل القرار المنتقد دون سند قانوني وتعين لذلك‬ ‫قبول هذا المطعن وإلغاء القرار المطعون فيه"‪ ،‬حكم ابتدائي عدد ‪ ،146676‬بتاريخ ‪2‬‬ ‫جويلية ‪( ،2018‬غير منشور) و حكم ابتدائي عدد ‪ 150169‬بتاريخ ‪ 2‬جويلية ‪( ،2018‬غير‬ ‫منشور)‪.‬‬ ‫"وحيث لئن اكتفى األمر عدد ‪ 342‬لسنة ‪ 1975‬المؤرخ في ‪ 30‬ماي ‪ 1975‬المتعلق بضبط‬ ‫مشموالت وزارة الداخلية بإسناد وزارة الداخلية "مهام مراقبة جوالن األشخاص بكامل تراب‬ ‫الجمهورية" في إطار مشموالت عامة بوصفها سلطة ضبط إداري فان األمر عدد ‪ 50‬لسنة‬ ‫‪ 1978‬والمتعلق بتنظيم حالة الطوارئ تضمن قيودا وضوابط تحد من ممارسة حق التنقل‬ ‫والحق في اختيار مقر اإلقامة لم يسبق ضبطها بنص تشريعي يحترم المقتضيات الدستورية‬ ‫الواردة بالفصل ‪ 49‬من دستور ‪ 27‬جانفي ‪ .2014‬وحيث يغدو استناد جهة اإلدارة على‬ ‫نصوص ترتيبية لتأسيس صالحياتها في ضبط حرية التنقل واختيار المقر والحد منها دون‬ ‫وجود نصوص تشريعية تحدد تلك الضوابط وشروط أعمالها مخالفا للدستور األمر الذي‬ ‫يجعل القرار المنتقد صادرا دون سند قانوني وتعين لذلك قبول المطعن"‪ ،‬القضية عدد‬ ‫‪ ،150168‬حكم ابتدائي بتاريخ ‪ 2‬جويلية ‪( 2018‬غير منشور)‪.‬‬ ‫‪L’article 42 de la loi organique n°2016-34 du 28 avril 2016 relative au conseil‬‬ ‫‪supérieur de la magistrature attribue à l’assemblée plénière du conseil‬‬ ‫‪supérieur de la magistrature qui regroupe les trois conseils de la magistrature‬‬ ‫‪la charge d’élaborer le code de déontologie des magistrats.‬‬ ‫‪229‬‬ ‫‪70‬‬ L'indépendance du juge administratif également, des principes qui proposent un comportement idéal à l’instar du modèle canadien71. Outre le code, les obligations déontologiques peuvent résulter également de l’engagement pris par le juge administratif de se conduire comme un magistrat digne et loyal lors de la prestation de son serment72. Mais, pour qu’il soit responsable, le juge est supposé avoir un haut niveau de compétence (2). Il ne peut mener sa mission en toute impartialité s’il ne bénéficie pas de garanties statutaires (1). 1- La protection statutaire, une garantie de l’indépendance du juge On vise par protection statutaire, l’inamovibilité du juge, la rémunération et la sécurité sociale73. « Un juge qui craint pour sa place, ne rend plus la justice »74. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’inamovibilité des juges est une condition essentielle pour leur indépendance75. L’inamovibilité est le fait de ne pas être « destitué, suspendu ou déplacé » contre son gré76. « L’inamovibilité vise à interdire toute 71 72 73 74 75 A. OUIMET, « L’indépendance du juge comme devoir déontologique au Québec », Les cahiers de la justice, n°2, 2012/2, Dalloz, pp. 75-92, p. 87-88, https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2012-2-page-75.htm L’article 1er loi n°72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du tribunal administratif et au statut de ses membres dispose : « les membres du Tribunal administratif prêtent avant leur installation le serment suivant : « je jure par Dieu de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ». V. La loi n°85-12 du 5 mars 1985 portant régime des pensions civiles et militaires de retraite et des survivants dans le secteur public modifiée par le décret-loi n°2011-48 du 4 juin 2011 et la loi n°2019-37 du 30 avril 2019 modifiant et complétant la loi n°85-12 du 5 mars 1985, relative au régime des pensions civiles et militaires de retraite et des survivants dans le secteur public. Expression du procureur général français Dupin Citée par J. GIQUEL, « La justice et l’Etat », Les petites affiches, n° 2013, du 25 octobre 2000, p. 46. Selon la CEDH, l’inamovibilité n’a pas besoin de consécration expresse en droit ; Dans un arrêt récent (affaire n°139606 du 29 mai 2015, N. Ben Ali c/chef du gouvernement), le TA a considéré que l’inamovibilité est une condition de l’indépendance de la justice ‫"مبدأ عدم جواز نقلة القاضي دون رضاه الذي يعتبر من المبادئ األساسية ذات القيمة الدستورية‬ ."‫المكرسة الستقالل القضاء‬ 76 J. MALENOVSKY, « L’indépendance des juges internationaux », Recueil des cours de l’Académie de droit international, (2011) vol.349, pp. 9-276, p. 159. 230 L'indépendance du juge administratif modification de la situation d’un juge résultant d’une décision prise par une autorité extérieure à la juridiction à laquelle il appartient, avec pour finalité soit de sanctionner l’intéressé pour ses décisions antérieures, soit de l’intimider pour l’avenir, c’est-à-dire de le décourager de rendre de futures décisions pouvant paraître inacceptables aux yeux de ladite autorité »77. Ignorée par la Constitution de 1959 et par la loi78, l’inamovibilité des juges administratifs était consacrée en partie du fait de la centralisation de la justice administrative. Préjudiciable pour les justiciables, la centralisation de la juridiction administrative à Tunis avait, paradoxalement, pour avantage de protéger les juges administratifs contre les mutations abusives79. Contrairement aux juges judiciaires, qui en dépit de l’existence d’une disposition qui les protège80, ont souffert des mutations abusives81, des suspensions et des 77 78 79 80 81 J. MALENOVSKY, « L’indépendance des juges internationaux », article précité, p. 159 ; « Dire d’un juge qu’il est inamovible, signifie qu’il ne peut faire l’objet d’une mesure individuelle quelconque prise à son encontre par le gouvernement (révocation, suspension, déplacement, mise à la retraite prématurée) en dehors des cas et des conditions prévues par la loi », R. PERROT, Institutions judiciaires, 12ème édition, Montchrestien, Paris, 2006, p. 301. En vertu de la loi n°96-39 du 3 juin 1996 portant modification de la loi du 1 er juin 1972 relative au tribunal administratif, et celle n°1-75 du 17 juillet 2001 modifiant la loi du 8 mars 1968 portant organisation de la cour des comptes, le législateur a prévu la possibilité de création de chambres de première instance relevant du tribunal administratif et des chambres de la cour des comptes au niveau des régions. Pourtant, il n’a pas prévu le principe de l’inamovibilité. V. Sur la centralisation du TA, B. KARRAY, « Le contentieux de légalité dans un Etat de droit », in. Constitution et Etat de droit, Actes du colloque de commémoration du cinquantenaire de la promulgation de la constitution tunisienne du 1er juin 1959, Sfax, 6-7 février 2009, 2010, pp. 232-254, p. 237 et s. Étrangement, consacré seulement au profit du juge judiciaire par l’article 20 (bis) de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967 relative à l’organisation judiciaire, au conseil supérieur de la magistrature et au statut de la magistrature. Les magistrats récalcitrants aux ordres du pouvoir politique ont été victimes d’affectations et de nominations peu avantageuses en guise de représailles. Le ministre de la justice a muté le 1er août 2005 vingt-six magistrats judiciaires adhérents à l’Association des Magistrats tunisiens et ce sans leur consentement (La juge K. KANNOU secrétaire générale de l’association et conseillère à la cour d’appel de Tunis a été muté au tribunal de 1ère instance de Kairouan, W. KAABI membre du bureau exécutif de l’association et conseillère à la cour d’appel de Tunis, a été muté au poste de juge d’instruction au tribunal de 1 ère instance de Gabes). Une telle mutation a été justifiée par la nécessité du service, alors que la raison du déplacement de ces magistrats était d’entraver l’action de ladite 231 L'indépendance du juge administratif pressions de tous genres, les juges administratifs étaient plus au moins protégés dans leur « cage »82. Pourtant, certains juges administratifs ont été victime de la retraite anticipée à l’instar du juge Mohamed Kamel GARDEH qui a été mis à la retraite anticipée en 1990 suite à ses positions défendant l’indépendance de la justice. La Constitution du 27 janvier 2014 consacre la garantie de l’inamovibilité dans son article 107 qui dispose : « le magistrat ne peut être muté sans son consentement. Il ne peut être révoqué, ni faire l’objet de suspension ou de cessation de fonctions, d’une sanction disciplinaire, sauf dans les cas et conformément aux garanties fixées par la loi et en vertu d’une décision motivée du conseil supérieur de la magistrature ». L’article 114 accorde au Conseil supérieur de la magistrature, organe indépendant composé principalement de juges élus par leurs pairs, la charge de garantir le bon fonctionnement de la justice et le respect de son indépendance. Il dispose : « l’Assemblée plénière des trois conseils de la magistrature propose les réformes et donne son avis sur les propositions et projets de loi relatifs à la justice qui lui sont obligatoirement soumis. Chacun des trois conseils statue sur les questions relatives à la carrière et à la discipline des magistrats »83. En attribuant au Conseil supérieur de la magistrature, la question de la mutation des juges, l’article 48 de la loi organique du 28 avril 2016 en fixe les conditions : « le magistrat ne peut être muté en dehors de son poste de travail même dans le cadre d’une promotion sans son consentement exprimé par écrit. Les présentes dispositions n’empêchent pas la mutation du magistrat en vertu d’une décision motivée du conseil de la magistrature pour les considérations de nécessité de service née : de la nécessité de combler les vacances dans les tribunaux ; de la nécessité de pourvoir en cadres judiciaires les tribunaux et les chambres à l’occasion de leur création ; du besoin de renforcement des tribunaux pour faire face à une augmentation 82 83 association, M. A. HELALI, L’indépendance de la justice administrative, Mémoire, FSJPST, 2008-2009, pp. 35-36. Expression du juge Houssem Eddine TRIKI. C’est nous qui soulignons ; L’article 45 de la loi organique n°2016-34 du 28 avril 2016 relative au conseil supérieur de la magistrature dispose : « chaque conseil de la magistrature statue en matière de carrière pour les magistrats qui relèvent de sa compétence, à savoir la nomination, la promotion, et la mutation ». 232 L'indépendance du juge administratif manifeste du volume de travail. La période d’exercice dans le poste de mutation en réponse aux nécessités de service, ne peut dépasser les 3 ans sauf si le magistrat intéressé exprime explicitement sa volonté d’y rester. Les magistrats sont égaux à l’égard des exigences de mutation pour le bon fonctionnement de la justice ». S’agissant de l’immunité du juge, l’article 104 de la Constitution du 27 janvier 2017 dispose : « le magistrat bénéficie de l’immunité pénale et ne peut être poursuivi ou arrêté, tant qu’elle n’est pas levée. En cas de flagrant délit, il peut être arrêté et le conseil de la magistrature dont il relève doit en être informé et statue sur la demande de levée de l’immunité »84. Mais, il convient de distinguer la poursuite des juges pour des fautes sans lien avec l’exercice des fonctions juridictionnelles, qui ne met pas en cause le principe de l’indépendance des juges, de la poursuite des juges au disciplinaire pour le contenu de leurs décisions qui heurte directement le principe de l’indépendance du juge. Sur ce point, la loi précise que les insuffisances professionnelles peuvent être sanctionnées uniquement par le CSM. L’article 58 de la loi organique de 2016 prévoit : « chaque conseil de la magistrature statue en matière disciplinaire pour les magistrats qui relèvent de leur compétence. Les statuts des magistrats fixent l’échelle des sanctions disciplinaires ». En vertu de l’article 54 : « il ne peut être mis fin aux fonctions des magistrats qu’en vertu d’une décision motivée du Conseil supérieur de la magistrature publiée au Journal Officiel de la République ». De son côté, l’article 28 de la loi n°72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du tribunal administratif et au statut de ses membres prévoit que toutes les sanctions disciplinaires sont arrêtées par le Conseil supérieur et prononcées par arrêté du premier ministre à l’exception de la révocation qui est prononcée par décret. Certes, la révocation se matérialise par décret conformément au principe du 84 L’article 3 de la loi n°72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du tribunal administratif et au statut de ses membres telle que modifiée par la loi organique n°83-68 du 21 juillet 1983, la loi organique n°89-71 du 2 septembre 1989, la loi organique n°96-40 du 3 juin 1996 et la loi organique n°2001-78 du 24 juillet 2001 dispose : « Aucun membre du Tribunal administratif ne peut, sans l’autorisation préalable du conseil supérieur, être poursuivi ou arrêté pour crime ou délit. Toutefois, en cas de flagrant délit, il peut être procédé à son arrestation. Dans ce cas, le Tribunal en est informé sans délai ». 233 L'indépendance du juge administratif parallélisme des formes mais il appartient exclusivement au CSM de décider de la révocation. Toutefois, considéré comme une garantie pour l’indépendance de la justice, le CSM connait une crise qui a commencé même avant son installation. Sa composition complexe a fait de lui le lieu de querelles entre les différentes organisations professionnelles qui y sont représentées85. L’ancien vice-président du Conseil d’Etat français Daniel CHABANOL affirmait :« il faut veiller à ne pas tomber dans une dépendance corporatiste qui serait aussi pernicieuse que la dépendance politique qui ne fut jamais la nôtre»86. A ces crises internes s’ajoutent les menaces externes qui mettent en péril cette fois l’indépendance de la justice. Sous l’état d’exception déclaré depuis le 25 juillet 2021, le CSM subit, tout comme les autres institutions constitutionnelles, des menaces sérieuses de la part du président de la République qui détient tous les pouvoirs87. Le 6 février 2022, à minuit, le président de la République annonce lors d’une réunion au ministère de l’intérieur la dissolution du CSM. Cette décision qui a provoqué l’indignation des magistrats et l’inquiétude des bailleurs de fond88 est refusée par le CSM qui dénonce « une atteinte à la constitution et aux garanties de l’indépendance de la justice »89. Une telle intrusion du pouvoir exécutif, attentatoire à l’indépendance de la justice, conduit- 85 86 87 88 89 Association des magistrats tunisiens, Syndicats des magistrats tunisiens, Union des magistrats administratifs et Organisation tunisienne des avocats tunisiens. D. CHABANOL, Le juge administratif, Paris, LGDJ, 1993, p. 24. Il convient de préciser que l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la Tunisie depuis 1968 prévoit : « dans le cas où un danger exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu’elles n’entrainent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale. La disposition précédente n’autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (paragraphe 1 et 2), 11, 15, 16 et 18 », C’est nous qui soulignons. « Tunisie : l’Union européenne préoccupée par la dissolution du conseil supérieur de la magistrature », déclaration de la porte-parole du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, 7 février 2022, Le Figaro, lefigaro.fr Communiqué du CSM le 7 février 2022. 234 L'indépendance du juge administratif elle les composantes du CSM à s’unir et à surpasser leurs querelles interminables ? Le 22 septembre 2021 et en vertu du décret n°2021-11790, le président de la République a suspendu l’application de la Constitution du 27 janvier 2014 en concentrant tous les pouvoirs entre ses mains. Dans sa guerre qu’il mène contre les institutions constitutionnelles, le président de la République s’est lancé dans une stratégie de « purge » par décrets-lois91, en méconnaissant la norme fondamentale et les conventions internationales ratifiées par la Tunisie92. Ayant reçu une demande d’avis de la part de la ministre de la justice concernant un projet de décret-loi relatif à la conciliation pénale avec les impliqués dans les crimes économiques et financières, l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la Magistrature a décidé, dans sa séance tenue le 4 novembre 2021, de refuser toute modification, par décrets-lois de l’édifice constitutionnel relatif à la magistrature et des garanties aux magistrats, tant sur le plan organique que fonctionnel. Elle a souligné que toute réforme relative au CSM, doit se faire dans le cadre des principes et limitations prévues par la Constitution et non dans le cadre des mesures exceptionnelles destinées exclusivement à faire face à un péril imminent. L’assemblée plénière a également décidé, dans sa séance du 5 janvier 2022, de refuser de revoir ou de réformer le système juridictionnel par voie de décrets-lois et dans le cadre des mesures précitées qui visent exclusivement à faire face au danger imminent justifiant la déclaration de l'état d'exception93. 90 91 92 93 Décret présidentiel n°2021-117 du 22 septembre 2021 relatif aux mesures exceptionnelles, JORT, n°86, du 22 septembre 2021, p. 2196. Pour utiliser le terme employé par le président de la République. A titre d’exemple, V. Décret- loi n° 2022-4 du 19 janvier 2022, portant modification de la loi organique n° 2016-34 du 28 avril 2016, relative au Conseil supérieur de la magistrature, JORT, n°8, du 20 janvier 2022, p. 211. V. Avis n°18 relatif au projet du décret-loi relatif à la conciliation pénale avec les impliqués dans les crimes économiques et financières (inédit) : ‫ رفض المساس بواسطة‬2021 ‫ نوفمبر‬4 ‫"قررت الجلسة العامة للمجلس بجلستها المنعقدة بتاريخ‬ ‫ وانه‬،‫المراسيم بالبناء الدستوري للسلطة القضائية وبالضمانات المكفولة للقضاة هيكليا ووظيفيا‬ ‫ بالمبادئ‬،‫من المتعين أن يتم التقيد عند المبادرة بأي إصالح يتعلق بالمجلس األعلى للقضاء‬ ‫وبالضوابط التي جاء بها الدستور على أن ال يكون ذلك في إطار التدابير االستثنائية المتعلقة‬ 2022 ‫ جانفي‬5 ‫ كما قررت الجلسة العامة أيضا بجلستها المنعقدة بتاريخ‬،‫بمجابهة خطر داهم‬ ‫رفض أن تتم مراجعة وإصالح المنظومة القضائية بواسطة المراسيم وفي إطار التدابير المذكورة‬ ،"‫استنادا إلى تعلق هذه األخيرة حصرا بمجابهة الخطر الداهم المبرر إلعالن حالة االستثناء‬ 235 L'indépendance du juge administratif L’Assemblée plénière du CSM a considéré également que le projet du décret-loi, qui prévoit que la nomination des juges en tant que membres du pôle judiciaire de conciliation pénale se fait moyennant un décret présidentiel sur avis du Conseil supérieur de la magistrature, introduit des réformes substantielles sur les compétences du Conseil supérieur de la magistrature dans la nomination des magistrats ce qui contredit les dispositions de l’article 106 de la Constitution et l’article 45 de la loi organique n°34 qui prévoient que la nomination des magistrats se fait par décret présidentiel sur avis conforme du conseil supérieur de la magistrature94. En ce qui concerne la rémunération des juges qui doit favoriser leur sécurité financière, la charte européenne sur le statut des juges du 10 juillet 1998 prévoit dans son article 6 :« l’exercice à titre professionnel des fonctions judiciaires donne lieu à une rémunération du juge ou de la juge dont le niveau est fixé de façon à les mettre à l’abri de pressions visant à influer sur le sens de leurs décisions et plus généralement sur leur comportement juridictionnel en altérant ainsi leur indépendance et leur impartialité ». Les rémunérations des juges administratifs et des juges en général sont censées être en accord avec leurs fonctions95. Un salaire raisonnable et une pension de ‫"وحيث تضمن أيضا مشروع المرسوم المعروض إ صالحا جوهريا آخر اتصل بتدخل في إدارة‬ ‫المسارات الوظيفية للقضاة وتحديدا في تسميتهم أعضاء بالقطب القضائي للصلح الجزائي على‬ ‫ ضرورة أن المرسوم نص على أن تسميتهم تتم بواسطة‬،‫غير الصيغ الدستورية والقانونية النافذة‬ ‫أمر رئاسي باقتراح من المجلس األعلى للقضاء وعلى أن الجلسة العامة لهذا القطب ستتولى‬ ،‫تنظيم العمل بالقطب وستقترح نظامه األساسي الذي ستتم المصادقة عليه بأمر‬ ‫وحيث أن في ذلك تعديل جوهري لصالحيات المجلس األعلى للقضاء في تسمية القضاة التي نص‬ ‫ المتعلق‬2016 ‫ لسنة‬34 ‫ من القانون األساسي عدد‬45 ‫ من الدستور والفصل‬106 ‫الفصل‬ ‫بالمجلس على أنها تتم بناء على رأي مطابق منه في حين اقتضى مشروع المرسوم أنها تتم‬ ‫ بما يؤول إ لى سحب اختصاصه في تسمية هذا الصنف من القضاة بواسطة الرأي‬،‫باقتراح منه‬ ‫ من القانون‬47 ‫المطابق وفي إطار إجراءات أعداد الحركات القضائية الراجعة له بموجب الفصل‬ ‫ كما أ ن ما اسند لكل من رئيس الجمهورية والجلسة العامة للقطب المستحدث من‬،‫المتعلق به‬ ‫صالحيات فيما يتصل بضبط النظام األساسي للقطب يمكن أن يتضمن الحقا أحكاما تتعلق‬ ‫ من‬،‫ سواء سلبا أو إيجابا‬،‫بالمسارات الوظيفية والتأديبية للقضاة المعينين بالقطب وتغير بالتالي‬ ‫طبيعة الضمانات المكفولة لهم بموجب أ نظمتهم األساسية الخاصة التي عهد للمجلس األعلى للقضاء حصريا‬ ‫ بخصوص مشروع مرسوم يتعلق بالصلح الجزائي مع‬18 ‫ الرأي عدد‬."‫صالحية النظر فيها وإدارتها‬ .)‫المتورطين في الجرائم االقتصادية والمالية (غير منشور‬ 95 V. en ce qui concerne la rémunération des magistrats du Tribunal administratif, Décret n°85-908 du 1er juillet 1985, relatif à l’indemnité de magistrature attribuée aux magistrats du Tribunal administratif et l’ensemble des textes qui l’ont modifié et complété et notamment le décret n°2017-1361 du 19 décembre 2017 portant augmentation des montants de l’indemnité de 236 94 L'indépendance du juge administratif retraite garantie les immunisent, a priori, contre les influences et les pressions. 2- La formation, élan à l’indépendance du juge Dans son Ethique à Nicomaque, Aristote admet que « le juge a plus besoin de vertus intellectuelles que de vertus morales pour exercer sa fonction ». Alors que la vertu morale assure la rectitude du but poursuivi, la vertu intellectuelle ou la prudence, c’est-à-dire le choix des moyens pour parvenir au but, demande de l’expérience. D’ailleurs, l’indépendance du juge suppose nécessairement des qualités et des aptitudes professionnelles. Le juge doit maîtriser la science du droit par le moyen d’études supérieures mais aussi il est censé avoir une formation juridique propre à la fonction de juger. Ayant à sa charge une obligation de motivation, afin de convaincre du caractère adéquat de la solution donnée, de l’objectivité de son appréciation et du fondement juridique de sa conviction, le juge ou les juges sont censés être perspicaces. Cette perspicacité s’acquiert par l’expérience. Le rôle pédagogique mais aussi la défense des droits et des libertés nécessitent un savoir et un savoir faire. L’article 103 de la Constitution du 27 janvier 2014 dispose en ce sens : « le magistrat doit être compétent. Il est tenu par l’obligation de neutralité et d’intégrité. Il répond de toute défaillance dans l’accomplissement de ses devoirs ». Aujourd’hui, la multiplication du nombre des juges administratifs, nécessitée par la création de chambres régionales, a-telle été suivie d’une programmation adéquate d’une formation juridique propre en méthodologie juridictionnelle96? La formation 96 magistrature au profit des magistrats du tribunal administratif ; Décret gouvernemental n°2019-285 du 21 mars 2019 portant création d’une indemnité complémentaire provisoire au profit des magistrats de l’ordre judiciaire, des magistrats du Tribunal administratif et des magistrats de la cour des comptes et la fixation de ses montants ; Décret gouvernemental n° 2020768 du 18 septembre 2020 portant augmentation et fixation des montants des salaires au profit des magistrats de l’ordre judiciaire, des magistrats du Tribunal administratif et des magistrats de la cour des comptes, JORT, n°94, du 18 septembre 2020, p. 2079. Sur la base de l’article 15 de la loi du 1er juin 1972 relative au tribunal administratif, le décret gouvernemental du 25 mai 2017 a créé 12 chambres régionales de première instance dérivées du tribunal administratif. 237 L'indépendance du juge administratif programmée aux conseillers adjoints est-elle de nature à assurer la capacité, les vertus et les talents lors de la résolution des litiges ? Abstraction faite de la formation assurée au sein de l’ENA, formation administrative, le cursus actuel des études de droit, le système LMD et la nature du concours suffisent-ils pour former les futurs juges97? La formation des nouveaux juges ne doit-elle pas être assurée dans une structure spécialisée par les anciens juges qui maîtrisent l’art de raisonner ? Peut-on envisager l’unification de la formation des juges judiciaires et des juges administratifs dans l’institut supérieur de la magistrature ? Il convient, à cet égard, de préciser que la loi organique relative au Conseil supérieur de la magistrature en fixant les attributions de l’Assemblée plénière exige l’avis obligatoire de l’assemblée en ce qui concerne la fixation des programmes de formation des auditeurs de justice et des magistrats à l’institut supérieur de la magistrature, école qui a pour mission de former les magistrats de l’ordre judiciaire et militaire, les personnels des greffes des juridictions et les auxiliaires de justice uniquement98. Il est nécessaire de revoir le système de formation des étudiants en droit et des juges. A la formation théorique qui intègre les valeurs universelles et la culture des droits de l’homme assurée par des universitaires au sein de leur lieu naturel, l’université, une formation 97 98 Article 19 de la loi n°72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du tribunal administratif et au statut de ses membres dispose : « Les conseillers adjoints sont nommés par décret pris sur proposition du premier ministre et présentation du premier président comme suit : a) par voie de nomination directe parmi les candidats ayant accompli avec succès le cycle supérieur de l’école nationale d’administration ; et titulaire d’une maîtrise en droit ou d’un diplôme équivalent ; b) par voie de concours organisé par arrêté du premier ministre et comportant une étude du dossier, titres travaux et diplôme des candidats ainsi qu’une discussion avec les membres du jury. Ce concours est ouvert : 1) aux candidats titulaires d’un diplôme d’étude approfondie en droit public ou d’un diplôme équivalent obtenu après la maîtrise en droit ou diplôme équivalent 2) aux agents appartenant à la catégorie A, âgés de trente cinq ans au plus à la date du concours et comptant au moins cinq ans de service civil effectif, en cette qualité, et titulaire d’une maîtrise en droit ou d’un diplôme équivalent ». L’article 20 ajoute : « les candidats commués en application de l’article précédent sont astreints à une période probatoire de deux ans à l’issue de laquelle ils sont nommés dans le grade de conseiller adjoint sur avis favorable du conseil supérieur ». Décret n°99-1290, du 7 juin 1999, fixant l’organisation de l’institut supérieur de la magistrature, le régime des études, et des examens et le règlement intérieur, JORT, n°50, du 22 juin 1999, p. 996. 238 L'indépendance du juge administratif appropriée et continue à la fonction de juger devrait être assurée par les anciens juges. D’ailleurs, le capital humain dont dispose le Tribunal administratif, ces anciens juges qui ont montré à travers leurs décisions un savoir-faire, un savoir culturel et intellectuel important méritent d’être sollicités pour la formation des jeunes juges pour qu’ils assurent la relève. Un magistrat français avait écrit :« On ne peut prendre des universitaires et en faire des magistrats par le seul effet d’un concours. Il faut donc introduire dans la formation une plusvalue qui permette un cheminement personnel identitaire, presque initiatique, qui doit avoir pour effet d’introduire le jeune juriste dans la profession de juge ». L’indépendance des juges, comme celle des médecins, des journalistes et des professeurs d’université nécessite qu'ils soient armés de vertus intellectuelles et de vertus morales exigées par leurs professions sensibles99. L’efficacité des codes de déontologie professionnelle, qui se développent dans tous les secteurs en Tunisie, reste limitée pour des raisons culturelles profondes qui ne favorisent pas la promotion des valeurs morales et éthiques100. Sfax, le 8 février 2022 99 100 « Les professeurs d’universités, les médecins, les journalistes, les artistes sont également concernés par ce principe. De même l’indépendance n’est pas un privilège accordé à telle ou telle profession, il est la garantie pour les citoyens que ceux qui font profession de les juger, de les former, de les soigner, de les informer sont en situation d’exercer leur métier à l’abri de toute pression, il est la garantie pour les citoyens de leur propre liberté », D. ROUSSEAU, « Indépendance de la justice », Dictionnaire des droits de l’homme, Paris, PUF, 2008, p. 515. La culture arabo-musulmane repose sur la contrepartie et le donnant-donnant. 239