De prime abord, sa passion pour la communication ne saute pas aux yeux : il est calme et plutôt réservé. Pourtant, quand on l'interroge sur les péripéties climatiques de notre planète, actuelles ou à venir, Jean Jouzel devient vite attentif et chaleureux. A propos du réchauffement climatique, il se dit "inquiet, mais doté d'un optimisme raisonné". Il a un message à faire passer : "En modifiant le climat de la Terre, nous avons mis en route des processus irréversibles. Si on ne fait rien maintenant,nos petits-enfants le paieront très cher plus tard. D'autant, insiste-t-il, que l'on ne connaît pas bien la virulence de la réponse climatique à nos désordres."
Jean Jouzel estime qu'un scientifique doit rendre compte de ses travaux aux citoyens et que "sa connaissance doit être transmise à la communauté". Sa connaissance à lui est l'aboutissement de trente ans d'études sur les "archives" climatiques stockées dans les glaces de l'Antarctique et du Groenland. Ses recherches ont été guidées par une idée : "Ce que l'on regarde dans le passé nous apprend quelque chose de pertinent sur les climats du futur."
Spécialiste des climats du passé, Jean Jouzel alerte donc inlassablement les décideurs, les médias et les citoyens des conséquences des émissions des gaz à effet de serre dues à l'homme sur le climat futur. "Il n'a pas hésité à se rendre à la Maison Blanche pour sonner le tocsin sur cette question", raconte Dominique Raynaud, du Laboratoire de glaciologie et géologie de l'environnement (LGGE) de Grenoble (Isère), qui l'accompagnait.
Les études que Jean Jouzel a menées avec des équipes françaises et internationales sur les carottes de glace du Groenland et de l'Antarctique, et plus récemment sur le projet Epica (European Project for Ice Coring in Antarctica), ont montré que, depuis 650 000 ans, le taux de ces gaz (gaz carbonique et méthane) dans l'atmosphère terrestre n'avait jamais été aussi élevé. En raison de sa connaissance du dossier, il est maintenant vice-président du bureau du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui a remis au début de l'année son quatrième rapport sur l'état climatique de la planète.
Rien, pourtant, ne prédisposait ce Breton, né dans une famille d'agriculteurs à Janzé (Ille-et-Vilaine), à devenir le héraut du réchauffement climatique. Doté d'un goût précoce pour les mathématiques et la science, il découvre très jeune sa vocation de chercheur à l'occasion d'une émission sur le Centre d'études nucléaires de Saclay (Essonne). Et c'est là, en 1974, bien des années plus tard, qu'il commence sa carrière, doté d'un diplôme d'ingénieur chimiste de l'Ecole supérieure de chimie industrielle de Lyon et d'un doctorat ès sciences obtenu à Orsay. Il est engagé au Laboratoire de géochimie isotopique de Saclay pour y étudier la formation des grêlons. Un travail fondé sur l'analyse des proportions des différents isotopes de l'hydrogène et de l'oxygène qu'ils contiennent.
Cette spécialité, apparemment anodine, déterminera son avenir scientifique. Au début des années 1980, Claude Lorius, son complice et ami avec qui il a partagé la Médaille d'or du CNRS en 2002, alors directeur du LGGE, lui propose de travailler sur la glace des régions polaires. L'analyse du deutérium et de l'oxygène 18 constitue en effet un outil privilégié de reconstruction des paléo-températures de ces zones. Car plus il fait froid, moins la concentration de ces isotopes dans la neige est élevée. Pendant la décennie 1980, Jean Jouzel sera présent sur tous les fronts des forages en Antarctique (Dôme C, Vostok) et au Groenland, mais sans être obligatoirement sur le terrain.
Modeste, "ayant effectué un parcours classique de chercheur", il dit sa chance d'avoir effectué ses travaux pendant un moment faste de la recherche paléo-climatique française.
Au même moment, en effet, "les équipes du LGGE réussissaient à mesurer le méthane et le gaz carbonique présents dans les bulles d'air emprisonnées dans la glace depuis des millénaires". Les travaux menés par les équipes françaises et internationales pour faire parler les glaces se concrétisent par la publication de trois articles dans la revue Nature, en 1987, "qui font date, car ils démontrent la relation étroite entre les gaz à effet de serre et le climat du passé. Ils montrent aussi que la dernière période glaciaire a connu des changements climatiques très rapides". Le point d'orgue de sa "passion polaire" sera le projet Epica.
Aujourd'hui, la passion pour la recherche demeure, et Jean Jouzel y consacre autant de temps que lui laissent ses activités multiples. Connu pour sa grande puissance de travail - et pour une distraction légendaire -, il mène de front de multiples responsabilités. Directeur de recherches au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), il dirige l'Institut Pierre-Simon-Laplace, qui fédère cinq laboratoires de la région parisienne et regroupe huit cents personnes, dont le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (Saclay et Gif-sur-Yvette).
Même si ses collaborateurs ont parfois du mal à capter son attention, il est en général apprécié, car il sait écouter les jeunes chercheurs, faire confiance et déléguer ses responsabilités. Il est d'ailleurs heureux d'avoir transmis sa flamme de savant et de communicant à toute une génération de jeunes scientifiques.
Depuis qu'il a commencé à alerter l'opinion sur le risque climatique, Jean Jouzel constate que les mentalités ont évolué et que ceux qui contestent la responsabilité humaine dans le réchauffement se font plus rares. Il espère bien que des décisions seront prises cet automne à l'occasion du "Grenelle de l'environnement" promis par le gouvernement, pour arriver à diviser par quatre les émissions des gaz à effet de serre en France d'ici à 2050. "Si on veut que cela marche, il faut des mesures efficaces dès maintenant." Et il ne faut pas trop tarder non plus au niveau mondial.
Car, "si on ne bouge pas, on va se retrouver avec un réchauffement de 3 à 4 oC à la fin du siècle, ce qui est énorme", ajoute-t-il. "On ne peut pas aller vers un suicide écologique collectif sans rien faire, alors qu'il existe des solutions possibles", martèle-t-il. Mais cela nécessite de changer le credo économique dominant pour passer "d'une croissance purement capitaliste, où seul l'argent compte, à une croissance plus écologique et plus respectueuse de l'environnement".
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu