L'INDEPENDANCE DU JUGE ADMINISTRATIF
Lamia NEJI
Maître de conférences à la Faculté
de droit de Sfax
Université de Sfax
Qualification juridique, raisonnement juridique, interprétation
juridique, tous ces procédés de la science du droit traduisent la
flexibilité du droit et son caractère humain. Mais autant ces
instruments sont empreints de subjectivité puisqu’ils tiennent compte
du caractère flexible du droit1, autant ils donnent au juge, tout comme
les autres praticiens du droit, une marge de liberté. Cette dernière ne
cesse de s’étendre avec la complexification des rapports sociaux et
l’évolution sociale et technique. En droit et en pratique, le juge crée la
norme juridique même si sa fonction naturelle consiste à appliquer la
règle de droit et non à la créer2. D’où l’exigence de l’indépendance du
juge. En effet, l’indépendance est une garantie pour les citoyens sans
laquelle ils ne peuvent avoir confiance dans le juge.
Qu’est ce qu’on entend par indépendance ? L’indépendance est
définie comme étant le fait de jouir d’une autonomie à l’égard de
quelqu’un ou de quelque chose3. L’indépendance n’est pas une qualité
objective4. Elle n’est pas non plus un privilège mais plutôt un devoir
de conduite exigeante. Elle n’est pas définitivement acquise mais elle
1
2
3
4
J. CARBONNIER, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur,
10ème édition, LGDJ, 2014.
S. BELAID, Essai sur le rôle créateur et normatif du juge, Thèse de Doctorat,
Droit, Paris, 1970.
Dictionnaire Larousse.
R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », Dir. J. ASPIRO
SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE, L’indépendance de la justice, Paris,
L’Harmattan, 2011, p. 47.
211
L'indépendance du juge administratif
doit être toujours prouvée. L’indépendance est souvent associée à la
notion de neutralité et d’impartialité. Mais l’indépendance ne
s’identifie pas à la neutralité du juge même si les deux notions se
croisent. N’a-t-on pas affirmé, certes avec une volonté de provoquer,
que le magistrat neutre est un fantasme5 ?
L’indépendance n’est pas non plus l’impartialité. Alors que
l’impartialité est une question interne et ne peut pas être observée ni
vérifiée6, l’indépendance du juge se mesure principalement par rapport
aux pressions venant de l’extérieur. Dès lors, exiger l’indépendance
du juge est nécessaire en tant que présomption de son impartialité7.
5
6
7
« Qu’on le veuille ou non, il y a et il y aura toujours entre la loi et le cas
particulier un interstice, que le magistrat a vocation à remplir, avec sa conscience,
ses valeurs, ses opinions, ses émotions-ses « affects », dirait Spinoza. Le magistrat
est humain ; cessons donc de vouloir le neutraliser au nom des apparences », M.
BONDUELLE, « Juger est un acte politique », Le monde diplomatique, septembre
2014, p. 28, https://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/BONDUELLE/50780
« Démontrer l’impartialité du juge est une entreprise largement impossible. Sauf
à pouvoir analyser le cerveau du juge lorsqu’il raisonne et à disposer des outils
permettant de comprendre la signification des activations de zones, l’impartialité
ne peut pas constituer un critère pertinent pour « afficher » la validité d’un
raisonnement. Il ne suffit donc pas que le juge prête serment...pour être certain
qu’il le respecte », R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », Dir.
J. ASPIRO SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE, L’indépendance de la justice,
Paris, L’Harmattan, 2011, pp. 50-51. V. également, J-L. BERGEL, Méthodologie
juridique, Paris, PUF, 2001, p. 356.
« L’indépendance est souvent considérée comme une condition de possibilité de
l’impartialité », R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », Dir. J.
ASPIRO SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE, L’indépendance de la justice, Paris,
L’Harmattan, 2011, p. 51, Selon Jean-Louis BERGEL « L’indépendance du juge
qui paraît être la condition de l’impartialité… implique que le juge ne soit soumis
ni à des pressions économiques, sociales ou idéologiques, ni au pouvoir des
experts, ni aux instructions de sa hiérarchie sur le sens et le contenu de sa
décision », J-L. BERGEL, Méthodologie juridique, op. cit, p. 356. Selon l’auteur,
« l’impartialité exclut toute tendance militante, tout favoritisme de sa part, toute
prétention purificatrice propre… le juge ne doit pas se prendre pour un
justicier », J-L. BERGEL, Méthodologie juridique, op. cit, p. 356 ; Toutefois,
dans un arrêt Piersack c. Belgique en date du 1er octobre 1982, la CEDH a admis :
« si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris,
elle peut, notamment sous l’angle de l’article 6 §1, s’apprécier de diverses
manières. On peut distinguer sous ce rapport entre une démarche subjective,
essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur en telle
circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des
garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime. La cour a
également souligné que, pour que les tribunaux inspirent au public la confiance
212
L'indépendance du juge administratif
Mais, l’indépendance ne signifie pas que le juge est totalement
affranchi dans la résolution des litiges8. D’abord, la compétence du
juge est circonscrite par le droit et en tentant de s’en affranchir, le juge
risque le discrédit et la violation de la loi. Ensuite, dans l’exercice de
son pouvoir d’appréciation, le juge est nécessairement soumis à des
contraintes procédurales multiples comme la collégialité en dehors
des contentieux confiés à un juge unique9, le devoir d’écouter les
parties lors du déroulement du litige, la possibilité de requalification
juridique… Ces contraintes sont légitimes et nécessaires tant qu’elles
assurent l’impartialité du juge et le sépare de sa seule subjectivité10.
Mais les contraintes cessent-elles de l’être si elles conduisent à la
dépendance du juge comme l’affirme un auteur11 ?
Le sujet de « l’indépendance du juge » est une occasion pour
méditer le rôle et la place du juge dans l’ordonnancement juridique. Il
est au cœur de la combinaison entre droit et éthique12. L’indépendance
du juge est une garantie pour le justiciable. Il s’agit d’une exigence du
8
9
10
11
12
indispensable, il faut de surcroit tenir compte de considérations de caractère
organique. Si un juge, après avoir occupé au parquet une charge de nature à
l’amener à traiter un certain dossier dans le cadre de ses attributions, se trouve
saisi de la même affaire comme magistrat du siège, les justiciables sont en droit
de craindre qu’il n’offre pas assez de garanties d’impartialité », Indépendance de
la
justice,
https://www.echr.coe.int/Documents/FS_Independence_justice_FRA.pdf
V. R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article précité, p. 51.
« La collégialité est un des grands moyens permettant de passer de juges
dépendants à une justice indépendante. En multipliant les preneurs de décisions,
des négociations vont avoir lieu et la solution qui sera produite par l’institution
ne sera pas nécessairement celle voulue par l’un des membres de l’institution ou
l’un des membres ayant un fort pouvoir sur certains membres de l’institution. Par
ailleurs psychologiquement, les individus auront tendance à considérer qu’une
décision prise par un ensemble d’individus sera moins partiale qu’une décision
prise par un individu isolé (ne serait ce que parce que plus de solutions peuvent
être envisagées … le jugement étant alors un processus de recherche de
solutions) », R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article
précité, p. 59 ; V. également sur la collégialité, D. CHABANOL, Le juge
administratif, Paris, LGDJ, 1993, p.13 et s.
V. R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article précité, p. 52.
R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article précité, p. 54.
Selon J-L BERGEL, indépendance, neutralité et impartialité, constituent l’éthique
du juge, J-L BERGEL, Méthodologie juridique, op. cit, p. 355 ; « Le droit doit …
suivre le chemin de la loyauté et de l’honnêteté », X. LABBES, cité par J. J.
TAISNE, préface ouvrage les critères de la norme juridique, Xavier LABBES,
Presses universitaires de Lille, 1994.
213
L'indépendance du juge administratif
procès équitable comme l’avait précisé la Convention européenne des
droits de l’homme13. N’a-t-on pas affirmé que « l’indépendance du
juge est la sauvegarde même des plaideurs »14 ?
Prévue expressément par l’article 102 alinéa 2 de la
Constitution du 27 janvier 2014 et par l’article 103 d’une manière
implicite15, l’indépendance du juge n’est pas l’indépendance de la
justice. Alors que la première concerne le justiciable, la seconde
touche principalement le corps des juges16. Dans son Esprit des lois, et
en exposant sa théorie sur la liberté politique, Montesquieu
s’intéressait à l’indépendance de la justice. Selon lui, il faut savoir
bien placer la puissance de juger. Elle ne doit pas être dans les mains
de celui qui a la puissance exécutrice17. Montesquieu ne voulait point
la remettre à des magistrats permanents, mais à des jurés. Il affirmait :
« la puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent,
mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple (en note
comme Athènes), dans certains temps de l’année, de manière prescrite
par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la
nécessité le requiert. De cette façon la puissance de juger, si terrible
13
14
15
16
17
L’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme prévoit : « toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et
dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la
loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre
elle… ».
A. Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, Editions
Panthéon Assas, 2001, p. 504.
L’article 102 alinéa deuxième de la constitution prévoit que « le magistrat est
indépendant. Il n’est soumis, dans l’exercice de ses fonctions, qu’à l’autorité de la
loi ». L’article 103 dispose que « le magistrat doit être compétent. Il est tenu par
l’obligation de neutralité et d’intégrité. Il répond de toute défaillance dans
l’accomplissement de ses devoirs ».
R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », article précité, p. 61.
« Le chef d’œuvre de la législation est de savoir bien placer la puissance de juger.
Mais elle ne pouvait être plus mal que dans les mains de celui qui avait déjà la
puissance exécutrice », Esprit des lois, livre XI, chapitre XI. Il ajoutait « Des trois
puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle. Il
n’en reste que deux », En interprétant la phrase de Montesquieu, Léon DUGUIT
conclut que Montesquieu admettait « la subordination de la puissance judiciaire à
la puissance exécutive », cette lecture a été critiquée par A. Esmein, selon l’auteur
Montesquieu ne visait nullement la subordination de la puissance juridictionnelle
à la puissance exécutive comme l’avait conclu Léon DUGUIT, V. A. ESMEIN,
Eléments de droit constitutionnel français et comparé, op. cit, p. 498 (en bas de
page).
214
L'indépendance du juge administratif
parmi les hommes, n’étant pas attachée ni à un certain état ni à une
certaine profession, devient pour ainsi dire invisible et nulle, et l’on
craint la magistrature et non point les magistrats »18.
Ne craignant pas les magistrats car selon lui le juge se contente
d’un calcul mécanique et sa marge de manœuvre est réduite à néant,
Montesquieu ajoutait : « … si les tribunaux ne doivent pas être fixes,
les jugements doivent être à un tel point, qu’ils ne soient jamais qu’un
texte précis de la loi. S’ils étaient une opinion particulière du juge, on
vivrait dans la société, sans savoir précisément les engagements que
l’on y contracte »19.
Dès lors, contrairement à l’indépendance de la justice qui se
mesure par rapport au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif et qui
interdit toute immixtion des deux pouvoirs dans la fonction
juridictionnelle20, l’indépendance du juge, inutile selon Montesquieu
mais rendue nécessaire par l’extension des pouvoirs du juge
parallèlement à l’évolution de la société et du droit fondé sur les droits
fondamentaux, est tributaire de la personnalité du juge, de la
singularité de sa force d’âme, de ses valeurs pour qu’il ne se laisse pas
influencer. Aujourd’hui l’indépendance du juge est mise en avant.
C’est l’indépendance des juges qui conduit à l’indépendance de la
18
19
20
Aucoc, Rapport sur le concours relatif à la séparation des pouvoirs, dans les
comptes rendus de l’académie des sciences morales et politiques, t. CXII, p. 213
et s, Cité par A. Esmein, Eléments de droit constitutionnel français et comparé,
op. cit, p. 498.
Montesquieu, L’esprit des lois, Tome I, Cérès EDITIONS, 1994, p. 182.
Dans la décision 80-119 DC, le conseil constitutionnel français a affirmé « il
résulte des dispositions de l’article 64 C, en ce qui concerne l’autorité judiciaire
et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui
concerne la juridiction administrative, que l’indépendance des juridictions est
garantie ainsi que le caractère spécifique de leur fonction sur lesquelles ne
peuvent empiéter ni le législateur, ni le gouvernement ». Dans sa décision du 22
juillet 1980, le conseil constitutionnel français rappelle « considérant qu’il résulte
des dispositions de l’article 64 de la constitution en ce qui concerne l’autorité
judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en
ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que
l’indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de
leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le
gouvernement qu’ainsi, il n’appartient ni au législateur ni au gouvernement de
censurer les décisions des juridictions, d’adresser à celles-ci des injonctions et de
se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence ».
215
L'indépendance du juge administratif
justice21. Dans ce sens, un auteur avait affirmé « Après l’impartialité
de la loi, la meilleure garantie de la sûreté individuelle c’est
l’existence d’une bonne justice, c’est-à-dire d’une justice où le juge
statue uniquement selon les termes de la loi et les enseignements de sa
conscience. Le fondement d’une bonne organisation de la justice,
c’est l’indépendance des magistrats tant au regard des justiciables
qu’à l’endroit du gouvernement »22. Qu’en est-il du juge
administratif ?
Contrairement au juge judiciaire, le juge administratif tunisien
est formé principalement au sein de l’administration23. Il est son
conseillé24. Il est parfois détaché dans des postes comportant des
responsabilités gouvernementales et par la suite il est appelé à juger
ses actes25. Ayant une fonction particulière celle de juger
l’administration26, le juge administratif s’immisce dans la sphère du
politique. Il joue par la force des choses un rôle politique27. Sortant du
ventre de l’administration28, coincé durant des décennies dans la
21
22
23
24
25
26
27
28
R. LANNEAU, « Quelle indépendance pour les juges ? », Dir. J. ASPIRO
SEDKY, G. DELMAS, S. ROBBE, L’indépendance de la justice, Paris,
L’Harmattan, 2011, p. 60. Il convient de citer la démission du juge A. SOUEB du
poste d’adjoint du premier président du tribunal administratif pour exprimer son
refus de la décision du chef du gouvernement (arrêté du 27 mars 2015) concernant
la prolongation d’activité du premier président du tribunal administratif d’une
année et qui a mis à mal l’indépendance de la justice. A. SOUEB a qualifié cette
décision de violation de la constitution au regard du troisième paragraphe du
préambule de la constitution qui prévoit notamment le principe de la séparation
des pouvoirs et leur équilibre ainsi que l’indépendance de la justice.
G. BURDEAU, Les libertés publiques, Paris, LGDJ, 1972, p. 137 ; V. sur
l’indépendance de la justice en Tunisie, J. AJROUD, « l’indépendance de la
justice en Tunisie », RFDC, 2011/2, n°86, pp. 427-438.
Pour les anciens élèves de l’Ecole Nationale d’Administration.
Article 4 de la loi du 1er juin 1972.
L’article 116 de la constitution du 27 janvier 2014 dispose : « la justice
administrative est composée d’une Haute Cour administrative, de cours
administratives d’appel, et de tribunaux administratifs de première instance. La
justice administrative est compétente pour connaître de l’excès de pouvoir de
l’administration et des litiges administratifs. Elle exerce une fonction consultative
conformément à la loi ».
D. LOSCHAK, Le rôle politique du juge administratif français, Thèse, Université
de Paris, Faculté de droit et des sciences économiques, 1970, p. 11.
D. LOSCHAK, Le rôle politique du juge administratif français, Thèse précitée,
1970, p. 12.
Le conseil supérieur du TA était présidé par le premier ministre. De même le
recrutement des membres du TA était sous son emprise, V. Loi n° 72-67 du 1er
216
L'indépendance du juge administratif
capitale, le juge administratif tunisien a pu acquérir tout au long des
45 années précédentes une crédibilité en cherchant à « concilier les
impératifs de l’ordre avec ceux de la liberté, la protection de l’intérêt
collectif avec la sauvegarde des droits individuels »29.
Affranchi et supposé être protégé par des dispositions
constitutionnelles30, le juge administratif œuvrant dans le champ
politique pour veiller au respect de la légalité arrivera-t-il à prouver
son indépendance et à l’assumer vers plus de protection des droits et
libertés dans un contexte politique de plus en plus tourmenté ?
L’histoire du juge administratif, comme celle de tous les juges,
a montré que l’indépendance du juge ne se construit pas uniquement
par le droit. Le droit participe à la préparation du cadre qui permet
l’épanouissement du juge (II) et lui donne les outils pour juger les
affaires en se basant sur sa conscience (I).
I- UNE INDEPENDANCE
CONSCIENCIEUX
FORGEE
PAR
UN
JUGE
Pour apprécier l’indépendance du juge, il convient de se référer
à ses décisions qui sont des indices fiables de son sérieux, de sa
compétence, de sa foi et de sa vertu31. A l’instar des autres juges, le
juge administratif ne peut être soumis, dans sa fonction, qu’au droit.
Ce droit qui forme un système hiérarchisé. Depuis l’affaire Pierre
Falcon, le juge administratif a tracé une ligne de conduite celle de
défendre les droits et les libertés publiques tout en assurant en même
temps l’intégrité de l’Etat et la pérennité de ses services publics32. Le
29
30
31
32
août 1972 relative au fonctionnement du tribunal administratif et au statut de ses
membres.
D. LOSCHAK, Le rôle politique du juge administratif français, Thèse précitée,
1970, p. 158.
V. B. KARRAY, « la justice administrative dans la constitution tunisienne », in.
Mélanges en l’honneur du doyen Mohamed Salah BEN AÏSSA, Centre de
publication universitaire, 2020, pp. 235-255 (en arabe).
En étudiant la méthodologie juridictionnelle, un auteur avait affirmé qu’« on peut
légitimement exiger des magistrats, non qu’ils soient infaillibles, mais qu’ils
soient … de bons juristes, qu’ils étudient consciencieusement les dossiers, les
écritures et les moyens des parties et qu’ils jugent sans parti pris, ni animosité »,
J-L. BERGEL, Méthodologie juridique, op. cit, p. 357.
TA, aff. n° 325 en date du 14 avril 1981, Pierre FALCON c/ministre de
l’agriculture
217
L'indépendance du juge administratif
célèbre considérant de l’arrêt est devenu la constitution des juges
administratifs33. Serviteur de l’Etat de droit, le Tribunal administratif a
su adapter sa démarche en fonction du contexte et des différentes
contraintes qui pèsent sur lui34. Il a suivi un itinéraire dialectique au
service des droits et des libertés. L’habileté du juge administratif et sa
perspicacité l’avaient conduit à adapter son raisonnement juridique
afin de rendre la justice. En dépit des contraintes qui pèsent sur lui
aussi bien dans un contexte monolithique (1), que dans un contexte
révolutionnaire (2), le Tribunal administratif semble pouvoir assurer,
non sans hésitations, sa mission de défenseur des droits et des libertés
quoi que les décisions du premier président du Tribunal administratif
semblent prendre un tournant négatif.
1- Dans un contexte monolithique
Traité en parent pauvre par les constituants de 195935, privé par
le législateur de la qualité de magistrat et de garanties statutaires
nécessaires pour se protéger contre les immixtions du pouvoir36, le
juge administratif avait une volonté inébranlable de prouver qu’il n’est
jamais complaisant à l’administration bien qu’il ait été considéré par
"تخضع اإلدارة للرقابة القضائية ال سيما وان القضاء اإلداري هو حامي الحقوق والحريات
."العامة والحريص في الوقت ذاته على سالمة الدولة واستمرار مرافقها العامة
33
34
35
36
A. SOUAB, « Le juge et la défense des droits et des libertés dans la constitution
de 2014 », info juridique, n° 204/205, juillet-septembre 2015, pp. 28-30, p. 30.
Selon le professeur Néji BACCOUCHE : « le raisonnement juridique mené par le
juge administratif face à des faits est loin d’être uniforme ou rectiligne. Souvent la
démarche du juge de l’excès de pouvoir s’adapte et s’accommode en fonction du
contexte politique et social ainsi que du référentiel légal et son degré de
pénétration dans la culture sociale », N. BACCOUCHE, Préface à l’ouvrage de
Issam BEN HASSEN, Le contrôle des motifs de fait dans le recours pour excès de
pouvoir, Paris, Editions PUBLISUD, 2011, III.
L’article 69 de la constitution du 1er juin 1959, seul article relatif à la justice
administrative, ne contient aucune disposition relative à l’indépendance de la
justice et à l’indépendance du juge. Il dispose que « le conseil d’Etat se compose
de deux organes : le tribunal administratif et la cour des comptes. La loi
détermine l’organisation du conseil d’Etat et de ses deux organes, et fixe la
compétence et la procédure applicable devant ces deux organes ». De même,
l’article 65 qui prévoit que l’autorité judiciaire est indépendante et que les
magistrats ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la
loi, figure dans le chapitre IV relatif au pouvoir judiciaire.
V. Loi n° 72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du tribunal
administratif et au statut de ses membres.
218
L'indépendance du juge administratif
le pouvoir comme son « enfant biologique » à l’instar de son
homologue français37.
Conscient du déséquilibre existant entre les deux parties au
procès et du caractère liberticide de certaines lois, le juge administratif
cherchait à assurer progressivement et avec prudence la soumission de
l’administration au droit hiérarchisé. Il a imposé à travers ses
décisions le respect, par les actes administratifs, de la Constitution38.
Le juge administratif se réfère par ailleurs régulièrement à la
Constitution pour dégager des principes généraux du droit ou des
principes à valeur constitutionnelle. Il en est ainsi de la théorie de
l’Etat de droit qui était le refuge du juge administratif pour étendre son
contrôle du pouvoir exécutif même avant sa constitutionnalisation en
200239. Le seul contrôle qu’il se refusait à exercer sous la Constitution
du 1er juin 1959 était celui de la constitutionnalité des lois40.
37
38
Napoléon BONAPARTE « Le juge administratif est le juge complaisant de
l’administration », V. M. WALINE, Manuel élémentaire de droit administratif,
Paris, Sirey, 1946, p. 41.
TA, affaire n°15 du 13 septembre 1976, R. 1975-1976, pp. 109-110. V. aussi, TA,
aff n°1887, du 27 juin 1990, R. BEN ACHOUR et autres c/ ministre de
l’éducation; TA, aff., n° 17972 du 16 mars 2002, K. BOU ABDELLI c/ministre
de l’enseignement supérieur ; TA. aff.. n° 18600 du 14 avril 2001, L. REBAIE c/
ministre de l’enseignement supérieur.
"وحيث يستخلص من ردود اإل دارة أن خطأ العارض الوحيد يتمثل في الحقيقة والواقع في شبهة
وحيث على فرض ثبوت هذه الشبهة فإن اآلراء السياسية.حول أفكاره وانتماءاته السياسية
لألعوان العموميين تنصهر ضمن حرية الفكر التي ضمنها الفصل الثامن من الدستور وأكدها
وحيث لم تدل جهة اإلدارة بما يفيد اقتراف المدعي خطأ تأديبي. من الوظيفة العمومية10 الفصل
األمر الذي يجعل تبريرها لقرارها بمجرد أفكاره السياسية مخالفا للقانون خاصة فيما،أو جزائي
تضمنته من حرية الفكر ومبدأ المساواة واتجه بالتالي قبول هذا الفرع كقبول المطعن الماثل
".برمته
فكلما استنجدوا بها طيلة. " نظرية دولة القانون قريبة من قلوب القضاة اإلداريين وعقولهم39
فبصرف النظر عن النقاوة القانونية... السبع سنوات السابقة للثورة إال وجدوها نصيرا لهم
واألناقة السياسية لنظرية دولة القانون فقد لعبت في فقه القضاء اإلداري دورا وظيفيا سمح
من القانون المتعلق بالمحكمة اإلدارية5 بتوسيع الرقابة على السلطة التنفيذية (ينص الفصل
تهدف دعوى تجاوز السلطة إلى ضمان احترام المشروعية القانونية من طرف:على ما يلي
."السلط التنفيذية وذلك طبقا للقوانين والتراتيب الجاري بها العمل والمبادئ القانونية العامة
، المجلة القانونية،2014 "القاضي والدفاع عن الحقوق والحريات في دستور،احمد صواب
. 30 .ص
TA, affaire n° 19620 du 17 janvier 2004, J. S. BOUZNED c/ministre de
l’intérieur :
يتجلى أن العمل المنتقد يمثل خرقا لدولة القانون التي اعتبرها الدستور التونسي من... "وحيث
مبادئ الجمهورية في الفصل الخامس منه والتي من أوكد مقتضياته حسب الفقهاء والقانون
219
L'indépendance du juge administratif
Le juge administratif a intégré les dispositions des conventions
internationales dans les normes de référence du contrôle qu’il effectue.
Dans l’affaire de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, il a fait
primer, en application de l’article 32 de la Constitution du 1er juin
1959, les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques sur les dispositions contraires de la loi sur les associations41.
Dans une autre affaire, il a mis en avant les dispositions de la
convention bien que les dispositions de la loi étaient postérieures42.
Cette dernière décision a contribué à donner son plein effet au contrôle
de conventionalité comme mise en œuvre du principe de la hiérarchie
des normes.
Les raisonnements juridiques suivis par le juge administratif
étaient dédiés à la protection des libertés individuelles et collectives
contre les intrusions excessives de l’autorité administrative. Il était
المقارن وجود قضاء مستقل يراقب "احترام المشروعية من طرف السلطة التنفيذية طبقا للقوانين
والمبادئ القانونية العامة" حسب صريح الفصل الخامس من قانون المحكمة اإلدارية وتكون
أحكامه نافذة وفاعلة".
Affaire n° 15904 du 16 juin 2001, A. A. ELHAZMI c/ le ministre de la
défense nationale :
"وحيث من المسلم به فقها وقضاء أن السلطة التقديرية ،على عكس ما تراه اإلدارة ال تعني
السلطة المعفاة من كل رقابة ،طالما أن القول بخالفه يجعل منها سلطة مطلقة ومصدرا من
مصادر الشرعية ويؤول في نهاية المطاف إلى إعفاء القرارات اإلدارية الصادرة في إطارها من
الخضوع إ لى مبدإ الشرعية من جهة ومن جهة أخرى إلى منع قاضي اإللغاء من ممارسة وظيفته
القانونية في مراقبة هذه القرارات ،وأخيرا إلى خرق أسس دولة القانون التي تفرض حماية حقوق
األفراد طبقه".
TA, Jugement de première instance n°18428 du 5 novembre 2002 :
"حيث يجوز للقاضي اإلداري مراقبة مدى مطابقة القرارات اإلدارية للدستور طالما لم تستند تلك
القرارات إ لى نص تشريعي .وحيث استقر الفقه على اعتبار انه في صورة اتخاذ مقرر إداري
استنادا إ لى نص تشريعي فان القاضي اإلداري يقتصر عند بسط رقابته على شرعية ذلك القرار
على مراقبة مدى احترامه لهذا النص دون أن يتجاوز ذلك إلى النظر في مدى مطابقة النص
التشريعي للنصوص التي تعلوه درجة بما في ذلك الدستور".
TA, Jugement d’appel n°26819 du 1er juin 2011 :
"درج فقه القضاء على اعتبار انه في صورة اتخاذ مقرر إداري استنادا إلى نص تشريعي فان
القاضي اإلداري يقتصر عند بسط رقابته عند تفحص شرعية ذلك القرار على مراقبة مدى
احترامه لذلك النص دون أن يتجاوز ذلك إلى النظر في مدى مطابقة النص التشريعي للنصوص
التي تعلوه مرتبة بما فيها الدستور وذلك اقتضاء بنظرية القانون الحاجب سيما أن مراقبة دستورية
القوانين ال تندرج ضمن االختصاص القضائي للمحكمة اإلدارية".
Arrêt n° 2643 du 21 mai 1996, Ligue tunisienne des droits de l’homme c/ ministre
de l’intérieur.
Affaire n° 15327, du 24 juin 2005, S. MADANI c/ ministre de la santé publique.
220
40
41
42
L'indépendance du juge administratif
très attentif au respect de la liberté de pensée43, la liberté de
conscience44, la liberté de circulation45, la liberté d’association46, la
liberté de la presse ou encore la liberté du commerce et de
l’industrie47. Certains secteurs ont été particulièrement fertiles comme
celui de la fonction publique. Le juge administratif a ainsi joué un rôle
important en matière d’égalité entre hommes et femmes48. La même
position a été adoptée par le juge concernant la reconnaissance du
droit de grève dans la fonction publique49.
Le juge administratif a progressivement accentué son contrôle
en le remodelant en fonction des circonstances et en fonction des
matières50. En matière disciplinaire et en ce qui concerne la motivation
des actes administratifs, le TA a exigé la motivation des décisions
prononçant des sanctions disciplinaires en dépit du silence des
textes51. Il est allé jusqu’à annuler une décision disciplinaire pour
absence de motivation alors que la loi n°20 du 31 mai 1967 portant
43
44
45
46
47
48
TA, aff. n° 18600 du 14 avril 2001, L. REBAIE c/ministre de l’enseignement
supérieur.
TA, aff. n°1/10976 du 9 décembre 2006, S. ADALI c/ ministre de l’éducation et
de la formation.
TA, aff. Th. ACHOUR, du 12 juin 1981 c/ ministre de l’intérieur ; TA, aff. n°
17972 du 16 mars 2002, K. BOUABDELLI c/ministre de l’enseignement
supérieur.
TA, aff. n° 16315/1 du 29 avril 2010, HAMMEDI c/ ministre de l’intérieur et du
développement local et le gouverneur de Tunis.
TA, aff. n°3879, du 14 mars 1995 société krichen c/président de la municipalité de
kasserine.
Décision en date du 10 mars 1998, A. AMEMOU c/ministre de la justice :
1 "حيث يدفع العارض بان نجاح عنصر نسائي في مناظرة عدول اإلشهاد المصرح بنتائجها في
وحيث نص. يخالف الشريعة اإلسالمية لعدم تساوي شهادة المرأة مع شهادة الرجل1993 جويلية
الفصل السادس من الدستور التونسي على ان "كل المواطنين متساوون في الحقوق والواجبات
وحيث أن نجاح العنصر النسائي في المناظرة المطعون في نتائجها...وهم سواء أمام القانون
."مطابق لمبدإ المساواة خاصة بين الجنسين مما يجعل الدفع الماثل حري بالرفض
49
50
51
TA, affaire n°1655 du 2 mai 1990, SNOUSSI c/ministre de l’éducation, de
l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
Issam BEN HASSEN, Le contrôle des motifs de fait dans le recours pour excès de
pouvoir, Paris, Editions PUBLISUD, 2011, p. 439 ; V. F. LOUKIL, Juge de
l’excès de pouvoir et libertés individuelles, Mémoire de master de recherche en
droit public, FDS, 2016.
TA, aff. n° 16946 DU 20 janvier 2000, Wetani c/Ministre de l’intérieur (inédit)
"حيث يجب على اإلدارة أن تعلل قراراتها التأديبية أو التي لها طابع تأديبي ولو في صورة انعدام
."النص الموجب لذلك
221
L'indépendance du juge administratif
statut des militaires ne l’impose pas explicitement52. Pourtant, selon
une jurisprudence établie du TA, l’administration n’a l’obligation de
motiver les actes administratifs qu’en vertu d’un texte législatif ou
réglementaire expresse53.
En matière de police administrative, le juge administratif est
allé jusqu’à contrôler la proportionnalité des mesures de police
susceptibles de porter atteinte à une liberté54. Il vérifie alors si la
restriction apportée à l’exercice d’une liberté est justifiée dans son
principe par une situation particulière, mais également si elle est
adéquate et proportionnée. Aujourd’hui, cette condition d’origine
jurisprudentielle trouve pleinement sa place dans la Constitution du 27
janvier de 2014. L’article 49 de la Constitution de 2014 dispose :
« Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les restrictions
relatives aux droits et libertés garantis par la constitution et à leur
exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre
aux exigences d’un Etat civil et démocratique, et en vue de
sauvegarder les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique,
de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité
publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions
et leurs justifications. Les instances juridictionnelles assurent la
protection des droits et libertés contre toute atteinte ». Toutefois, la
présidence du TA est restée insensible à la dynamique qui animait le
reste des juges. Désignés par le président de la République et
n’appartenant pas aux corps des magistrats, les différents premiers
présidents du TA55, ont réussi à refouler certaines affaires qui étaient
de nature à embarrasser le pouvoir en place. Il en est ainsi de l’affaire
52
53
54
55
TA, aff. n°25030 du 29 mars 2006, Ministre de la défense nationale c/ Marzough
(inédit), V. sur la question, I. BEN HASSEN, « La motivation des actes
administratifs, Une exigence de transparence », in. Transparence et droit,
Ouvrage collectif en l’honneur du doyen Néji BACCOUCHE, Publications du
centre d’études fiscales de la FDS, 2020-2021, pp. 147-192, p. 175.
TA, aff. n°476 du 16 juin 1981, Jaber c/Ministre du plan et des finances (inédit) ;
aff. n°1028 du 31 décembre 1984, Ben Salah c/Ministre du transport et des
communications, Rec, TA, p. 502 ; aff. n°11639 du 26 octobre 2005, Mohamed
c/Ministre de l’éducation (inédit) ; TA, aff. n°18104 du 13 mars 2001, Massoud
c/Président de la municipalité de Tunis (inédit)., V. I. BEN HASSEN, « La
motivation des actes administratifs, Une exigence de transparence », article
précité, p. 173.
TA, affaire n° 3879 du 14 mars 1995, KRICHENE c/municipalité de Kasserine,
Rec, TA, p. 128.
Hormis le président Ghazi Jribi 2007-2011.
222
L'indépendance du juge administratif
relative au recours en annulation du décret n°629 du 3 avril 2002
relatif à la convocation du corps électoral au référendum sur le projet
de loi constitutionnelle portant modification de certaines dispositions
de la constitution du 1er juin 1959 et des résultats du référendum
organisé le 26 mai 2002. Enregistrée au greffe du TA depuis le 4
juillet 2002, la requête n’a été examinée qu’en 2008 sous la présidence
du magistrat Ghazi JRIBI56.
2- Dans un contexte révolutionnaire
La révolution tunisienne avait pour conséquence la dilution du
pouvoir et l’affaiblissement de l’Etat. Le juge administratif n’était pas
à l’abri des pressions extérieures d’origine médiatique, économique,
culturelle, politique qui cherchent à influencer ses décisions. Mieux
encore, dans un contexte révolutionnaire, le juge n’est pas resté en
dehors de la dynamique sociale et juridique. En faisant partie du
processus de régénération de la société tunisienne, le Tribunal
administratif, fort de sa légitimité historique, a réajusté son contrôle
pour assurer efficacement sa fonction de garant tant des droits et des
libertés que de l’intérêt général fixé par le pouvoir politique. Plongé
au cœur de l’agitation révolutionnaire, le juge administratif a tenté de
jouer le rôle de modérateur.
Ayant tracé son chemin celui de la protection des droits et des
libertés, le juge administratif a su s’adapter aux changements de la
donne. Tant que les droits sont en péril, et tant qu’il n’ya pas un garant
du respect de ces droits ou tant que la protection des droits
fondamentaux s’avère insuffisante, il se déclare compétent. Ainsi, il a
su qu’il était temps de reconnaître sa compétence en tant que juge de
la constitutionnalité des lois.
Suspendue, la Constitution du 1er juin 1959 ou ses valeurs sont
restées dans l’esprit du juge administratif. Il était conscient que les
droits et libertés n’avaient pas besoin d’être inscrits dans un texte et
que l’absence de Constitution n’est pas de nature à l’empêcher
d’exercer le contrôle y compris des actes législatifs ou des actes
56
V. TA n°26757 du 15 juillet 2008, Ben Sedrine c/le premier ministre,
Jurisprudence du TA pour l’année 2008, Tunis, 2010, pp. 151-154 ; V. B.
KARRAY, « la justice administrative dans la constitution tunisienne », article
précité, p. 237.
223
L'indépendance du juge administratif
présumés législatifs. Il était temps qu’il se libère d’une lecture
formelle de l’article 5 de la loi de 197257. Dans ses arrêts en date du 7
novembre 2013, le TA a affirmé qu’il est du devoir du juge
administratif, en l’absence d’un juge constitutionnel de contrôler la
conformité de la loi à la Constitution, aux principes fondamentaux
constitutionnels et aux conventions en vigueur58.
Le TA n’a pas hésité à contrôler la constitutionnalité d’une loi
même en présence d’un organe chargé du contrôle59. Dans l’arrêt du
10 octobre 2014, le juge administratif a admis qu’il pouvait apprécier
la constitutionnalité d’une disposition de loi tant qu’elle a échappé au
contrôle de l’instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des
57
L’article 5 de la loi n°72-40 du 1er juin 1972 relative au tribunal administratif
dispose : « le recours pour excès de pouvoir vise à assurer conformément aux lois
et règlements en vigueur et aux principes généraux du droit le respect de la
légalité par les autorités exécutives ».
" وحيث ولئن كان دور القاضي اإلداري يتمثل في التثبت من مدى حسن تطبيق القانون فإنه من58
النظر في،واجبه في غياب محكمة دستورية تبت بصفة أصلية في مطابقة القانون للدستور
مدى احترام النص التشريعي لمصادر القانون التي تعلوه والمتمثلة في الدستور والمبادئ
األساسية ذات ا لقيمة الدستورية وكذلك المعاهدات النافذة ليخلص عند االقتضاء إلى استبعاده
."كلما تم الدفع بذلك أمامه
V. Les décisions n°134854, n°134855, n°134866 en date du 7 novembre 2013
rendues par l’assemblée générale du TA.
Il convient de préciser que le juge civil en 2013 a jugé que les articles de la
constitution du 1er juin 1959 en rapport avec les libertés sont toujours en vigueur,
cour d’appel de Tunis, arrêt rendu en référé le 5 février 2013
من دستور10 " حيث أن جواز السفر هو من مستلزمات حرية التنقل المضمونة بموجب الفصل
الذي يبقى نافذا في أحكامه الضامنة للحقوق والحريات األساسية لكونها غير، 1959 جوان1
". من العهد الدولي للحقوق المدنية والسياسية12 وبموجب الفصل،قابلة بطبيعتها لإللغاء
59
En privant le TA de la compétence de contrôler la constitutionnalité des projets de
lois dans l’attente de la mise en place de la cour constitutionnelle, la constitution a
chargé une instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois.
L’article 148 ajoute que « les tribunaux ordinaires sont réputés incompétents pour
contrôler la constitutionnalité des lois », La même interdiction est rappelée par
l’article 3 de la loi organique du 18 avril 2014 relative à l’instance provisoire de
contrôle de constitutionnalité des projets de lois, « L’instance procède au contrôle
de constitutionnalité des projets de loi sur demande du président de la
République, du chef du gouvernement ou de trente députés au moins..Les
tribunaux sont réputés incompétents pour contrôler la constitutionnalité des
lois ». Et pourtant, le tribunal administratif a jugé qu’il est de son devoir d’étendre
son contrôle aux lois.
224
L'indépendance du juge administratif
projets de lois. Dès lors, il a admis l’existence d’une hiérarchie dans la
Constitution concluant que les dispositions transitoires ne peuvent
constituer un obstacle devant le juge qui a l’obligation selon l’article
102 de garantir la suprématie de la Constitution60. Dans l’arrêt du 15
mai 2017, le tribunal administratif a soulevé d’office
l’inconstitutionnalité de l’article 85 de la loi relative au tribunal
administratif et a affirmé son inconstitutionnalité au motif qu’il est
contraire à l’article 108 de la Constitution qui consacre le principe de
double degré de juridiction. Bien que les dispositions transitoires
énoncent l’interdiction pour les tribunaux de contrôler la
constitutionnalité des lois, l’article 102 de la Constitution en donne la
possibilité en disposant que le pouvoir judiciaire « garantit la
suprématie de la Constitution, la souveraineté de la loi et la
protection des droits et des libertés ».
Le juge administratif ne s’est pas laissé emporter par le
mouvement de populisme et de démagogie qui a accompagné la
révolution de 2011. Selon lui, la liberté n’est pas l’anarchie. La liberté
se doit d’être encadrée notamment pour répondre aux exigences du
service public. Dans l’affaire n°26255 en date du 28 janvier 2011
concernant l’habit sectaire, le Tribunal administratif a considéré que la
liberté de choix de l’habit et la liberté de croyance s’exercent de la
part de l’agent public lors de l’exercice de ses fonctions dans la
mesure où cela n’est pas incompatible avec l’obligation de réserve qui
pèse sur lui et le principe de la neutralité du service public61. La même
60
61
Les dispositions transitoires ont été définies comme étant des « règles énoncées
dans une nouvelle constitution particulière qui déterminent de manière
temporaire, pour une période intermédiaire, les modalités de passage du régime
de l’ancienne constitution à celui de la nouvelle constitution en établissant, pour
cette période, un régime original, distinct et temporaire », L. PECH, « les
dispositions transitoires en droit constitutionnel », RRJ, cahiers de méthodologie
juridique, n°14, p. 1408.
Statuant en appel, la 5ème chambre d’appel a décidé dans l’affaire n° 26255 du 28
janvier 2011 :
"وحيث بخصوص حرية اللباس وحرية المعتقد فهما تمارسان من قبل العون العمومي عند أداء
الوظيفة بالقدر الذي ال يتنافى مع واجب التحفظ المفروض عليه ومع حياد المرفق العمومي
وحيث يفرض المنطق أن تزداد التضييقات على مثل هذه الحريات.المفروض على اإلدارة
على أن،الفردية كلما ازد اد عدم التكافئ بين العون ومنظوره وزادت قدرته على التاثير عليه
ترجع مبدئيا ممارسة تلك الحريات إلى مداها الجاري به العمل في البالد بمجرد مغادرته مقر
فإنه يجوز إلدارة، وعلى نحو ما جاء به المنشور المنتقد، وحيث تفريعا على ما سبق.الوظيف
التعليم منع المدرسين والمدرسات وكذلك األعوان من ارتداء لباس أو حمل رموز أو اتباع مظهر
225
L'indépendance du juge administratif
position a été prise dans l’avis consultatif de 2012 concernant le port
du voile intégral au sein de l’université. Le juge a conclu que la
préservation de l’ordre public appartient au directeur de l’institution
universitaire62.
En intériorisant que la légalité n’est formelle qu’en apparence et
qu’elle s’identifie à la « légitimité rationnelle »63, le juge administratif
a su assouplir les outils à sa disposition pour remplir sa mission de
contrôle au service de l’Etat de droit. L’adoption d’une conception
libérale de l’intérêt pour agir des requérants64, l’exercice du contrôle
ما شابه ذلك من الصور التي من شأنها أن تعكس مغاالة أي كان اتجاهها وأن توحي بصورة
مباشرة أو بارزة وواضحة انتماء طائفيا أو دينيا أو سياسيا أو عرقيا ،...والذي يمكن أن يؤخذ من
قبل المتلقين ،ال سيما كلما صغر سنهم ،أو من قبل أوليائهم أو المجتمع على أنه على األقل استمالة
وتأثير على األولين في الذكر وعلى األ كثر استدراجهم واستقطابهم النتماءات المدرس .وحيث أن
هذا التقييد يعد شرعيا ،تطبيقا لواجب التحفظ بالنسبة للعون وتجسيما لمبدا الحياد الواجب على
اإلدارة .وحيث ال خالف في علوية المصلحة العامة إن تعارضت مع المصلحة الخاصة ،من ذلك
أنه يستحيل إعمال المبادئ العامة لسير المرافق العمومية ،وخاصة االستمرارية والمساواة
والحياد والتأقلم من دون المساس من الحريات الفردية وحتى العامة الراجعة على حد السواء
لألعوان العموميين ولمنظوري اإل دارة والتي هي بطبيعتها ليست مطلقة .وحيث بناء على ما ذكر
يتجه إقرار شرعية المنشور المطعون فيه ".
du TA concernant une consultation relative à la possibilité d’organiser le port du
voile intégral dans l’enceinte universitaire moyennant des mesures et règlements
intérieurs :
62
"تدخل العمداء ومديري مؤسسات التعليم العالي يجب أن يقتصر على اتخاذ التدابير العامة أو
الفردية الضرورية لضمان حسن سير المرفق العمومي وتالفي كل ما من شأنه اإلخالل بالنظام
العام داخل فضاءاته وإعاقة نشاطه البيداغوجي والعلمي أو اإلخالل بنزاهة االمتحانات وعلى أن
ترتكز المقررات الصادرة في هذا الشأن على مبدإ أن ال حق ألحد في االنتفاع بالخدمات التي
يسديها المرفق العمومي بمقراته المفتوحة للعموم وهو مغطى الوجه وذلك كلما اقتضى حسن
سير المرفق الكشف عن الوجه للتمتع بتلك الخدمات ،وأن حدود ذلك المنع بالنسبة لموضوع
االستشارة ،يجب أن يقتصر على حضر تغطية الوجه بصفة كاملة او جزئية داخل مكونات
الفضاء الجامعي ،فحسب ودون أن يمتد إلى أي إجراء إضافي من شأنه المس من حرية المعتقد
واللباس الراجعة لمستعملي المرفق العمومي".
Max weber, Cité par G. BURDEAU, Traité de science politique, Tome IV, Paris,
LGDJ, p. 141.
Slim MDINI, « L’élargissement de l’intérêt à agir », (inédit).
Pour l’admission de la qualité de contribuable : V. Jugement en référé n° 711506
en date du 10 mars 2011 :
"وحيث دأ ب فقه قضاء هذه المحكمة على اعتبار أن الصفة في القيام أمام القضاء تستمد من
المصلحة ويتم تقديرهما حسب كل حالة معروضة عليه وذلك بعد األخذ بعين االعتبار مالبساتها
ويجب أن يقترن ذلك بوجود حقوق ومنافع مادية كانت أو معنوية يهدف القائم بالدعوى إلى
حمايتها أو الحصول عليها .وحيث بالمتأمل في أوراق الملف يتضح أن الطالبين يستمدون
الشرطين المشار إ ليهما من آثار الوضعية المتمثلة في مواصلة صرف الدولة المنح واالمتيازات
البرلمانية وانعكاساتها على ميزانيتها وهو إ جراء من شأنه أن يساهم في ازدياد الواجبات
226
63
64
L'indépendance du juge administratif
de constitutionnalité par voie d’exception sans qu’elle soit soulevée
par l’une des parties, en constituent le meilleur exemple.
Face à l’audace du tribunal administratif dans sa formation
collégiale, le président du TA a fait preuve de « conformisme ». Sous
l’état d’exception, le président du TA a rendu des décisions en matière
de sursis à exécution qui sont loin d’être convaincantes. Face à une
série de décisions d’assignation à résidence sur la base du décret du 26
janvier 1978, et suite à la déclaration du président de la République de
l’état d’exception sur la base de l’article 80 de la Constitution, le
président du TA accepte tant tôt la suspension de l’exécution d’une
décision65, et refuse tant tôt la suspension d’une autre en se basant sur
le même fondement à savoir le décret du 26 janvier 197866. Rappelons
الضريبية المحمولة على ال مدعين والترفيع في قاعدة األداء الموظف عليهم كالتأثير على
وضعياتهم وذممهم المالية .وحيث يعد القاضي اإلداري الحامي لألموال العمومية مما يستدعي
منه النظر في مدى وجاهة المنازعة الراهنة".
V. aussi, les décisions n°414825, n°414826, n° 4148427, n°414828 en date du 18
octobre 2012, N. BACCOUCHE c/président de l’Assemblée Nationale
constituante :
"وحيث دأب فقه القضاء اإلداري على اعتبار أن المصلحة في القيام يتم تقديرها حسب مالبسات
كل حالة معروضة على المحكمة على أ ن يقترن ذلك بوجود حقوق ومنافع مادية كانت أو معنوية
يهدف القائم بالدعوى إلى ح مايتها أو الحصول عليها .وحيث يتضح بالتأمل في المستندات التي
تأسس عليها المطلب الراهن أن المدعي يستمد شرط المصلحة من اآلثار المترتبة عن صرف
الدولة المنح واالمتيازات النيابية وانعكاساتها".
Décision en matière de sursis à exécution n°4106655 du 23 septembre 2021 :
" وحيث ولئن كان لإلدارة الحق في إخضاع بعض المواطنين إلى االجراء الحدودي
في إطار مهمة الحفاظ على األمن العام المتعهدة بها وزارة الداخلية حسب أحكام الفصل 4من
األمر عدد 342لسنة 1975والتي تندرج في إطار ممارسة سلطة الضبط اإلداري والتي تخول
لإلدارة اتخاذ ما تراه ضروريا لحماية األمن العام ،إال أن الحد من بعض الحقوق والحريات
المضمونة دستوريا ومنها حرية التنقل يجب أن يكون حسب مقتضيات الفصل 49من الدستور
بمقتضى قانون ولضروريات األمن العام ،وان عبء إثبات تلك الضروريات محمول على اإلدارة
تحت رقابة الهياكل القضائية التي تسهر على حماية تلك الحقوق والحريات من أي انتهاك .وحيث
أمام أ حجام اإلدارة عن الرد ،وفي ظل انعدام السند الواقعي والقانوني للقرار المطعون فيه تغدو
األسباب التي استند إليها المطلب جدية في ظاهرها على معنى أحكام الفصل 39المشار إليه
أعاله ،كما أن التمادي في تنفيذه من شأنه أن يتسبب للعارضة في نتائج يصعب تداركها".
66وحيث دفعت اإلدارة بخصوص النتائج التي يصعب تداركها ان قرار الوضع تحت اإلقامة
الجبرية هو من قبل التدابير الوقتية الوقائية التي تنتهي بانتهاء حالة الطوارئ والتي تم التمديد
فيها إلى غاية 19جانفي 2022بموجب األمر الرئاسي عدد 67لسنة 2021المؤرخ في 23
جويلية 2021المشار إ ليه أعاله ،ويمكن رفع هذا االجراء حال انتفاء موجبه ولو مع تواصل
حالة الطوارئ ،وبان اإلدارة حريصة على ضمان معيشة المعني باألمر بالسماح له بالتنقل
بكامل مرجع الترابي لمركز األ من الوطني التابع له من حيث اإلقامة /مؤكدة أنه يمكن
227
65
L'indépendance du juge administratif
que la chambre de 1ère instance du Tribunal administratif avait, dans
trois décisions successives n°146676, n°150169 et n°150168 en date
du 2 juillet 2018 portant sur des recours pour excès de pouvoir à
l’encontre de décisions d’assignation à résidence, proclamé la nullité
des décisions prises sur la base de l’article 5 du décret n°78-50 du 26
janvier 1978 réglementant l’état d’urgence67. Le Tribunal administratif
a affirmé : « considérant que le droit à la libre circulation et de
quitter le territoire du pays est considéré comme l’un des droits
fondamentaux garanti à chaque citoyen par l’article 24 de la
Constitution, qui ne peut être limité que par une loi, afin de préserver
l’intérêt général, dont l’interprétation doit être stricte. Considérant
que le pouvoir exécutif et les instances étatiques sont munis d’un
pouvoir réglementaire qui leur permet de promulguer des décrets et
des circulaires afin de servir l’intérêt général ou de sauvegarder la
sûreté publique sans que celles-ci n’apportent des restrictions aux
droits et libertés sauf celles fixées par la loi »68. Le TA a conclu à
5 وبطلب منه السماح له بالتنقل خارجه لقضاء حاجياته األساسية استنادا إلى احكام الفصل
. المتعلق بتنظيم حالة الطوارئ1978 لسنة50 من االمر عدد
1978 جانفي26 المؤرخ في1978 لسنة50 من االمر عدد5 وحيث تقتضي احكام الفصل
وحيث دأبت المحكمة بخصوص المطالب الرامية الى توقيف تنفيذ...المشار إ ليه أعاله
القرارات المتعلقة بالوضع تحت اإلقامة الجبرية على االذن بتوقيف تنفيذ هذه القرارات
جزئيا كلما تضمنت منع األشخاص المعنيين بها من مغادرة محل اقامتهم باعتبار ان ذلك يعد
انتهاكا جسيما للحقوق والحريات التي يكفلها لهم الدستور وخاصة حريتهم في التنقل
وحيث لم يتبين ان التمادي في تنفيذ القرار المنتقد من شانه ان...وممارسة حقوقهم األساسية
، المشار اليه أعاله39 يتسبب للعارض في نتائج يصعب تداركها على معنى احكام الفصل
عدد، قرار في مادة توقيف التنفيذ،"مما يتوجه معه رفض المطلب على هذا األساس
،4106699 وأيضا قرار عدد،) (غير منشور2021 سبتمبر30 مؤرخ في،4106703
.) (غير منشور2021 سبتمبر30 مؤرخ في
67
L’article 5 du décret n°78-50 du 26 janvier 1978 réglementant l’état d’urgence
dispose : « le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence
dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée, de toute
personne résidant dans une des zones prévues à l’article 2 dont l’activité
s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics desdites zones ».
"وحيث أن الحق في التنقل ومغادرة تراب الوطن يعد من الحقوق األساسية المكفولة لكل
والتي ال يسوغ تقييدها إال بموجب قانون صريح، من الدستور24 مواطن بموجب الفصل
على أن تؤول،يكون الهدف منه تحقيق المصلحة العامة وأن ال يمس من جوهر الحق
.الضوابط والحدود التي تنال من هذا الحق تأويال ضيقا
وحيث من الجائز للسلطة التنفيذية وللهيئات العمومية ممارسة ما لها من سلطة ترتيبية أو
سلطة إ صدار تراتيب داخلية أو قرارات فردية خدمة للمصلحة العامة أو حماية للنظام العام
غير أنه ال يمكن أن تحمل تلك القرارات أو التدابير قيودا أو تضييقات إال في حدود ما
حكم ابتدائي،146676 قضية عدد،"تضمنته القوانين الصادرة عن السلطة التشريعية
228
68
L'indépendance du juge administratif
l’inconstitutionnalité du décret réglementant l’état d’urgence qui
impose des restrictions sur l’exercice du droit à la libre circulation et
de choisir sa résidence qui n’ont pas été établies par une loi
conformément à l’article 49 de la Constitution du 27 janvier 201469.
II- UNE INDEPENDANCE MENACEE EN L'ABSENCE DE
GARANTIES OBJECTIVES
L’indépendance est une question personnelle. Elle dépend de la
conscience du juge. Les garanties lors du recrutement, lors du
déroulement de la carrière, la formation des juges, le régime
disciplinaire du juge sont nécessaires mais insuffisantes en soi pour
assurer l’indépendance du juge. L’adoption d’un code de déontologie
du magistrat tel que prévu par la loi relative au Conseil supérieur de la
magistrature peut servir à préciser les interdictions et les obligations
qui incombent aux juges70. Le code de déontologie peut prévoir,
بتاريخ 2جويلية ( ،2018غير منشور)و قضية عدد 150169حكم ابتدائي بتاريخ 2جويلية
( ،2018غير منشور) ،قضية عدد ، 150168حكم ابتدائي بتاريخ 2جويلية ( 2018غير منشور).
69
"وحيث طالما أن األمر عدد 50لسنة 1978المؤرخ في 26جانفي 1978والمتعلق بتنظيم
حالة الطوارئ تضمن قيودا وضوابط تحد من ممارسة حق التنقل والحق في اختيار مقر
اإلقامة ،لم يسبق ضبطها بنص تشريعي يحترم المقتضيات الدستورية الواردة بالفصل 49
من دستور 27جانفي ،2014رغم مرور أربع سنوات على انتخاب مجلس نواب الشعب،
فان استناد جهة اإلدارة على مثل هذا النص الترتيبي لتأسيس صالحياتها في ضبط حرية
التنقل واختيار المقر والحد منها دون وجود نصوص تشريعية تحدد تلك الضوابط وشروط
أعمالها ،يعد مخالفا للدستور ،األمر الذي يجعل القرار المنتقد دون سند قانوني وتعين لذلك
قبول هذا المطعن وإلغاء القرار المطعون فيه" ،حكم ابتدائي عدد ،146676بتاريخ 2
جويلية ( ،2018غير منشور) و حكم ابتدائي عدد 150169بتاريخ 2جويلية ( ،2018غير
منشور).
"وحيث لئن اكتفى األمر عدد 342لسنة 1975المؤرخ في 30ماي 1975المتعلق بضبط
مشموالت وزارة الداخلية بإسناد وزارة الداخلية "مهام مراقبة جوالن األشخاص بكامل تراب
الجمهورية" في إطار مشموالت عامة بوصفها سلطة ضبط إداري فان األمر عدد 50لسنة
1978والمتعلق بتنظيم حالة الطوارئ تضمن قيودا وضوابط تحد من ممارسة حق التنقل
والحق في اختيار مقر اإلقامة لم يسبق ضبطها بنص تشريعي يحترم المقتضيات الدستورية
الواردة بالفصل 49من دستور 27جانفي .2014وحيث يغدو استناد جهة اإلدارة على
نصوص ترتيبية لتأسيس صالحياتها في ضبط حرية التنقل واختيار المقر والحد منها دون
وجود نصوص تشريعية تحدد تلك الضوابط وشروط أعمالها مخالفا للدستور األمر الذي
يجعل القرار المنتقد صادرا دون سند قانوني وتعين لذلك قبول المطعن" ،القضية عدد
،150168حكم ابتدائي بتاريخ 2جويلية ( 2018غير منشور).
L’article 42 de la loi organique n°2016-34 du 28 avril 2016 relative au conseil
supérieur de la magistrature attribue à l’assemblée plénière du conseil
supérieur de la magistrature qui regroupe les trois conseils de la magistrature
la charge d’élaborer le code de déontologie des magistrats.
229
70
L'indépendance du juge administratif
également, des principes qui proposent un comportement idéal à
l’instar du modèle canadien71. Outre le code, les obligations
déontologiques peuvent résulter également de l’engagement pris par le
juge administratif de se conduire comme un magistrat digne et loyal
lors de la prestation de son serment72. Mais, pour qu’il soit
responsable, le juge est supposé avoir un haut niveau de compétence
(2). Il ne peut mener sa mission en toute impartialité s’il ne bénéficie
pas de garanties statutaires (1).
1- La protection statutaire, une garantie de l’indépendance
du juge
On vise par protection statutaire, l’inamovibilité du juge, la
rémunération et la sécurité sociale73.
« Un juge qui craint pour sa place, ne rend plus la justice »74.
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’inamovibilité des
juges est une condition essentielle pour leur indépendance75.
L’inamovibilité est le fait de ne pas être « destitué, suspendu ou
déplacé » contre son gré76. « L’inamovibilité vise à interdire toute
71
72
73
74
75
A. OUIMET, « L’indépendance du juge comme devoir déontologique au
Québec », Les cahiers de la justice, n°2, 2012/2, Dalloz, pp. 75-92, p. 87-88,
https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2012-2-page-75.htm
L’article 1er loi n°72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du tribunal
administratif et au statut de ses membres dispose : « les membres du Tribunal
administratif prêtent avant leur installation le serment suivant : « je jure par Dieu
de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des
délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
V. La loi n°85-12 du 5 mars 1985 portant régime des pensions civiles et militaires
de retraite et des survivants dans le secteur public modifiée par le décret-loi
n°2011-48 du 4 juin 2011 et la loi n°2019-37 du 30 avril 2019 modifiant et
complétant la loi n°85-12 du 5 mars 1985, relative au régime des pensions civiles
et militaires de retraite et des survivants dans le secteur public.
Expression du procureur général français Dupin Citée par J. GIQUEL, « La
justice et l’Etat », Les petites affiches, n° 2013, du 25 octobre 2000, p. 46.
Selon la CEDH, l’inamovibilité n’a pas besoin de consécration expresse en droit ;
Dans un arrêt récent (affaire n°139606 du 29 mai 2015, N. Ben Ali c/chef du
gouvernement), le TA a considéré que l’inamovibilité est une condition de
l’indépendance de la justice
"مبدأ عدم جواز نقلة القاضي دون رضاه الذي يعتبر من المبادئ األساسية ذات القيمة الدستورية
."المكرسة الستقالل القضاء
76
J. MALENOVSKY, « L’indépendance des juges internationaux », Recueil des
cours de l’Académie de droit international, (2011) vol.349, pp. 9-276, p. 159.
230
L'indépendance du juge administratif
modification de la situation d’un juge résultant d’une décision prise
par une autorité extérieure à la juridiction à laquelle il appartient,
avec pour finalité soit de sanctionner l’intéressé pour ses décisions
antérieures, soit de l’intimider pour l’avenir, c’est-à-dire de le
décourager de rendre de futures décisions pouvant paraître
inacceptables aux yeux de ladite autorité »77.
Ignorée par la Constitution de 1959 et par la loi78,
l’inamovibilité des juges administratifs était consacrée en partie du
fait de la centralisation de la justice administrative. Préjudiciable pour
les justiciables, la centralisation de la juridiction administrative à
Tunis avait, paradoxalement, pour avantage de protéger les juges
administratifs contre les mutations abusives79. Contrairement aux
juges judiciaires, qui en dépit de l’existence d’une disposition qui les
protège80, ont souffert des mutations abusives81, des suspensions et des
77
78
79
80
81
J. MALENOVSKY, « L’indépendance des juges internationaux », article précité,
p. 159 ; « Dire d’un juge qu’il est inamovible, signifie qu’il ne peut faire l’objet
d’une mesure individuelle quelconque prise à son encontre par le gouvernement
(révocation, suspension, déplacement, mise à la retraite prématurée) en dehors
des cas et des conditions prévues par la loi », R. PERROT, Institutions
judiciaires, 12ème édition, Montchrestien, Paris, 2006, p. 301.
En vertu de la loi n°96-39 du 3 juin 1996 portant modification de la loi du 1 er juin
1972 relative au tribunal administratif, et celle n°1-75 du 17 juillet 2001 modifiant
la loi du 8 mars 1968 portant organisation de la cour des comptes, le législateur a
prévu la possibilité de création de chambres de première instance relevant du
tribunal administratif et des chambres de la cour des comptes au niveau des
régions. Pourtant, il n’a pas prévu le principe de l’inamovibilité.
V. Sur la centralisation du TA, B. KARRAY, « Le contentieux de légalité dans un
Etat de droit », in. Constitution et Etat de droit, Actes du colloque de
commémoration du cinquantenaire de la promulgation de la constitution
tunisienne du 1er juin 1959, Sfax, 6-7 février 2009, 2010, pp. 232-254, p. 237 et s.
Étrangement, consacré seulement au profit du juge judiciaire par l’article 20 (bis)
de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967 relative à l’organisation judiciaire, au conseil
supérieur de la magistrature et au statut de la magistrature. Les magistrats
récalcitrants aux ordres du pouvoir politique ont été victimes d’affectations et de
nominations peu avantageuses en guise de représailles.
Le ministre de la justice a muté le 1er août 2005 vingt-six magistrats judiciaires
adhérents à l’Association des Magistrats tunisiens et ce sans leur consentement
(La juge K. KANNOU secrétaire générale de l’association et conseillère à la cour
d’appel de Tunis a été muté au tribunal de 1ère instance de Kairouan, W. KAABI
membre du bureau exécutif de l’association et conseillère à la cour d’appel de
Tunis, a été muté au poste de juge d’instruction au tribunal de 1 ère instance de
Gabes). Une telle mutation a été justifiée par la nécessité du service, alors que la
raison du déplacement de ces magistrats était d’entraver l’action de ladite
231
L'indépendance du juge administratif
pressions de tous genres, les juges administratifs étaient plus au moins
protégés dans leur « cage »82. Pourtant, certains juges administratifs
ont été victime de la retraite anticipée à l’instar du juge Mohamed
Kamel GARDEH qui a été mis à la retraite anticipée en 1990 suite à
ses positions défendant l’indépendance de la justice.
La Constitution du 27 janvier 2014 consacre la garantie de
l’inamovibilité dans son article 107 qui dispose : « le magistrat ne
peut être muté sans son consentement. Il ne peut être révoqué, ni faire
l’objet de suspension ou de cessation de fonctions, d’une sanction
disciplinaire, sauf dans les cas et conformément aux garanties fixées
par la loi et en vertu d’une décision motivée du conseil supérieur de la
magistrature ». L’article 114 accorde au Conseil supérieur de la
magistrature, organe indépendant composé principalement de juges
élus par leurs pairs, la charge de garantir le bon fonctionnement de la
justice et le respect de son indépendance. Il dispose : « l’Assemblée
plénière des trois conseils de la magistrature propose les réformes et
donne son avis sur les propositions et projets de loi relatifs à la justice
qui lui sont obligatoirement soumis. Chacun des trois conseils statue
sur les questions relatives à la carrière et à la discipline des
magistrats »83.
En attribuant au Conseil supérieur de la magistrature, la
question de la mutation des juges, l’article 48 de la loi organique du
28 avril 2016 en fixe les conditions : « le magistrat ne peut être muté
en dehors de son poste de travail même dans le cadre d’une
promotion sans son consentement exprimé par écrit. Les présentes
dispositions n’empêchent pas la mutation du magistrat en vertu d’une
décision motivée du conseil de la magistrature pour les considérations
de nécessité de service née : de la nécessité de combler les vacances
dans les tribunaux ; de la nécessité de pourvoir en cadres judiciaires
les tribunaux et les chambres à l’occasion de leur création ; du besoin
de renforcement des tribunaux pour faire face à une augmentation
82
83
association, M. A. HELALI, L’indépendance de la justice administrative,
Mémoire, FSJPST, 2008-2009, pp. 35-36.
Expression du juge Houssem Eddine TRIKI.
C’est nous qui soulignons ; L’article 45 de la loi organique n°2016-34 du 28 avril
2016 relative au conseil supérieur de la magistrature dispose : « chaque conseil de
la magistrature statue en matière de carrière pour les magistrats qui relèvent de
sa compétence, à savoir la nomination, la promotion, et la mutation ».
232
L'indépendance du juge administratif
manifeste du volume de travail. La période d’exercice dans le poste de
mutation en réponse aux nécessités de service, ne peut dépasser les 3
ans sauf si le magistrat intéressé exprime explicitement sa volonté d’y
rester. Les magistrats sont égaux à l’égard des exigences de mutation
pour le bon fonctionnement de la justice ».
S’agissant de l’immunité du juge, l’article 104 de la
Constitution du 27 janvier 2017 dispose : « le magistrat bénéficie de
l’immunité pénale et ne peut être poursuivi ou arrêté, tant qu’elle
n’est pas levée. En cas de flagrant délit, il peut être arrêté et le conseil
de la magistrature dont il relève doit en être informé et statue sur la
demande de levée de l’immunité »84. Mais, il convient de distinguer la
poursuite des juges pour des fautes sans lien avec l’exercice des
fonctions juridictionnelles, qui ne met pas en cause le principe de
l’indépendance des juges, de la poursuite des juges au disciplinaire
pour le contenu de leurs décisions qui heurte directement le principe
de l’indépendance du juge. Sur ce point, la loi précise que les
insuffisances professionnelles peuvent être sanctionnées uniquement
par le CSM. L’article 58 de la loi organique de 2016 prévoit : «
chaque conseil de la magistrature statue en matière disciplinaire pour
les magistrats qui relèvent de leur compétence. Les statuts des
magistrats fixent l’échelle des sanctions disciplinaires ». En vertu de
l’article 54 : « il ne peut être mis fin aux fonctions des magistrats
qu’en vertu d’une décision motivée du Conseil supérieur de la
magistrature publiée au Journal Officiel de la République ». De son
côté, l’article 28 de la loi n°72-67 du 1er août 1972 relative au
fonctionnement du tribunal administratif et au statut de ses membres
prévoit que toutes les sanctions disciplinaires sont arrêtées par le
Conseil supérieur et prononcées par arrêté du premier ministre à
l’exception de la révocation qui est prononcée par décret. Certes, la
révocation se matérialise par décret conformément au principe du
84
L’article 3 de la loi n°72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du
tribunal administratif et au statut de ses membres telle que modifiée par la loi
organique n°83-68 du 21 juillet 1983, la loi organique n°89-71 du 2 septembre
1989, la loi organique n°96-40 du 3 juin 1996 et la loi organique n°2001-78 du 24
juillet 2001 dispose : « Aucun membre du Tribunal administratif ne peut, sans
l’autorisation préalable du conseil supérieur, être poursuivi ou arrêté pour crime
ou délit. Toutefois, en cas de flagrant délit, il peut être procédé à son arrestation.
Dans ce cas, le Tribunal en est informé sans délai ».
233
L'indépendance du juge administratif
parallélisme des formes mais il appartient exclusivement au CSM de
décider de la révocation.
Toutefois, considéré comme une garantie pour l’indépendance
de la justice, le CSM connait une crise qui a commencé même avant
son installation. Sa composition complexe a fait de lui le lieu de
querelles entre les différentes organisations professionnelles qui y sont
représentées85. L’ancien vice-président du Conseil d’Etat français
Daniel CHABANOL affirmait :« il faut veiller à ne pas tomber dans
une dépendance corporatiste qui serait aussi pernicieuse que la
dépendance politique qui ne fut jamais la nôtre»86. A ces crises
internes s’ajoutent les menaces externes qui mettent en péril cette fois
l’indépendance de la justice. Sous l’état d’exception déclaré depuis le
25 juillet 2021, le CSM subit, tout comme les autres institutions
constitutionnelles, des menaces sérieuses de la part du président de la
République qui détient tous les pouvoirs87. Le 6 février 2022, à minuit,
le président de la République annonce lors d’une réunion au ministère
de l’intérieur la dissolution du CSM. Cette décision qui a provoqué
l’indignation des magistrats et l’inquiétude des bailleurs de fond88 est
refusée par le CSM qui dénonce « une atteinte à la constitution et aux
garanties de l’indépendance de la justice »89. Une telle intrusion du
pouvoir exécutif, attentatoire à l’indépendance de la justice, conduit-
85
86
87
88
89
Association des magistrats tunisiens, Syndicats des magistrats tunisiens, Union
des magistrats administratifs et Organisation tunisienne des avocats tunisiens.
D. CHABANOL, Le juge administratif, Paris, LGDJ, 1993, p. 24.
Il convient de préciser que l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques ratifié par la Tunisie depuis 1968 prévoit : « dans le cas où un danger
exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel,
les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la
situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent
pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres
obligations que leur impose le droit international et qu’elles n’entrainent pas une
discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la
religion ou l’origine sociale. La disposition précédente n’autorise aucune
dérogation aux articles 6, 7, 8 (paragraphe 1 et 2), 11, 15, 16 et 18 », C’est nous
qui soulignons.
« Tunisie : l’Union européenne préoccupée par la dissolution du conseil supérieur
de la magistrature », déclaration de la porte-parole du haut représentant de l’Union
européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, 7 février 2022,
Le Figaro, lefigaro.fr
Communiqué du CSM le 7 février 2022.
234
L'indépendance du juge administratif
elle les composantes du CSM à s’unir et à surpasser leurs querelles
interminables ?
Le 22 septembre 2021 et en vertu du décret n°2021-11790, le
président de la République a suspendu l’application de la Constitution
du 27 janvier 2014 en concentrant tous les pouvoirs entre ses mains.
Dans sa guerre qu’il mène contre les institutions constitutionnelles, le
président de la République s’est lancé dans une stratégie de « purge »
par décrets-lois91, en méconnaissant la norme fondamentale et les
conventions internationales ratifiées par la Tunisie92. Ayant reçu une
demande d’avis de la part de la ministre de la justice concernant un
projet de décret-loi relatif à la conciliation pénale avec les impliqués
dans les crimes économiques et financières, l’assemblée plénière du
Conseil supérieur de la Magistrature a décidé, dans sa séance tenue le
4 novembre 2021, de refuser toute modification, par décrets-lois de
l’édifice constitutionnel relatif à la magistrature et des garanties aux
magistrats, tant sur le plan organique que fonctionnel. Elle a souligné
que toute réforme relative au CSM, doit se faire dans le cadre des
principes et limitations prévues par la Constitution et non dans le
cadre des mesures exceptionnelles destinées exclusivement à faire
face à un péril imminent. L’assemblée plénière a également décidé,
dans sa séance du 5 janvier 2022, de refuser de revoir ou de réformer
le système juridictionnel par voie de décrets-lois et dans le cadre des
mesures précitées qui visent exclusivement à faire face au danger
imminent justifiant la déclaration de l'état d'exception93.
90
91
92
93
Décret présidentiel n°2021-117 du 22 septembre 2021 relatif aux mesures
exceptionnelles, JORT, n°86, du 22 septembre 2021, p. 2196.
Pour utiliser le terme employé par le président de la République.
A titre d’exemple, V. Décret- loi n° 2022-4 du 19 janvier 2022, portant
modification de la loi organique n° 2016-34 du 28 avril 2016, relative au Conseil
supérieur de la magistrature, JORT, n°8, du 20 janvier 2022, p. 211.
V. Avis n°18 relatif au projet du décret-loi relatif à la conciliation pénale avec
les impliqués dans les crimes économiques et financières (inédit) :
رفض المساس بواسطة2021 نوفمبر4 "قررت الجلسة العامة للمجلس بجلستها المنعقدة بتاريخ
وانه،المراسيم بالبناء الدستوري للسلطة القضائية وبالضمانات المكفولة للقضاة هيكليا ووظيفيا
بالمبادئ،من المتعين أن يتم التقيد عند المبادرة بأي إصالح يتعلق بالمجلس األعلى للقضاء
وبالضوابط التي جاء بها الدستور على أن ال يكون ذلك في إطار التدابير االستثنائية المتعلقة
2022 جانفي5 كما قررت الجلسة العامة أيضا بجلستها المنعقدة بتاريخ،بمجابهة خطر داهم
رفض أن تتم مراجعة وإصالح المنظومة القضائية بواسطة المراسيم وفي إطار التدابير المذكورة
،"استنادا إلى تعلق هذه األخيرة حصرا بمجابهة الخطر الداهم المبرر إلعالن حالة االستثناء
235
L'indépendance du juge administratif
L’Assemblée plénière du CSM a considéré également que le
projet du décret-loi, qui prévoit que la nomination des juges en tant
que membres du pôle judiciaire de conciliation pénale se fait
moyennant un décret présidentiel sur avis du Conseil supérieur de la
magistrature, introduit des réformes substantielles sur les compétences
du Conseil supérieur de la magistrature dans la nomination des
magistrats ce qui contredit les dispositions de l’article 106 de la
Constitution et l’article 45 de la loi organique n°34 qui prévoient que
la nomination des magistrats se fait par décret présidentiel sur avis
conforme du conseil supérieur de la magistrature94.
En ce qui concerne la rémunération des juges qui doit favoriser
leur sécurité financière, la charte européenne sur le statut des juges du
10 juillet 1998 prévoit dans son article 6 :« l’exercice à titre
professionnel des fonctions judiciaires donne lieu à une rémunération
du juge ou de la juge dont le niveau est fixé de façon à les mettre à
l’abri de pressions visant à influer sur le sens de leurs décisions et
plus généralement sur leur comportement juridictionnel en altérant
ainsi leur indépendance et leur impartialité ». Les rémunérations des
juges administratifs et des juges en général sont censées être en accord
avec leurs fonctions95. Un salaire raisonnable et une pension de
"وحيث تضمن أيضا مشروع المرسوم المعروض إ صالحا جوهريا آخر اتصل بتدخل في إدارة
المسارات الوظيفية للقضاة وتحديدا في تسميتهم أعضاء بالقطب القضائي للصلح الجزائي على
ضرورة أن المرسوم نص على أن تسميتهم تتم بواسطة،غير الصيغ الدستورية والقانونية النافذة
أمر رئاسي باقتراح من المجلس األعلى للقضاء وعلى أن الجلسة العامة لهذا القطب ستتولى
،تنظيم العمل بالقطب وستقترح نظامه األساسي الذي ستتم المصادقة عليه بأمر
وحيث أن في ذلك تعديل جوهري لصالحيات المجلس األعلى للقضاء في تسمية القضاة التي نص
المتعلق2016 لسنة34 من القانون األساسي عدد45 من الدستور والفصل106 الفصل
بالمجلس على أنها تتم بناء على رأي مطابق منه في حين اقتضى مشروع المرسوم أنها تتم
بما يؤول إ لى سحب اختصاصه في تسمية هذا الصنف من القضاة بواسطة الرأي،باقتراح منه
من القانون47 المطابق وفي إطار إجراءات أعداد الحركات القضائية الراجعة له بموجب الفصل
كما أ ن ما اسند لكل من رئيس الجمهورية والجلسة العامة للقطب المستحدث من،المتعلق به
صالحيات فيما يتصل بضبط النظام األساسي للقطب يمكن أن يتضمن الحقا أحكاما تتعلق
من، سواء سلبا أو إيجابا،بالمسارات الوظيفية والتأديبية للقضاة المعينين بالقطب وتغير بالتالي
طبيعة الضمانات المكفولة لهم بموجب أ نظمتهم األساسية الخاصة التي عهد للمجلس األعلى للقضاء حصريا
بخصوص مشروع مرسوم يتعلق بالصلح الجزائي مع18 الرأي عدد."صالحية النظر فيها وإدارتها
.)المتورطين في الجرائم االقتصادية والمالية (غير منشور
95 V. en ce qui concerne la rémunération des magistrats du Tribunal
administratif, Décret n°85-908 du 1er juillet 1985, relatif à l’indemnité de
magistrature attribuée aux magistrats du Tribunal administratif et l’ensemble
des textes qui l’ont modifié et complété et notamment le décret n°2017-1361
du 19 décembre 2017 portant augmentation des montants de l’indemnité de
236
94
L'indépendance du juge administratif
retraite garantie les immunisent, a priori, contre les influences et les
pressions.
2- La formation, élan à l’indépendance du juge
Dans son Ethique à Nicomaque, Aristote admet que « le juge a
plus besoin de vertus intellectuelles que de vertus morales pour
exercer sa fonction ». Alors que la vertu morale assure la rectitude du
but poursuivi, la vertu intellectuelle ou la prudence, c’est-à-dire le
choix des moyens pour parvenir au but, demande de l’expérience.
D’ailleurs, l’indépendance du juge suppose nécessairement des
qualités et des aptitudes professionnelles. Le juge doit maîtriser la
science du droit par le moyen d’études supérieures mais aussi il est
censé avoir une formation juridique propre à la fonction de juger.
Ayant à sa charge une obligation de motivation, afin de
convaincre du caractère adéquat de la solution donnée, de l’objectivité
de son appréciation et du fondement juridique de sa conviction, le juge
ou les juges sont censés être perspicaces. Cette perspicacité s’acquiert
par l’expérience. Le rôle pédagogique mais aussi la défense des droits
et des libertés nécessitent un savoir et un savoir faire. L’article 103 de
la Constitution du 27 janvier 2014 dispose en ce sens : « le magistrat
doit être compétent. Il est tenu par l’obligation de neutralité et
d’intégrité. Il répond de toute défaillance dans l’accomplissement de
ses devoirs ».
Aujourd’hui, la multiplication du nombre des juges
administratifs, nécessitée par la création de chambres régionales, a-telle été suivie d’une programmation adéquate d’une formation
juridique propre en méthodologie juridictionnelle96? La formation
96
magistrature au profit des magistrats du tribunal administratif ; Décret
gouvernemental n°2019-285 du 21 mars 2019 portant création d’une
indemnité complémentaire provisoire au profit des magistrats de l’ordre
judiciaire, des magistrats du Tribunal administratif et des magistrats de la cour
des comptes et la fixation de ses montants ; Décret gouvernemental n° 2020768 du 18 septembre 2020 portant augmentation et fixation des montants des
salaires au profit des magistrats de l’ordre judiciaire, des magistrats du
Tribunal administratif et des magistrats de la cour des comptes, JORT, n°94,
du 18 septembre 2020, p. 2079.
Sur la base de l’article 15 de la loi du 1er juin 1972 relative au tribunal
administratif, le décret gouvernemental du 25 mai 2017 a créé 12 chambres
régionales de première instance dérivées du tribunal administratif.
237
L'indépendance du juge administratif
programmée aux conseillers adjoints est-elle de nature à assurer la
capacité, les vertus et les talents lors de la résolution des litiges ?
Abstraction faite de la formation assurée au sein de l’ENA, formation
administrative, le cursus actuel des études de droit, le système LMD et
la nature du concours suffisent-ils pour former les futurs juges97?
La formation des nouveaux juges ne doit-elle pas être assurée
dans une structure spécialisée par les anciens juges qui maîtrisent l’art
de raisonner ? Peut-on envisager l’unification de la formation des
juges judiciaires et des juges administratifs dans l’institut supérieur de
la magistrature ? Il convient, à cet égard, de préciser que la loi
organique relative au Conseil supérieur de la magistrature en fixant les
attributions de l’Assemblée plénière exige l’avis obligatoire de
l’assemblée en ce qui concerne la fixation des programmes de
formation des auditeurs de justice et des magistrats à l’institut
supérieur de la magistrature, école qui a pour mission de former les
magistrats de l’ordre judiciaire et militaire, les personnels des greffes
des juridictions et les auxiliaires de justice uniquement98.
Il est nécessaire de revoir le système de formation des étudiants
en droit et des juges. A la formation théorique qui intègre les valeurs
universelles et la culture des droits de l’homme assurée par des
universitaires au sein de leur lieu naturel, l’université, une formation
97
98
Article 19 de la loi n°72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du
tribunal administratif et au statut de ses membres dispose : « Les conseillers
adjoints sont nommés par décret pris sur proposition du premier ministre et
présentation du premier président comme suit : a) par voie de nomination directe
parmi les candidats ayant accompli avec succès le cycle supérieur de l’école
nationale d’administration ; et titulaire d’une maîtrise en droit ou d’un diplôme
équivalent ; b) par voie de concours organisé par arrêté du premier ministre et
comportant une étude du dossier, titres travaux et diplôme des candidats ainsi
qu’une discussion avec les membres du jury. Ce concours est ouvert : 1) aux
candidats titulaires d’un diplôme d’étude approfondie en droit public ou d’un
diplôme équivalent obtenu après la maîtrise en droit ou diplôme équivalent 2)
aux agents appartenant à la catégorie A, âgés de trente cinq ans au plus à la date
du concours et comptant au moins cinq ans de service civil effectif, en cette
qualité, et titulaire d’une maîtrise en droit ou d’un diplôme équivalent ». L’article
20 ajoute : « les candidats commués en application de l’article précédent sont
astreints à une période probatoire de deux ans à l’issue de laquelle ils sont
nommés dans le grade de conseiller adjoint sur avis favorable du conseil
supérieur ».
Décret n°99-1290, du 7 juin 1999, fixant l’organisation de l’institut supérieur de la
magistrature, le régime des études, et des examens et le règlement intérieur,
JORT, n°50, du 22 juin 1999, p. 996.
238
L'indépendance du juge administratif
appropriée et continue à la fonction de juger devrait être assurée par
les anciens juges. D’ailleurs, le capital humain dont dispose le
Tribunal administratif, ces anciens juges qui ont montré à travers leurs
décisions un savoir-faire, un savoir culturel et intellectuel important
méritent d’être sollicités pour la formation des jeunes juges pour qu’ils
assurent la relève. Un magistrat français avait écrit :« On ne peut
prendre des universitaires et en faire des magistrats par le seul effet
d’un concours. Il faut donc introduire dans la formation une plusvalue qui permette un cheminement personnel identitaire, presque
initiatique, qui doit avoir pour effet d’introduire le jeune juriste dans
la profession de juge ».
L’indépendance des juges, comme celle des médecins, des
journalistes et des professeurs d’université nécessite qu'ils soient
armés de vertus intellectuelles et de vertus morales exigées par leurs
professions sensibles99. L’efficacité des codes de déontologie
professionnelle, qui se développent dans tous les secteurs en Tunisie,
reste limitée pour des raisons culturelles profondes qui ne favorisent
pas la promotion des valeurs morales et éthiques100.
Sfax, le 8 février 2022
99
100
« Les professeurs d’universités, les médecins, les journalistes, les artistes sont
également concernés par ce principe. De même l’indépendance n’est pas un
privilège accordé à telle ou telle profession, il est la garantie pour les citoyens
que ceux qui font profession de les juger, de les former, de les soigner, de les
informer sont en situation d’exercer leur métier à l’abri de toute pression, il est la
garantie pour les citoyens de leur propre liberté », D. ROUSSEAU,
« Indépendance de la justice », Dictionnaire des droits de l’homme, Paris, PUF,
2008, p. 515.
La culture arabo-musulmane repose sur la contrepartie et le donnant-donnant.
239