L'Escarpolette Fragonard Jean-Honoré

Les Hasards heureux de l'escarpolette

Dimensions

H. : 81 cm ; L. : 64,2 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1767-1768

Lieu de conservation

Royaume-Uni, Londres, Wallace Collection

Que cache ce tableau charmant apparemment innocent ?

Le XVIIIe siècle voit se développer des œuvres sentimentales, érotiques, voire libertines. Littérature, gravure et peinture regorgent d’exemples, comme Choderlos de Laclos, célèbre pour avoir écrit Les Liaisons dangereuses, et Jean-Honoré Fragonard.

Charmante scène de sous-bois

Les Hasards heureux de l’escarpolette image principale appelé plus simplement L’Escarpolette, nous transporte dans un parc planté de grands arbres et peuplé de sculptures. Ce sous-bois est le théâtre d’une scène joyeuse. Une jeune femme se balance sur une escarpolette détail b. Les drapés rose et blanc de sa tenue contrastent avec l’abondante verdure. À l’arrière-plan, un homme d’âge mûr détail c tire sur les cordes pour entraîner le mouvement de la balançoire. Près de lui, une sculpture représente deux petits amours ailés détail c. L’un d’eux regarde la jeune femme. Au premier plan, à gauche, un autre amour nous invite au silence. Un jeune spectateur détail d est caché dans la végétation. La jeune femme tourne le dos à celui qui pourrait être son mari, dans l’ombre, et dévoile ses jambes et sa jarretière au jeune homme. Elle lui jette sa chaussure, comme un défi ; et lui permet ainsi un regard sur son anatomie intime. L’admirateur, fleur à la boutonnière, proche de l’extase, marque son admiration par des yeux écarquillés, une bouche béante et des mains ouvertes. Sur le côté droit, un petit chien jappe détail c. Symbole de fidélité conjugale, il flaire le danger. La situation périlleuse est également traduite par les fixations très approximatives de la balançoire dans l’arbre.

Un sujet symbolique et érotique

Fragonard peint une autre Balançoire vers 1750-1755 image 1 formant le pendant d’un jeu de Colin-Maillard. Ces deux peintures montrent des enfants jouant. Ces scènes joyeuses reflètent une enfance innocente et heureuse. Mais l’escarpolette symbolise aussi des sentiments instables, oscillant entre plusieurs personnes, plusieurs projets, souvent dans un contexte érotique ou sexuel.

Le jeu de l’escarpolette se réfère aussi aux pratiques des chamanes. Il est associé à la fécondité de la terre et de la femme. Dans le culte de Krishna, il est symbole des extases de l’amour mystique. La balançoire figure le mode de vie de l’échangisme, associé au mouvement, au partage physique et émotionnel et aux relations ouvertes. Le balancement, accentué par le mouvement d’avant en arrière, évoque la pulsion sexuelle et le plaisir. C’est ce désir sexuel que représente Fragonard. Le symbolisme sexuel se retrouve chez Jean-Baptiste Pater image 2, et inspire probablement Renoir. Dans l’un de ses célèbres tableaux, une femme debout sur une balançoire baisse les yeux, sans doute gênée par les propos tenus par les deux hommes . Son fils, le cinéaste Jean Renoir, reprendra ce symbole dans Une partie de campagne (1936).

Une peinture frivole et libertine

D’après le Journal de Charles Collé, en 1767, le peintre Gabriel-François Doyen reçoit un « homme de la Cour » qui veut lui passer commande : « Je désirerais que vous peignissiez madame (sa maîtresse) sur une escarpolette qu’un évêque mettrait en branle. Vous me placerez de façon, moi, que je sois à portée de voir les jambes de cette belle enfant, et mieux même si vous voulez égayer davantage votre tableau. » Doyen l’envoie à Fragonard, qui accepte mais hésite pour l’évêque, car cela pourrait mettre sa carrière en danger. Il le remplace par un mari. Le commanditaire serait Bollioud de Saint-Julien, receveur général du clergé. Toutefois, à 54 ans, il ne ressemble pas beaucoup au jeune homme du premier plan. Il s’agirait plutôt de son fils. Cette scène est un marivaudage, un sujet frivole courant dans la société galante et libertine qui se développe au XVIIIe siècle.

L’œuvre érotique a pour thème l’inspiration de l’amour charnel, mais doit s’affirmer sans débauche ni obscénité. Alors que seule une déesse pouvait être représentée nue, le corps féminin se libère image 3 et le style libertin exprime volupté et plaisir. C’est le cas chez les peintres Watteau, Boucher image 4, Baudouin image 5 et Fragonard. Ces œuvres licencieuses abondent sous Louis XV.

La peinture érotique est considérée comme pernicieuse pour la femme (Jean-Jacques Rousseau) et elle est réprouvée par Diderot. L’image érotique s’échange sous le manteau et elle est réservée aux amateurs masculins. Les peintures de galanterie et de libertinage ont pour conséquence des amours illicites et sont souvent faites par des hommes pour les hommes.

Fragonard, un peintre talentueux

Après sa formation de peintre auprès de Chardin et surtout Boucher, il voyage en Italie. Artiste brillant, il obtient un logement au Louvre, dans l’un des appartements avec atelier proposés aux meilleurs artistes et aménagés dans la Grande Galerie du palais. Il peint des sujets d’histoire comme Corésus et Callirhoé image 6, des portraits image 7, des paysages image 8 et se spécialise dans le genre libertin image 9.

Sa technique, virtuose, rapide, traduit l’expression et la grâce de ses modèles et donne un ton léger à ses tableaux. La Révolution exécute ou exile sa clientèle et il est ruiné. Il devient alors conservateur au moment de la création du musée du Louvre, mais sera expulsé de son logement en 1805. Son style sera remplacé par la froideur morale néoclassique de David image 10. Cette société est élégante parce qu'elle pratique, en société principalement, un langage codé (éventails, fleurs, mouches) évitant tout débordement. Elle est pourtant licencieuse, en raison des mariages arrangés, des différences d'âge entre conjoints, mais cette licence reste dans le secret des alcôves.

La peinture érotique, créée discrètement dans l’atelier, est savourée secrètement dans les boudoirs par des amateurs raffinés. Fragonard en est un des plus brillants représentants.

L'Escarpolette de Fragonard, L'Escarpolette après restauration, une vidéo de France 2 TV Londres, 2,06mn

Mots-clés

Marie-Bélisandre Vaulet

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/lescarpolette

Publié le 08/07/2024

Ressources

Une étude de l'oeuvre sur le site web de la Wallace Collection

https://www.wallacecollection.org/explore/explore-in-depth/fragonards-the-swing/

Le Feu aux poudres, une étude sur l'esprit libertin au XVIIIe siècle - L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/etudes/feu-poudres

"Les Liaisons dangereuses" en images sur le site web de la BNF, Les Essentiels Littérature

https://essentiels.bnf.fr/fr/en-images/e71e25a7-e57d-421c-9cf5-306e0f3a5262-liaisons-dangereuses