Shade (ballroom)
Dans la culture ballroom, la shade (litt. ombre ou ombrage) est une remarque à l'oral ou un geste ironique servant à analyser quelqu'un (reading someone, « lire quelqu'un ») afin de subtilement faire passer du mépris ou de la désapprobation, mais paradoxalement dans une forme de camaraderie.
Une définition fameuse est donnée par la designer Dorian Corey (en) dans le documentaire Paris is Burning : « La shade, c'est… Je ne te dis pas que tu es moche, mais je n'ai pas besoin de te le dire parce que tu le sais que tu es moche. Voilà la shade[2]. » Selon C. Namwali Serpell, la shade est distincte du trolling parce qu'elle a une fonction de test de connivence[3], et elle cite également Corey pour affirmer : « La shade vient du reading. C'est le reading qui est apparu en premier. Le reading est le véritable art de l'insulte… Et puis le reading est devenu une forme élaborée qui est devenue la shade[note 1]. »
Jackie Goldsby, citée par Eve Oishi, distingue les deux pratiques[4] :
« In the ball world the children clarify the workings of power in signifyin(g) exchanges because they split the notion into two forms: “reading” and “shading.” Where the former is an insult that occurs between dissimilarly advantaged speakers, the latter happens when two similarly positioned speakers square off to spar verbally. … To “throw shade,” on the other hand, one addresses an equal on the sly. »
« Dans le monde du ball, les petits jeunes rendent explicites les relations de pouvoir au sein de leurs échanges signifiants, car ils font bifurquer la notion en deux formes : le « reading » (lire) et le « shading » (ombrer/ombrager). Alors que la première forme est une insulte entre personnes de statuts inégaux, la seconde se rencontre lorsque deux orateur·rices dont les positionnements sont similaires se livrent à un règlement de comptes verbal. (...) « Throwing shade[note 2] », c'est une adresse d'égale à égale en catimini. »
Selon une enquête menée par Seth Davis, la shade, pratique de la communauté queer afro-américaine, est caractérisée par une tension entre agressivité et complicité qui permet de renforcer les liens d'un communauté mais porte aussi en soi le danger d'aliéner[2]. La shade a été empruntée par l'ensemble de la communauté LGBT puis au bout du compte par la pop culture des États-Unis, avec à certains égards des dimensions d'appropriation culturelle[2].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Shade comes from reading. Reading came first. Reading is the real artform of insult... Then reading became a developed form where it became shade.
- litt. faire de l'ombre, porter ombrage. Attention, le sens figuré de ces expressions francophones, qui est de rendre quelqu'un jaloux ou méfiant par peur d'être éclipsé[5], en fait des faux amis du sens de shade.
Références
[modifier | modifier le code]- (en-US) Ella Braidwood, « Here are some RuPaul’s Drag Race queens throwing shade to help you through this heatwave », sur PinkNews | Latest lesbian, gay, bi and trans news | LGBTQ+ news, (consulté le )
- Seth Davis, « Shade: Literacy Narratives at Black Gay Pride », Literacy in Composition Studies, vol. 7, no 2, , p. 56–89 (DOI 10.21623/1.7.2.4, lire en ligne, consulté le ) :
« Shade is... ‘I don’t tell you you’re ugly, but I don’t have to tell you because you know you’re ugly. Now, that’s shade. »
- (en-US) C. Namwali Serpell, « Notes on Shade », Post45: Peer Reviewed, , §§ 10-14 (ISSN 2168-8206, lire en ligne, consulté le )
- (en) Eve Oishi, « Reading Realness: Paris Is Burning, Wildness, and Queer and Transgender Documentary Practice », dans A Companion to Contemporary Documentary Film, Wiley, , 252–270 p. (ISBN 978-1-118-88458-4, DOI 10.1002/9781118884584.ch12, lire en ligne)
- Informations lexicographiques et étymologiques de « ombrage » (sens B) dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales