IKUSKA nouvelle collection - année 2022 - 1er trimestre - n° 53
ISSN 1149-896X
« Géologie et Minéralogie »
Anselme Boece de Boodt, 1550-1632, Gemmologue Praticien.
De Bruges à Prague, Itinéraire Européen d’un Humaniste.
1ère partie
Nicolas Zylberman
1
[email protected]
RÉSUMÉ
Sa puissante formation académique et les étapes de son riche parcours
européen, la prépondérance du cercle belge établi à Prague et l‟appui d‟une
coterie alchimique, permirent au brugeois Anselme Boece de Boodt de s‟agréger à la cour impériale où il devint conseiller, ami et médecin personnel de
Rodolphe II. Fondé sur l‟ensemble des biographies existantes à son sujet, cette
étude révèle de nouveaux éléments sur cette individualité humaniste représentative de son époque.
Afin d‟appréhender notre personnage, nous analysons l‟interpénétration
de ses influences, discernons sa fonction alchimique, mettons à jour sa face
hermétique, considérons ses doubles vérités - foi et raison – en soulignant son
créationnisme et nous divulguons une exégèse des Cymbalum mundi & aureum. Nous rassemblons ses inscriptions universitaires européennes, sa formation aristotélicienne, la réalité de l‟enseignement d‟Eraste et la diversité de ses
savoirs médicaux qu‟il appliquait avec ses gemmes, pour apprécier ses commentaires sur la philosophie naturelle. Nous tentons de révéler la naissance de
son dessein, l‟évolution de son sens de l‟observation, sa curiosité géologique,
son extrême passion naturaliste, son rôle de transcripteur et ses ascendances
intellectuelles. Nous examinons les rôles et fonctions qu‟il exerçait ; nous découvrons sa pugnacité, son respect envers ses maîtres, son sens de l‟amitié, sa
conviction catholique inaliénable, son intuition politique et la richesse de son
cercle professionnel.
Son cursus, ses recherches et sa profonde fidélité portée à Rodolphe II furent
distinguées par le patronage impérial nécessaire à l‟écriture de son œuvre le
Gemmarum et Lapidum Historia – Le Parfaict Joaillier. Grâce à ses opinions
1/ Master2 2012 Histoire et Philosophie des Sciences - Lille1 (Fr) – CHSE.
DUG 1998 Diplôme d'Université de Gemmologie, Nantes (Fr) UFR sciences et techniques.
FEEG 1996 European degree: Federation for European Education in Gemology.
BPG 1996 Diplôme d‟État français : Brevet Professionnel de Gemmologie.
ING 1996 Diplôme de l‟Institut National de Gemmologie de Paris.
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complexes et à ses théories précurseuses, de Boodt rédigea la première encyclopédie gemmologique / minéralogique. Ce dernier lapidaire 2 clôturant la
longue période de glaciation du règne minéral, deviendra la source des minéralogistes et cristallographes du XVIII siècle, ce prodigieux traité prenant
la place de pivot dans l'articulation des savoirs de la minéralogie.
ABSTRACT
His powerful academic training and the stages of his rich European career, the preponderance of the
Belgian circle established in Prague and the support of an alchemical coterie, enabled the Bruges Anselme
Boece de Boodt to join the imperial court where he became counselor, friend and personal physician of
Rodolphe II. Based on all the existing biographies about him, this study reveals new elements about this
humanistic individuality representative of his time.
In order to apprehend our character, we analyze the interpenetration of his influences, discern his alchemical function, update his hermetic face, consider his double truths - faith and reason - by emphasizing his
creationism and we disclose an exegesis of the Cymbalum mundi - aureum. We gather his European
university entries, his Aristotelian training, the reality of Erastus teaching and the diversity of his medical
knowledge that he applied with his gems to appreciate his comments on natural philosophy. We try to
reveal the birth of his goal, the evolution of his sense of observation, his geological curiosity, his extreme
naturalistic passion, his role as a transcriber and his intellectual ancestry. We look at the roles and functions he played; we discover his pugnacity, his respect for his professors, his sense of friendship, his inalienable Catholic conviction, his political intuition and the richness of his professional circle. His curriculum,
his research and his deep fidelity to Rodolphe II were distinguished by the imperial patronage necessary to
write his work the Gemmarum and Lapidum Historia - Le Parfaict Joaillier. Through his complex
opinions and precursive theories, de Boodt wrote the first gemological and mineral encyclopedia. This last
lapidary, closing the long period of glaciation of the mineral kingdom, became the source of the 18 th century mineralogists and crystallographers, this prodigious treatise taking the place of pivot in the articulation
of the knowledge of mineralogy.
ANSELMUS BOETIUS DE BOODT BRUGENSIS BELGA
Anselme, Anselmi, Anselmum, Anselmus. Boodt, Bood, Boot, Boots, Bote,
Booth, Botus, Boate.
Au tournant des années 1580 il aurait acquis le second patronyme de
Boëtius qui serait la latinisation de Boodt ; Boece est la francisation de
Boëtius, Boetii est adopté sur l'édition du Gemmarum de 1609. Pour
Delepierre 4, c'est „Anselme Boëtius ou de Boodt ‟ ; selon Kickx 5, Anselme et
Boece sont des noms de baptême. Chez Gysel 6, « Boèce est un prénom
comme Anselme et nullement la traduction de son nom de famille De Boodt
». Il signe Anselmus de Boodt ou A.D.B. sur ses albums dessinés (cf. infra).
Anselmus Boëtius de Boodt figure sur son épitaphe (cf. infra). Nous
utiliserons ABB.
2/ Nous utilisons lapidaire-s en italique pour désigner la littérature attenante aux gemmes, corpus
antique généralement arrêté au moment de la création de l’imprimerie ; d’autres formes de lapidaires
imprimés prendront place au XVI e siècle afin de perpétuer la tradition. A contrario nous utilisons
lapidaire pour le métier de tailleur, polisseur de gemmes.
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1 - De Boodt à l’âge de 46 ans, portrait et dédicace par Egidius Sadeler. 22.5x13.5 cm.
OBSTANDO sortis casus DELEMUS acerbos,
Hinc uni fidas, nam sic SUMES STABILE UNO.
Anselmus Boetius de Boodt Brugensis Belga I.V.L.
Rudolphi II. Roman. Imperatoris Cubicularius Medicus
SUMES STABILE UNO
⊙
Hanc effigiem amico suo optime de se
merito antiqua, apud grudios nobilitated
claro gratitudinis ergo sculpsit et
dedicavit Ægidius Sadeler S.C.M. sculptor.
3/ En 1846 à Bruges, cette gravure servit de modèle à la sculpture de son buste aujourd’hui disparu.
Domaine public.
4/ Delepierre, artistes brugeois, p.35
5/ Kickx, « Esquisses […] III Anselme Boece de Boodt », p.28
6/ Gysel, « De Boodt », p.33.
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3
Anselme de Boodt naît à Bruges en 1550, cité où il passera son enfance
- avec ses six frères et ses trois sœurs - et sa retraite, à la fin du règne (1519 à
1558) de Charles-Quint (1500-1558) dans l’une des plus anciennes familles
catholiques de la noblesse flamande, Il cite, p.334 7 « Un très noble Gentilhomme N. Dummanne, Heroal de l’Ordre de la Toison d’or (dont les ayeuls estoiet
conjoincts devant plusieurs années à notre famille, & partat mon cousin) ».
La famille de Boodt atteint son apogée au XVIe siècle, leur fortune s’étant établie grâce à leur ancestrale participation aux affaires publiques de la
cité, à leur politique matrimoniale ambitieuse et à leur esprit entrepreneurial,
singulièrement dans les affaires maritimes. Ses membres vivaient dans les
quartiers situés autour du vieux port, du marché et jusqu'à la bourse, ce qui
nous informe sur les activités commerciales, sociales et intellectuelles du foyer
dans lequel Anselme grandit 8. Kickx note que « De Boodt occupait la maison
habitée depuis par M. Octave Delepierre et située vis-à-vis du pont du Béguinage » 9, cette dernière étant désormais devenue un hôtel.
C’est en fervent pratiquant qu’il dirigera toute sa vie, « Tous les passages de ses écrits où de Boodt parle de lui-même portent l’empreinte d'une
grande droiture de cœur et d’une admirable simplicité de mœurs. Ses contemporains le dépeignent de même et n'en parlent qu’avec les plus grands
éloges.» 10
Son portrait gravé (cf. supra) à l’âge de quarante-six ans par Egidius Sadeler
(1570-1629) comporte la dédicace de ce proche ami : « Hanc effigiem ami-co
suo optime de se merito antiqua, apud grudios nobilitate claro gratitudinis
ergo sculpsit et dedicavit Aegidius Sadeler S.C.M. sculptor ».
Le haut de cette estampe est coiffé de l’évocation de la lutte du spirituel sur le
temporel : l’aigle symbolisant le Christ, triomphe du cygne incarnant le
converti par sa blancheur 11. Les deux volets attenants à La Transfiguration du
Christ qui fut peinte en 1520 par Gerard David (1460-1523), représentent les
portraits des donateurs réalisés par Pieter Pourbus (1523-1587) en 1573 ; ils
figurent la mère Johanna Voet - qu’il perdra à l’âge de onze ans - et les filles
d’un côté, le père Anselmus de Boodt et les fils de l’autre.
7/ Les pages placées en indices (p.xxx) dans le texte et dans les notes renvoient à l’édition du Parfaict Joaillier, 1644.
8/ Maselis, « Anselmus Boetius de Boodt », p.11.
9/ Kickx, « Prologue consacré à la mémoire de Anselme Boece de Boodt », p.XIV.
10/ Kickx, « Esquisses », op. cit., p.24.
11/ M. Ivo Purš, après avoir présenté différentes interprétations de ce combat, reconnait qu’il n’y aurait peut
-être pas de symbolisme alchimique dans cet emblème, précisant que cette dernière possibilité n‟aurait
vraisemblablement pas beaucoup plu à de Boodt. “And so finally come to a conclusion that would have
probably not pleased de Boodt himself much. […] there is as well as isn't alchemical or chemical symbolism in this motto.” Purš, « Anselmus Boëtius de Boodt: physician, mineralogist and alchemist », p.575-578.
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Son père (1519-1587) se prénomme également Anselme, « Anselme de
Boodt, conseiller en 1551, échevin en 1577, doyen des courtiers en 1574, élu
prévôt [du Saint Sang] en 1556, décédé le 22 Juillet 1587, fils de Guillaume et
de Marguerite Nieulant, fille de Josse. Il épousa en 1547 Jeanne Voet, fille
d’Antoine, seigneur de Vormezeele, jurisconsulte, décédée le 20 Juillet
1561. » 12 Il est aussi tuteur de l’école des Bogards, membre de la guilde Saint
-Georges.
« Convaincu que la fortune de la naissance ne suffisait point à un gentilhomme, son père prit un soin tout particulier de son éducation : il ne
négligea rien pour la rendre parfaite. Peu de jeunes nobles eurent le
bonheur d’en recevoir une plus variée. C’était un plaisir de lui donner
des maîtres, tellement sa conception était facile ».
Il est inscrit le 26 février 1567 à la faculté des Arts de l’Université de
Louvain 14 au Collège du Château parmi les divites : « Divites
Catrensens. [n°] 96. Anselmus de Boot, Brugensis. 15 »
Après avoir étudié la philosophie d’Aristote, il reçoit les Arts Libéraux
Trivium et Quadrivium. Malgré l’âpreté de l’application de la contreréforme dans ces contrées, l’humanisme s’introduisait dans l’enseignement
permettant d’instiller esprit critique et curiosité chez les étudiants.
« Ce qui est neuf, et qui caractérise plus spécifiquement l’humanisme
européen [de cette fin de Renaissance], c’est une attention extrême à la
réalité contemporaine, dans les domaines les plus diversifiés de la politique et de la religion […], des arts et des sciences, de la littérature
[…], de l’économie domestique et des problèmes sociaux, de l’histoire
et de la géographie […], de la médecine et des techniques agricoles,
industrielles, commerciales ou financières nouvelles, réalité historique
qu’il s’agit de confronter à l’immense apport culturel des Anciens, dont
les limites n’en apparaissent pas moins flagrantes. C’est donc dans ce
rapport instauré entre les « leçons » des Anciens et la réalité du monde
contemporain que l’humanisme de la Renaissance prend toute sa signification, dans une inscription à la fois historique et transhistorique.16 »
12/ Gailliard, Recherches historiques sur la chapelle du Saint-Sang, p.272.
13/ Goethals, Lectures relatives à l’histoire des sciences, p.98.
14/ Le recteur à partir du 29 août de l'année 1566 est Ghisbertus Loyden, comme il est indiqué p.716 : "Anni
a nativitate Domini 1566 XXIX augusti in congregatione ordinaria apud Augustinienses celebrata lectus fuit
in rectorem alme Universitatis Lovaniensis ex facultate juris civilis Ghisbertus Loyden artium magister et
utriusque juris licenciatus qui prestitis juramentis solitis accepit a sui predecessore sigilla claves et insignia
rectoratus. Sub quo intitulati subnt qui sequuntur."
15/ Schillings, Matricule de l'université de Louvain 1426 - 1453, vol.4, février 1528 - février 1569, corrections et tables, p.719 est inscrit le « 26 febr. [1567] Divites Catrensens. [n°] 96. Anselmus de Boot,
Brugensis. » Il ne s'agit que de l'index, pas de la matricule à proprement parler.
16/ Margolin, Anthologie des humanistes européens de la Renaissance, p.51.
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Selon la note de Kickx 17, c’est dans le même intervalle qu’il aurait été
licencié en médecine à Louvain : « Nous sommes porté (sic) à croire qu’il
fit ses études à l’université de Louvain. Quoi qu'il en soit, après avoir reçu
les grades de licencié en droit ancien et moderne, et en médecine […] ».
Cela étant accompagné d’une note de bas de page : « Voir le titre de l'ouvrage
intitulé, De Baene des Hemels, etc. » Sur la page de titre de ce livre intimiste
(cf. infra) édité en 1628, de Boodt s’attribue cette simple mention « licentia
et in […] medecine ». Les preuves de cette information majeure demeurent
inconnues.
Sa grand-mère maternelle Joanna Voet (1526-1561) étant originaire
de Cevoli, il aurait visité la Toscane à l’âge de 21 ans vers 1571. À son
retour, fuyant l'incursion de Guillaume d’Orange en mai 1572 et poussé par
Philippe II qui empêchait les visites des studia en dehors des Pays-Bas
espagnols, il serait arrivé vers
1573
à
l’Université
d e Douai.
Afin de mieux se prémunir contre l’hérésie, Philippe II (1527-1598) supporté
en cela par le pape Paul IV, poussait les étudiants à s’installer à l’Université
de Douai qu’il venait de créer en 1562. Située en territoire francophone du
sud de sa province des Flandres, il souhaitait les garder dans un
environnement catholique et contrer leur attraction vers les universités
prestigieuses de Paris, Orléans, Angers ou Montpellier. « Dès son érection,
la nouvelle université avait attiré des professeurs humanistes d’un certain
renom ; plusieurs d’entre eux venaient de Louvain, attirés par des salaires
élevés 18 ».
Anselme aurait séjourné à Douai jusqu’en 1575 comme le ferait
savoir la dédicace de l’auteur James Cheyne d'un exemplaire daté de son De
priore astronomiae parte détenu dans l’abbaye Saint-Pierre d’Oudenbourg :
« ernesto et ingenio adolescenti Anselmo de Boodt amicitiae causa libellum
hunc donavit Jacobus Cheyneius 1575 19 ».
De cette cité, comme de nombreux étudiants venant du nord et de l’est de
l’Europe - la natio Germanica -, il se dirige vers Orléans ville étape obligée
pour inscrire dans sa promotio les deux droits in utroque jure. Grâce à
son parcours déjà conséquent il put bénéficier d’une facilité procédurale pour
son examen, devenant ainsi licencié en droit canon et en droit civil 20 à
l’Université d’Orléans le 28 novembre 1575 comme l’atteste Ridderikhoff
17/ Kickx, « Esquisses », op. cit.,p.4.
18/ De Ridder-Symoens, « Étude du rayonnement… de l’université de Douai », p.45-60.
19/ De priore astronomiae parte, seu de spharea, libro duo, Duaci, 1575. Maselis, « Anselmus Boetius de
Boodt », op. cit., note 9.
20/ Ce qu’indique sa page de titre du ABB, De baene, (cf. infra).
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et al. 21 : « Nomina eorum qui collapsum collegium nationis inclytae
Germaniae restaurati jurarunt et primo quidem eorum qui noblitatem professi
sunt : […] Nobilis dominus Anselmus de Boedt Brugensis, 30 sol. » Ce
diplôme reconnu lui permettra ultérieurement des inscriptions plus aisées
en d’autres universités européennes.
PEREGRINATIO ACADEMICA
Commence alors son peregrinatio Academica qui l’emmène étudier
à travers l’Europe. C’est certainement durant cette période qu'il visite Venise
22
, Rome, Florence, Milan et Bologne 23. Sa présence est ensuite certifiée
le 6 février 1576 à Padoue comme en témoigne sa devise manuscrite dans
l’Album Amicorum de l’anversois Corneille Schoytte 24.
Cette formule parahéraldique gravée sur son portrait par Sadeler,
Obstando Delemus - par la persévérance nous vaincrons - anagramme de
Anselmus de Boodt, dessine ses qualités d’abnégation et de conviction que
l’Avertissement de l’Auteur du Parfaict Joaillier illustre magnifiquement où,
exténué, Anselme sollicite l’indulgence du lecteur, il souhaite obtenir du
respect pour le monument qu’il a su ériger et en fin de sa préface, il exige la
libération de sa conscience : « ce que faisant, vous baillerez des ailes à mon
esprit,
pour
oser
davantage.
Adieu.
»
Notons que ce portrait affiche le blason parlant des meubles maternels :
trois pieds – voet en néerlandais – signifiant la fermeté de caractère.
Appelé à poursuivre les charges des positions municipales
éminentes paternelles, dès son retour à Bruges le 16 février 1578 il devient,
grâce à ses diplômes, conseiller pensionnaire de la ville. Mais « le 20 Mars
1578, Bruges fut tout à coup, vers 4 ou 5 heures du matin, envahie par une
troupe de gantois protestants, composée de quelques cavaliers et de cinq
compagnies d’infanterie 25 ». L’instauration du régime calviniste remplaçant
tout d’abord l’administration catholique puis boutant ses icônes en
septembre, entraine le conflit de la défense du Helich Bloed par son père,
qui, depuis 1566, assumait la responsabilité de Maître de la Confrérie
gardienne de cette symbolique relique brugeoise, dont la procession annuelle
existait dès 1291 26. Anselme ayant préalablement obtenu un sauf-conduit des
autorités quitte la cité avec son géniteur en cette fin d’année 1578.
21/ « 1575 - 28-11-1575. Liste des nouveaux inscrits [fol.117 (141)r].» Ridderikhoff & al., livres des
procurateurs, p.336.
22/ Venise est citée p.285, 348, 492, 661 également p.558 : « lorsque j’étais à Venise il y a plus de vingt
cinq ans » mais il est difficile de dater cette dernière insertion compte tenu de deux époques
rédactionnelles existantes : 1600 et 1604.
23/ Rome est citée p.310, 453-4, 503, 511, 639, 653, 677 ; Florence : p.654, 655, 661 ; Milan : p.661 ; Bologne : p.510.
24/ Klose, Corpus Alborum Amicorum, p.76: "Schoyte, Cornelius = 72.$OY.COR 1572".
25/ Gailliard, op. cit., p.105 (-119, ch.xiv).
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Ces troubles religieux et la chute de ses obligations familiales le poussent probablement à réorienter ses intérêts vers les sciences naturelles, domaine où « il montra de bonne heure d'après le témoignage de ses concitoyens,
un irrésistible penchant 27 », au moment où l’on commence à voir « se
dessiner les linéaments d’une approche nouvelle de l’histoire des sciences,
qui passe par la magie 28 ». Le chemin d’étapes d’un cursus classique suivit
par Anselme, trouve sa correspondance dans les transmutations alchimistes
s’opérant dans le magnus opus représentées par le jardin en labyrinthe - tel
celui de Jan de Vries 29 - emprunté par le voyageur souhaitant atteindre le
point central. Analogie faisant référence à l'Arbre de Vie, assimilée à la croix
du Christ par les Chrétiens, cœur de la communauté et fontaine de vie.
2 - Anon., jardin labyrinthe de parterres à compartiments carrés dans les diagonales,
d’après Hans Vredeman de Vries, c. 1600. 30
26/ Coudeville, « Het cultureel beleid te Brugge».
27/ Kickx, « Esquisses » op. cit.,p.4.
28/ Yates, Science et tradition hermétique, p.14.
29/ Vredeman de Vries, Hortorum Viridariorumque elegantes, p.l.15.
30/ Collection particulière.
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ERASTE À HEIDELBERG PROFESSEUR ET PRÉCEPTEUR DE CYMBEUS 31
Après Louvain puis Padoue le brugeois veut poursuivre la voie médicale par la philosophie naturelle. Selon toutes les biographies qui lui sont consacrées, de Boodt se serait rendu à Heidelberg à la rencontre d'une sommité aristotélicienne, Thomas Eraste, car malgré le bouleversement humaniste les
esprits restent emprunts par le raisonnement du Stagirite. Erastus, Thomas
Lüber / Lieber (1524-1583) étudie la médecine à Padoue, entre autres,
vers 1544-1549. Il s'inscrit le 3 mai 1558 à l’université de Heidelberg où il
était arrivé le 25 mai, il y dispense des cours de médecine et de
pharmacologie jusqu'en 1580, année de son départ pour Bâle, devenant
entretemps recteur de l'Université « 22 Jahre war Erast Professor an der
Heidel-berger Universität » de 1559 à 1573.
Cependant la venue et l’enseignement que notre étudiant aurait reçu
d'Eraste n’ont jamais été démontrés.
Hiller (1942, p.6) suppose qu'il partit étudier avec Eraste à Bâle
bien qu'il reste perplexe sur la lacune de son enregistrement à
Heidelberg : « Curieusement, de Boodt ne figure pas dans les diplômes de
l'université de Heidelberg. Nous devons donc supposer qu'il n'est devenu
étudiant d’Eraste que lorsqu’il était déjà à Bâle » 9, Halleux (1979, p.65)
mentionne simplement qu’il suivit des cours avec lui, situant ces études
avant 1580 date à laquelle Eraste quitte la cité.
Corroborant la nature de leurs rapports, Purš (2004, p.45) s’étonne de
l’absence d’une immatriculation en cette faculté : « Cependant,
l’inscription de De Boodts à l’université n’y est pas préservée. Il reste donc
à savoir où il a rencontré Erastus et quels types de contacts ils ont eu,
mais étant donné le sérieux des informations fournies par de Boodt, ainsi
que la proximité de De Boodts et l’attitude critique d’Erastus à l’égard de
l'alchimie de Paracelse, il n’est pas nécessaire de mettre en doute la réalité
de ces contacts 36. » Maselis souligne que bien que son nom n'apparaisse pas
31/ ABB, Gemmarum, 1636, p.417.
32/ Il est immatriculé à Bâle le 10 octobre 1542 : Wackernagel, Die Matrikel der Universität Basel, 2.bd.
1532/33 - 1600/01, II, p.30, n° 19 ; à Bologne en décembre 1544 : Wesel-Roth, Thomas Erastus, p.3 ; à
Padoue de décembre 1544 à mai 1546 ou de mai 1546 à juillet 1549 ; il reste à Bologne jusqu'en 1553, ibid.,
p.4.
33/ Toepke, Die Matrikel der Universität Heidelberg,T.2, p.14, n°20.
34/ Wesel-Roth, op. cit., p.8.
35/ « Merkwürdiger weise ist de Boodt in der Matrikel der Universität Heidelberg nicht zu finden, so dass
wir annehmen müssen, das er erst Schüler des Erastus wurde, als dieser bereits in Basel war. » Traduction
personnelle.
36/ « De Boodts Immatrikulationseintrag an der dortigen Universität ist allerdings nicht erhalten. Es bleibt
also die Frag off en, wo er Erastus begegnet ist und welcher Art ihre Kontakte waren, allerdings muss
angesichts der Seriosität der von de Boodt gebotenen Informationen ebenso wie der Nähe von de Boodts
und Erastus’ kritischer Haltung zur Alchemie des Paracelsus nicht an der Realität dieser Kontakte
gezweifelt werden. » Traduction personnelle.
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sur les registres, il reçut cet enseignement entre 1579 et 1581, Kickx présume,
sans sources, qu'il reçut ces leçons avant 1581, Goethals affirme sans référence
ni date que cette instruction eut lieu. Enfin, Jaeger, extrêmement concis sur
sa biographie, ne mentionne pas Eraste dans le cursus et Gysel évoque
simplement la rencontre des deux hommes circa 1580.
Pourtant, citant le médecin théologien, de Boodt écrit - à propos de la
pierre ponce - : « Il est ainsi aspre naturellement ; & partant c’est peut-être
la pierre sablonneuse de Thomas Erastus, que l’on trouve proche
Heidelberga : & qu’il vante être fort utile pour la goutte » p.516, il
persévère en précisant : „Thomas Erastus Heidelbergensis Professor“, «
Thomas Erastus d’Heidelberg, professeur, & autrefois mon précepteur »
p.537. Ces deux assertions marquent l’importance pour notre auteur d’affirmer
sa présence dans cette université et de se réclamer de l'autorité d’Eraste, un
des rares contemporains duquel il affirme nommément avoir reçu les
enseignements et dont il sera d’ailleurs reconnu comme disciple par Guettard
en 1754 37.
Ces citations demeuraient à ce jour les seuls éléments pouvant attester
de sa présence à l’université mais elles ne composaient aucune preuve de
son inscription.
Sur les matricules de l’Université d’Heidelberg de Toepke 38 que nous
divulguons ici, figure en numéro 2 un dénommé Anselmus Cymbeus, Brugensis, 5 jananuarij 1579. Le prénom et la provenance du personnage peuvent
laisser croire qu’il s’agit de notre étudiant, cependant le nom de Cymbeus n’évoquant aucune filiation, il ne fut jamais retenu comme une probabilité.
Toutefois nous avons relevé que le latin cymba, ae signifie barque et
qu’en flamand, bateau se traduit par boot.
Certainement par volonté de latinisation de son patronyme 39 et parce
qu’il est issu d'une famille de puissants courtiers maritimes et armateurs de
vaisseaux, nous pouvons affirmer qu’Anselme de Boodt s'inscrivit sous le
patronyme de Cymbeus à Heidelberg.
Afin de corroborer cette assertion, il faut remarquer que son
portrait gravé comporte sous son patronyme l’autre blason parlant de meubles d'argent au chevron de sable -, les lignées familiales étant représentées à
gauche Boodt, Hond, Nieulandt, Ghiseghem et à droite Voet, Patvoorde,
Cevoli et Witte - de son portrait gravé, figurant trois nacelles, les trois
barques marines paternelles s'opposant aux trois pieds terrestres maternels.
37/ Guettard, « Sur l’ostéocolle des environs d’Étampes », p.27.
38/ Toepke, ibid., p.86.
39/ Comme bon nombre de ses amis et bien d’autres contemporains tel George Bauer / Georgious Agricola.
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3 - Huit armes familiales dessinées à la plume dont les de Boodt ; au centre, une autre arme en
projet se trouve au-dessus du texte « De Weledel Geboorne-Jonkvrouw. Maria Elisabed de
Boodt. 31 octobre 1731 40».
Cent ans après le décès d’ABB le blason familial est resté identique.
La durée de son séjour à Heidelberg n‟étant, à notre connaissance, subordonnée qu‟à la date de la prise de fonction d‟Eraste au poste de professeur
à Bâle au 10 janvier 1581 41, il faut supposer qu’il y passera certainement toute
l‟année 1579 et probablement une partie de 1580, afin d‟approfondir son cursus en médecine et en philosophie naturelle.
40/ Collection particulière.
41/ 1581 (10 janvier): Eraste professeur à Bâle "Erast wurde am 10. Januar 1581 in das [Kollegium der
Univ. Basel] aufgenommen", Wesel-Roth, op. cit., p.10 - 1581 (17 janvier): nommé professeur ordinaire
d'éthique - 1583 (31.12), décès.
- 51 -
ANSELME L’HOMME DE SCIENCE NATURALISTE
De multiples passages du Gemmarum prouvent qu’Anselme
s’intéressa à la géologie du territoire belge et de ses environs. Ces assertions
non datées attestent qu’il visita de nombreux sites éventuellement avant son
installation à Prague et par conséquent qu’il se serait passionné très tôt pour
le monde souterrain et le règne minéral. Dans Le Parfaict Joaillier il
énumère le quartz bruxellois p.277, des calcédoines qu’il a trouvées à Louvain
dans le champ Heverensis et proche de Bruxelles p.304, une lignite deerynck
brugeoise et des forêts souterraines en même lieu p.411, le lythantrax, la
houille liégeoise p.434-5, les stalagmites et les thermes d’Aix la Chapelle p.544,
p.693, des cornes fossilisées qu’il détient chez lui p.548, des marbres flamands
noirs p.641 et jaunes p.653 et la pierre bleue namuroise p.664.
Durant l'année 1582 de Boodt est à Vienne à la cour de Rodolphe II puis
il le retrouve en 1583 à Prague où il est l’invité de Wilém Rožmberk, Wilhelm
von Rosenberg (1535-1592) dont il devient le médecin 42.
Connu pour ses tolérances religieuses et déjà conseiller de
l‟empereur, Rosenberg avait fondé un puissant cercle hermétique et
alchimique composé tant d’érudits que d’artistes 43. Il avait acquis à
l’automne 1581 des concessions minières d’or et d’argent par l’achat des
villes de Silberberg and Rychleby (Reichenstein) avec le consentement du
souverain quant à leurs exploitations 44. Grâce à l’influence du Burggraf de
Bohême, le brugeois est attaché à la cour en tant que gemmarius gemmologue – cum privilegio exercendi praxim.
Précédemment le terme latin gemmarius désignait les métiers de
la glyptique, de la taille et du polissage des gemmes, professions
aujourd’hui réunies sous le terme de lapidaire. De Boodt choisit
gemmarius, a, um, qui sera traduit dans l’édition française – Le Parfaict
Joaillier - parfois par lapidaire mais la plupart du temps par ioalier 45
pour désigner la personne connaissant les gemmes. Nous retrouvons
également lapidarius, a, um avec le même sens. Gemmarius donnera
naissance par la suite à notre terme gemmologue, l’expert de la connaissance
des gemmes. Durant cette période Anselme contrôle joailliers et lapidaires
travaillant pour la Couronne et catalogue les collections de minéraux ;
42/ Halleux, « L’œuvre minéralogique d’Anselme Boece de Boodt », p.65, est notre source primaire pour
cette information sans date ni référence.
43/ anon., Alchemy in Český Krumlov.
44/ Kleisner & Holečková, Mince a medaile poslednı́ch Rožmberků, p.8.
45/ En France, les joailliers -ioaliers, ioüailliers- sont à cette époque les membres de la corporation des
orfèvres mettant les pierres en œuvre, les lapidaires et les négociants en gemmes. Zylberman, « La corporation des lapidaires ». « Le nom de Joüallier, qu'on donne à ceux qui en font négoce en est venu semblablement. On les appelle en tous les Païs Orientaux, Jeuaery. »
- 52 -
« il ne tarda pas à jouir de toute la confiance et toute l’intimité du
monarque. Il l’accompagnait partout, et parcourut ainsi les diverses
parties du vaste empire, circonstance qui lui permit de recueillir une foule de
faits du plus haut intérêt qu’il utilisa plus tard. 46 »
C‟est à la même époque, par lettres du 11 février 1584, que l’évêque de
Bruges lui offre le poste de dignitaire de chanoine gradué de la cathédrale
Saint-Donatien. Alors aisément établi, il refuse sa nomination mais jouira tout
de même des avantages du titre jusqu‟en 1595.
Parce qu‟il n‟est que licencié en médecine 47 Rodolphe l‟aurait envoyé 48
en 1586 à l‟université de Padoue pour y être diplômé : 'Inclyta Natio Germanica Artistarum', « 46. Anselmus de Boodt Flander Brugensis... sept. 1583.
Prom. Bij Alramaer 1587 ‘Fav. I, 231’ BNB IV, 814; geb. Te Brugge vers
1550, aldaar overl. 1632.49 » Il est inscrit dans le registre estudiantin 50 - Magister Anselme de Boodt, Flander. Brugensis utriusque licenciatus, nomen
meum dedi inclitae natione Germanicae et solvi dimidium corotanum mense
septembre anno 1586. Doctor - le cinq septembre. Les archives des matricules
d‟enregistrement signés par les étudiants et les annales couvrant une période
de deux siècles sont particulièrement bien conservées 51.
Il y reçoit l‟enseignement anatomique de Hieronymus Fabricius, Girolamo Fabrizi d’Acquapendente (1533-1619) sommité de l‟université, spécialiste
de l‟embryologie et successeur de Vésale - Andries Wytinck van Wesel
(1514-1564) - brabançon d’origine qui avait fondé cette chaire
expérimentale. De Boodt appartient ici aussi à la natio Germanica, la plus
imposante d’entre elles par son nombre d‟étudiants, ses privilèges
spécifiques et sa prédominance dans la gestion de l‟université. Il s‟exerce aux
dissections sur les animaux et se rend au chevet de patients en leur
prodiguant des soins issus d‟une médicamentation naturelle. Interrogé
pendant deux jours sur la médecine et la philosophie, il obtient comme il le
précise ses degrés de Docteur en médecine en 1587 - « … lorsque je
retournois à cheval de Padouë, où j’avais reçu mes degrés de Docteur pour
aller en Bohême… » p.341 - par Joachim Alramer 32 en compagnie de
l‟anversois Philippe de Broeck « [1587] Eadem vero illa Magnificus et
Exellens Comes et Doctor Ioachimus Alramer tribuit [doctoratus insignia]
Anselme de Bood Brugensi Flandro. M.Philippo von der Broeck Belgae.53 ».
46/ Kickx, « Prologue », op. cit., p.vi.
47/ Kickx, « Esquisses » op. cit., p.5. Comme également indiqué en 1628 sur la page de titre de ABB, De
baene (cf. infra).
48/ Gysel C., op. cit., p.36.
49/ Poelhekke, « Nederlandse leden », p.301.
50/ Rossetti, Matricula nationis Germanicae artistarum in Gymnasio Patavino, p.67.
51/ Rossetti, The university of Padua, p.38-39, 46.
52/ Dhont, « Pomp and circumtance at the university », p.120 ; note 30 p.131.
53/ Favaro, Atti della nazione germanica artista, p.231.
- 53 -
En présence de l‟évêque, il reçoit son diplôme de médecin, un anneau d'or,
quelques livres et le bonnet birretum lors de la cérémonie.
Il lui aura donc suffi d‟une année pour être diplômé, ce qui laisse sousentendre que pour cette prompte attribution il réussit à valoriser les cours qu‟il
aurait suivi à Louvain vers 1567 puis aussi au conditionnel les leçons reçues la
première fois à Padoue en 1576 et enfin de manière certaine l‟enseignement
d‟Heidelberg en 1579-1580.
C‟est aussi à Padoue qu‟il développe son inclination et ses accointances
naturalistes ; de cet engouement il apprend à dessiner et à peindre la création,
passion qu‟il gardera toute sa vie tel le prouveront ses albums sur la flore et la
faune, qu‟il réalisera pour l‟empereur entre 1596 et 1610 54, maintenant
déposés au Rijksmuseum Amsterdam 55.
« ces 258 planches sont réparties comme suit : quadrupèdes 50, oiseaux, 92, poissons, mollusques, insectes, etc., 34, plantes (parmi lesquelles beaucoup de liliacées et d'iridées, l'ananas, la pomme de terre,
etc.), 82. Une liste écrite de la main de l'auteur, et qui accompagne le
8e volume, porte à 190 le nombre de végétaux qu'il avait figurés. Plus
de la moitié sont donc perdus, et il en est probablement de même pour
les autres parties du recueil. Nous devons d'autant plus vivement regretter cette perte, que les figures se distinguent à la fois par l'exactitude du dessin et par la vigueur et la vérité du coloris 56. »
« Dans son testament daté de 1631, il [ABB] cite trois albums contenant des dessins de nature (sic). Vers 1800, ces albums deviennent la
propriété d’un collectionneur brugeois, Joseph Van Huerne, qui les défait, puis relie à nouveau les feuillets en leur adjoignant un certain
nombre de nouvelles illustrations. Le tout fut relié en onze volumes.
C’est sous cette forme que l’œuvre est entrée dans une collection privée
belge et est parvenue jusqu’à nous. […] Si certaines inscriptions semblent dater du XIXe siècle, les feuilles originales signées sont suffisamment nombreuses pour nous permettre de décrire la part personnelle de
de Boodt dans ces albums. Son nom apparaît sous certaines illustrations qui semblent être l’œuvre d’un novice, ainsi que sous d’autres qui
sont par contre d’une qualité exceptionnelle. On peut donc en déduire
qu’une longue période s’est écoulée entre ces dessins, le jeune de Boodt
acquérant au fil des ans le métier d’un grand maitre. Il est clair que de
Boodt n’a pas toujours travaillé d’après nature, mais a souvent copié
l’œuvre de Joseph Hoefnagel qu’il a pu étudier à loisir à Prague 57. »
54/ Sotheby‟s, The de Boodt album of natural history drawings.
55/ Turner, The wondrous story of the De Boodt albums.
56/ Kickx,« Prologue », op. cit., p.XIII.
57/ Maselis & al., De albums van Anselmus De Boodt, „L‟œuvre peint de l‟observation de la nature à la
cour de Rodolphe II à Prague‟, p.209.
- 54 -
Parmi ses initiations thérapeutiques il précise, sans chronologie, avoir
reçu son enseignement en spagirie d‟un « Gentil-homme et très honeste homme Jean Mancinius conseillier de l’électeur de Coloigne tres expert en l’Art
Spagirique, & mon amy singulier depuis mon plus bas âge ». Ami d‟enfance
donc, mais personnage contemporain dont nous ne disposons malheureusement que de peu d‟éléments biographiques 58.
4 - De la pierre Amianthe p.491.
CYMBALUM, UNE COTERIE ALCHIMIQUE
En 1587 le décès de son père le voit revenir à Bruges pour mettre en
ordre succession et patrimoine. Au début de l‟année 1588 il emmène vers Prague sa bibliothèque héritée.
Chez Wilhelm von Rosenberg, il aurait alors rencontré le huguenot paracelsien Nicolas Barnaud (c.1539-1604 ?) - qui pensait que l‟Europe serait bénéficiaire d‟un mariage alchimique entre les mondes Protestants et Catholiques 59 avec qui, selon lui, il se serait lié d‟amitié : « …bono fato in virum Belgam,
medicinae doctorem, cui nomen est Anselmus a Boodt, incidi, cum quo non
parva intercessit mihi familiaritas, cuius et amicitia etiam laetor et utor. »
Barnaud, « philosophe et médecin de Crest », est de passage après avoir visité
le médecin Thaddeus Hájek (1526-1600) à Cracovie, ce dernier étant déjà en
relation étroite avec Anselme. Hájek bien que ne se trouvant pas à la cour, faisait partie des hommes de grande influence auprès de Rodolphe II, il se retrouvera d‟ailleurs plus tard à son chevet.
58/ ABB, Parfaict Joaillier, p.152, 153. « Huiusmodi aquam mihi communicauit nobilis & humanissimus vir
Ioannes Macinius Electoris Coloniensis consiliarius arris spagiricae peritissimus amicusque meus ab
ineunte aetate singularis » ABB, Gemmarum (1609) p.60.
59/ Willard, « The enigma of Nicolas Barnaud », p.201.
- 55 -
C‟est à ce moment qu‟intervient l‟affirmation de Barnaud qui ne
fut retranscrite qu’en 1597 dans son Commentariolum in Aenigmaticum
qoddam Ephitation.
Spécifiant que lui-même n’y assista pas, il relata l’expérience reproduite plusieurs fois que lui aurait contée de Boodt. Cette colonne de Nicolas Barnaud
est une source précieuse de la biographie d‟Anselme Boece de Boodt car il est
à notre connaissance un rare, voire unique, témoignage contemporain imprimé
à son propos.
Mais à contrario, peut-être à cause de sa réputation déjà sulfureuse due à son
calvinisme revendiqué, de son paracelsisme avéré ou de l‟intention de l‟opération, il n‟existe aucune mention de Barnaud ni de cet épisode dans les écrits du
brugeois. Cependant, Andreas Libavius (c.1555-1616) créa la polémique en
1613 en commentant nommément le processus de Barnaud / de Boodt 60.
Cette fabuleuse transmutation fut retenue et mainte fois propagée 61 parmi les hauts faits occultes comme l‟indique encore cette adaptation d‟un éditeur du XIX siècle :
« Le docteur Anselme de Boot, médecin flamand, ayant trouvé, entre les
livres de la bibliothèque de son père, un vieil manuscrit en
parchemin, couvert de deux petits ais à moitié rompus, et voulant
faire mettre une autre couverture à ce livre, dont le titre étoit :
Cymbalum aureum, il en ôta cette couverture de bois, en un côté de
laquelle il aperçut une cavité, et en cette cavité il trouva un feuillet de
parchemin écrit et plié, et dans ce parchemin une petite enveloppe
de papier qui contenait un grain de certaine poudre rouge... Il jugea
que cette poudre pouvoit être l’échantillon de la poudre des
philosophes, dont il fut assuré par la projection qu’il en fit faire
sur du mercure échauffé, lequel fut changé en bon or. » 62
60/ Matton, « Fernel et les alchimistes », p.167-171.
61/ “Boethius had another claim to Rudolph's appreciation being an advocate of the verity of transmutation,
a belief acquired in the following manner : when still a young student of medicine he accidently found
among his father's books an antique manuscript entitled "Cymbalum aureum," written on parchment and
covered with two half-broken, thick boards ; wishing to re-cover the book he removed the boards and discovered in one a cavity containing a small piece of paper folded tight ; on examining this he perceived a few
grains of a red powder and some hieroglyphical words on the inner surface of the paper. By hard study the
young man 'deciphered the writing and found that it explained the process of using the powder in transmutation; he made an experiment on mercury heated in a crucible and the red powder changed the metal in
one quarter of an hour into fine gold. Unfortunately he used the whole amount of the powder at one operation, but this experience served to convince him of the verity of alchemy.” Bolton, The follies of science at
the court of Rudolph II, p.99.
62/ Purš souligne que les relations entre l’industrie et l’alchimie concernant la transformation des métaux
précieux ont une très longue tradition accompagnant toute l’histoire de l’alchimie, du célèbre papyrus de
Leyde du 3ème siècle aux 17e et 18e siècles. Purš, « Anselmus Boëtius de Boodt, Pansophie und Alchemie »,
p.65.
- 56 -
Ainsi en échange de l‟enseignement de l’art spagyrique 63
- instruction vitale pour notre médecin - qu‟un orfèvre détenait, de Boodt
aurait partagé sa connaissance alchimique avec lui, non sans que
l‟orfèvre l‟accusât tout d‟abord de tromperie pour ensuite se rétracter.
En tant que chercheur sur la bibliographie attenante aux gemmes et à la
gemmologie, nous avons lu plusieurs travaux de Paul Lacroix dit le bibliophile
Jacob qui relata le Cymbalum aureum dans son recueil de Curiosités des
sciences occultes en 1862. Cet érudit avait auparavant, en 1841, réalisé une
édition annotée du glorieux Cymbalum mundi puis une seconde, Bonaventure
Des Periers, revue et corrigée en 1872 64. Étant avisé des très nombreuses
controverses et vicissitudes du des Périers, Lacroix ne releva aucune analogie
entre le mundi et l’aureum qui cite de Boodt.
L’éditeur historique du mundi, Prosper Marchand, ne fit lui non plus aucun
commentaire sur une correspondance des deux textes alors qu‟il rédigea une
longue notice 65 sur Barnaud publiée en 1758.
La possibilité d‟une similitude ayant retenu notre attention, nous avons
comparé le pseudo Cymbalum aureum de Barnaud / de Boodt au dialogue premier du fameux Cymbalum mundi de Bonaventure des Périers qui ne parut que
cinquante ans auparavant (ed. princeps 1537) en France.
Frontispice du Cymbalum
mundi, de Despériers
(1537). 66
63/ Nous avons indiqué supra que de Boodt écrit avoir reçu la spagirie d‟un ami.
64/ Lacroix, Bonaventure Des Periers.
65/ Prosper Marchand, Dictionnaire historique, ou Mémoires critiques et littéraires, t.1, p.82-87.
66/ https://www.cosmovisions.com/Desperiers.htm
- 57 -
Nous avons découvert la rédaction de cette adaptation alchimique parfaite, cette transposition comportant d‟évidentes similarités 67 : le livre cassé,
les ais brisés, la reliure à refaire 68, la peau, le vélin, le parchemin, la rue des
orfèvres, Mercure 69 volé et un bijoutier trompé, la pierre philosophale, la poudre de projection, la poudre rouge, les pièces en or, la transmutation des métaux 70, la crédulité et l’ignorance, l’or potable, le joug des philosophes, l’arène
et le sable, le théâtre et le creuset, etc.
Mercure descendu du ciel sur terre pour l’occasion opère concomitamment la
correspondance des macrocosme et microcosme de la Tabula Smaragdina
mais il est aussi Jésus-Christ le messie, l’envoyé de Dieu à Jérusalem dont la
mission est de « faire relier tout à neuf » l‟Ancien Testament 71 que les deux
voleurs de la taverne, le Cénacle, ont remplacé par le Nouveau ; les hommes,
moqués - « Vrayement, ilz n’ont cessé depuis ce temps de fouiller et remuer le
sable du theatre, pour en cuyder trouver des pieces. C’est ung long passetemps que des veoir esplucher » - sont eux à la recherche de la pierre philosophale dans l‟arène. À partir de ce puissant texte hermétique 72, de nombreuses
correspondances occultes de ce theatrum chymicum peuvent aisément être éta73
blies avec le mythe de Nicolas Flamel traversant l‟Europe à cette époque : la
67/ « Hic bonus, cum parentis sui demortui librorum suppellectilem non exiguam e Belgio Pragam advehi
curasset, incidit in libellum a me tandem visum in pelle arietina conscriptum, cui titulus erat Cymbalum
aureum, hunc cum membrana obtegere cogitaret (erant enim, quibus obtegebatur, asseres confracti),
exempta a Doctore asseris particula fracta apparuit incogitanti vacuus quidam & concavus in medio locus
pergameno obductus, in quo & chartula quaedam obvoluta, in qua lapidis philosoforum processus
aenigmatice (neq ; enim vel unum reperias, qui aperto sermone rem describat) conscriptus erat, simul et
rubentis pulvisculi particula grani pondere recondita. » Barnaud, Theatrum Chemicum, p.745-746.
68/ « Il eft bien vray quil ma commande que ie luy | feiffe relier ce liure tout a neuf : mais ie ne | fcay fil le
demande en aix de boys, ou en | aix de papier. Il ne ma point dict, fil le | veult en veau, ou couuert de veloux. Ie doubte auffi fil | entend que ie le face dorer, & changer la façon des fers | & des cloux, pour le faire
a la mode qui court. Iay | grand peur quil ne foit pas bien a fon gre. Il me haste | fi fort, & me donne tant de
chofes a faire a vng coup, | que ioublie lune pour lautre. » [Bon. des Périers], Le Cymbalum Mundi, édition
princeps de 1537, p.3.
69/ Mercure, le personnage central de ces dialogues, est à sa place en tant que messager des dieux mais
aussi en tant que dieu du commerce, des voyageurs, des voleurs, des marchands et des médecins.
70/ Mercure. « Vous le dites, mais j'en doute ; car il me semble que, si cela fût, vous feriez chose plus merveilleuse, vu la propriété que vous dites qu'elle a. Et mêmement, comme gens de bon vouloir que vous êtes,
pourriez faire devenir tous les pauvres riches, ou, à tout le moins, vous leur feriez avoir tout ce qui leur est
nécessaire sans truander. » [Bon. des Périers], Cymbalum mundi ou dialogues satyriques, 1753, p.101.
71/ « La descente de Mercure sur la terre, envoyé par Jupiter pour faire relier son Livre des Destinées, a
trop de ressemblance avec la mission du fils de Dieu venant parmi les hommes relier l’ancienne loi et joindre l’Évangile à la Bible, pour qu’on hésite à reconnaitre Jésus-Christ sous le masque de Mercure dans les
deux premiers dialogues du Cymbalum. » note 4 p.38 de Lacroix, Cymbalum Mundi, op. cit.
72/ Kushner, Le dialogue de la Renaissance, p.152.
73/ Didier Kahn, après avoir rappelé que Flamel n'était pas un alchimiste mais un écrivain public copiste et
enlumineur, traite de la "Lettre d'Amalsatus", texte resté manuscrit ; Kahn stipule que « Robert Halleux a
montré qu'une version latine de ce texte figure dans un manuscrit daté de 1592 et adressé à Ernest de Bavière, prince-évêque de Liège, qui venait de commanditer la grande édition des œuvres de Paracelse (1589 1591). Or la "Lettre d'Almasatus" porte dans ce manuscrit le titre de "Via Flamelli sive Almasati" » Nicolas
Flamel, Écrits alchimiques, p.108-109. La "Via Flamelli sive Almasati" est le ms. latin 14013 de la BNF.
- 58 -
transmutation, le livre contenant le secret de la pierre philosophale ou le matras empli de poudre de projection.
La peau de bélier retenant les grains de poudre renvoie à une métaphore alchimique de la Toison d‟Or et plus prosaïquement à la peau utilisée par les orpailleurs pour filtrer les paillettes des rivières aurifères.
Par ailleurs il est possible de transposer la parabole du cercle et de son point
sur l‟image de Jupiter-Dieu au-delà de la circonférence : le théâtre-monde
étant le cercle, l‟arène emplie du sable de la pierre philosophale – la religion dans la superficie, Mercure-Christ en son origine. Parmi les références occultes de ces corrélations, notons que le symbole alchimique de l'or est alors
un soleil représenté par une sphère pointé d‟un centre désignant l‟action de
fixation du soleil - l‟or - dans le ciel - la quintessence -.
Selon les multiples lectures possibles du Cymbalum mundi, observons le reflet
– polémique 74 - omniprésent de la scène religieuse : Livre, catholicisme, réforme, achristie, athéisme, l‟épitre dédicatoire étant adressée à du Clévier et
Tryocan respectivement Incrédule et Croyant.
Dévoué à l‟Église, en sa conscience, de Boodt n‟aurait pas été capable de détourner un texte impie pour ses ambitions ; par ailleurs, il ne maîtrisait pas le
français du texte original du mundi.
Concernant la disponibilité du Cymbalum mundi, les deux premières
éditions de 1537 et 1538, sans nom d‟auteur, ont été éradiquées « absolument
et totalement », condamnées aux flammes par le parlement de François Ier 75.
Les éditions françaises suivantes ne furent imprimées qu‟à partir de 1711 puis
1735 à Amsterdam chez Prosper Marchand (1678-1756) libraire-marchand et
éditeur protestant ; les éditions germaniques ne virent le jour qu‟à la fin du
76 XVII siècle. En conséquence, il n’existait pas d’exemplaire imprimé
disponible à cette époque.
Ce ms. fut transcrit, entre autres, en 1740 : « Nicolas Flamel Parisien trouva ce livre composé par Almazat
[Almaseti] ; ce que ledit Flamel même témoigne par ce qui s'ensuit qu'on a trouvé signé de sa main en un
vieil exemplaire. "Je Nicolas Flamel, pauvre Ecrivain & Libraire natif de Paris, rüe de Morveaux, par la
souveraine bonté et grace de Dieu, trouva en reliant un livre, le livre ci-dessus écrit, en quel me suis ébattu
de faire le contenu, lequel livret par la grande grace de Dieu m'a donné tant de biens, que j'ai conquis la
Seigneurie de 16. - Paroisses autour Paris sans reproche à Dieu. Car à lui en est la louange & non pas à
moi, & tant en ai fait qu'en mon testament j'ai laissé en pieuses aumônes plus de quatre mil écus d'or, comme peut apparroir par mondit testament signé & écrit de ma main." » anon., La clef du cabinet des princes
de l’Europe.
74/ Aujourd’hui encore le débat reste vif : « […] Bonaventure Des Périers, plantait le glaive au cœur de la
Révélation chrétienne, en se moquant notamment de la « Bonne Nouvelle » et du Verbe divin. Le Cymbalum
représente donc un indéniable témoignage antichrétien, philosophiquement très mûr, […] il se pose sûrement comme un document de première importance pour l’histoire religieuse de l’Europe moderne. » Mothu,
« La satire de la révélation dans le Cymbalum mundi », résumé.
75/ Conservé à la Bibliothèque municipale de Versailles, il ne resterait de nos jours qu’un seul exemplaire
de l‟édition parisienne de 1537.
76/ Un auteur allemand à la fin XVIIe siècle édita un Cymbalum mundi sive symbolum sapientiae.
- 59 -
Gerhard Eis mentionne 77 en 1951 que l'histoire de de Boodt découvrant le
manuscrit dans la reliure fut relatée dès 1659 dans l‟ouvrage de Johann Ulrich
Resch - Die sechste histori 78- lui-même citant le Theatrum chemicum de Barnaud qu‟il traduisit en allemand.
La seconde trace de ce pseudo document provient du Bibliotheca Uffenbachiana manuscripta de Maius en 1720 79 où il est titré beaucoup plus longuement
Cymbalum aureum tinniens dulcisonans Philosophicas odas, quod aureum
opus intitulatur opus Viri Silesiaci magnae tum autoritaris tum nominis. (Ex
archetypo in membranis concinne et non ineleganter sripto) mais comme indiqué, il s‟agit en fait d‟un manuscrit 80.
Selon l‟adaptation française de Lacroix 81 faite d’après un manuscrit de l’Arsenal 82, ‘l’exemplaire’ d’Anselme, le libellum, est un « vieil manuscrit en parchemin […] dont le titre étoit : Cymbalum aureum ». Sur ce point Barnaud n‟a
pas de raison d‟affabuler quant à la réalité du support matériel du texte lorsqu‟il décrit un libellum pouvant être traduit par petit livre, livret ou libelle
donc des petits feuillets de manuscrits reliés. Dans son recueil Triga chemica
83
proposant une adaptation postérieure il stipule à nouveau un manuscrit :
« extractum ex cimbalo aureo, antiquissimo libro manuscript. »
Les annotateurs, contempteurs et commentateurs ont constamment présenté le
mundi comme un « petit » livre, un petit in-12 84. Hormis sa dimension, l’édition princeps de ce bruyant édifice littéraire ne comprend que 53 pages, facilitant une potentielle propagation. Ainsi, il circulait à Prague en 1588 une copie
manuscrite d‟un pseudo Cymbalum mundi renommé Cymbalum aureum
dont le texte avait été vraisemblablement latinisé.
Le parchemin tombant du libellum de notre brugeois devant les yeux de Barnaud concoure au scénario hermétique de la mutation du mundi vers l‟aureum
comme il sera transcrit dans les Commentariolum. Cependant, au lieu de la
chute du parchemin, il faut comprendre que le Cymballum aureum fut en fait
un extrait – le dialogue premier - du Cymballum Mundi.
L‟interrogation sur la source de l‟aureum de Barnaud / de Boodt aurait
pu rester défiante, mais ayant également remarqué une analogie de la racine de
77/ Eis, « Von der Rede und dem Schweigen der Alchemisten », p.451.
78/ Resch, Osiandrische Experiment von Sole, Luna et Mercurio, p.250-252.
79/ Maius, Bibliotheca Uffenbachiana, p.661.
80/ Giacone, « Une réception du Cymbalum en Allemagne », p.105.
81/ Lacroix, Curiosités des sciences occultes, p.77.
82/ Le bibliophile retranscrit ici un passage du Recueil de M. Duclos sur la transmutation des métaux,
p.153. Il s'agit d'un manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, anciennement n° 166bis ; aujourd'hui ms2517 de l'Arsenal, XVIIIe siècle ; il semble en exister une copie, ms. Sorbonne 1884, intitulé Recueil d'opérations singulières de chymie...
83/ Barnaud, Triga chemica, p.37-40.
84/ Prosper Marchand, op. cit., t.1, cite p.83b « VI. Extractum ex Cimbalo auro, antiquissimo
libro manuscripto, ad rem nostram facius : pag.879-881. »
- 60 -
cymbalum, cymba, ae avec celle de notre Cymbeus, le nom
d’enregistrement qu’Anselme avait choisi à Heidelberg neuf ans auparavant
(cf. supra) 85, nous soulignons l’importance occulte qu’il avait dû porter à ce
parchemin familial qu’il avait « trouvé, entre les livres de la bibliothèque de
son père », corroborant ainsi la tangibilité du pamphlet.
Rosenberg, Hájek et… Barnaud sont au cœur d’un autre récit étrangement analogue, celui du Traité de la pierre des sages (un aubergiste, un manuscrit indéchiffrable écrit en langue ancienne, une pierre tombale, un riche évêque, un creuset, une boule d’ivoire emplie d’une très lourde poudre rouge projetée, une autre de poudre blanche…) où le notaire faussaire fugitif anglais
Talbot / Kelly (1555-c.1598), accompagné de John Dee (1527-c.1608), tous
deux installés chez Hájek avec Barnaud - dans ce que l’on pourrait appeler une
antichambre d’or -, après avoir opéré des transmutations à Prague en 1585,
obtiendra de Rodolphe les honneurs du titre de marquis de Bohême avant de
succomber par excès de vanité 86. Kelly enfermé dans les geôles de Rodolphe
pour supercherie répétée aura assez de temps pour écrire son petit traité en latin
et de proposer à l’empereur en 1596 en guise de rédemption, son manuscrit qui
fut finalement inséré dans le recueil du Theatrum chimicum britanicum en 1652
87
.
En cumulant la filiation de la Lettre d’Almasatus 88, de la via
Flamelli sive Almasati, du Cymbalum Mundi, du Traité de la pierre des
sages, du manuscrit de l’Arsenal, du Cymbalum Aureum et de toutes les
narrations, digressions connexes ou postérieures, nous constatons que le
mythe de cette transmutation ramène indubitablement au mieux à un noble
rite initiatique, à l'apologie d’une ambition, à la préméditation d’un dessein
ou à un… lobbying alchimique impérial 89.
Barnaud, médecin dauphinois paracelsien itinérant, adepte de philosophie hermétique 90, est signalé par Kahn 91 comme pamphlétaire ayant de plus
commis une « interprétation alchimique » d’un autre texte, de processus petits textes d’origines généralement obscures - et qu’il publia comme il
l’indique d’ailleurs dans le Cymbalum aureum différents manuscrits
collectés durant ses voyages.
85/ Il existe une autre correspondance singulière. Anselme, amateur de musique, possède plusieurs snaarinstrumenten or le plus célèbre de ces instruments à corde hongrois se nomme le cimbalom ; nous pouvons
rapprocher une nouvelle fois cette racine à cimba, ae.
86/ Figuier, L’alchimie et les alchimistes, p.197-206.
87/ Bien qu’ils ne remarquent pas ici la présence de Barnaud ni n’établissent d’association entre les deux
textes, lire également l’épopée de « l’étoile rudolphine » par Karpenko & Purš, « Edward Kelly »,
p.489-534.
88/ Il existe certainement d’autres écrits antérieurs.
89/ Purš I., « Rudolf II’s patronage », p.139-204.
90/ Haag E. & E., La France protestante, p.840-853, Barnaud.
91/ Kahn, Alchimie et Paracelsisme en France, p.110, 111.
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Nous estimons donc que ce manuscrit a pu effectivement appartenir à la
famille de Boodt comme le stipule Barnaud et que ce dernier, moyennant l‟acceptation d‟une publication de l‟adaptation dans le futur Theatrum Chemicum
voire de sa cession, l’aurait monnayé à Anselme contre une intronisation révélatrice au sein du palais.
Barnaud qui avait débuté son récit en avançant que le medicinae doctorem était déjà ennemi de l’alchimie assure qu’Anselme, après avoir tenté d’autres transmutations infructueuses, abandonna alors toute ambition sur ce sujet.
Kahn révèle ailleurs 92 que « Nicolas Barnaud, alchimiste réformé qui
évolua vers le socinianisme, [utilisa] délibérément l’alchimie à des fins politiques et diplomatiques, et plus précisément en faveur de la paix civile et religieuse. »
L‟aspect extraordinaire du récit de Barnaud a été relevé par Purš qui,
ayant analysé l‟ensemble alchimique de ce témoignage, le qualifie sarcastiquement d‟une bemerkenswerte Koinzidenz devant facilement arriver aux oreilles
de l‟empereur.
C‟est alors que le destin d‟Anselme bascule pour se voir glorieusement
et officiellement nommé Hofmedico 93, médecin de la cour 94 en mars 1588.
(À suivre - Anselme Boece de Boodt, 1550-1632, Gemmologue Praticien.
De Bruges à Prague, Itinéraire Européen d‟un Humaniste - 2ème partie)
92/ Kahn, « Paracelsisme, alchimie et diplomatie », p.121.
93/ « Hofmedico cum privilegio exercendi proxim für D. Anselmus de Boodt ».
94/ Il remplace la vacance de Rembert Dodoëns qui avait quitté Vienne en 1580.
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