C’était début 2018, elle chantait « Dans mon bordel, je mets de l’ordre. Je rouvre les plaies guéries… » On avait rencontré Mai Lan à l’occasion de son album, Autopilote. Elle était arrivée flamboyante, et petit à petit, on avait glissé vers l’introspection intime sans qu’elle arrive à dire exactement la nature de ces « plaies guéries ». « Je me rends compte, confie-t-elle trois ans plus tard, à quel point j’avais du mal à le formuler, voire à l’identifier. Ce qui est paradoxal c’est que cette pudeur, dont tu penses qu’elle te protège, te coupe du monde… Aujourd’hui, c’est la première fois de ma vie que je suis entière. Jusqu’ici j’étais en esquive. Un bout manquait, une partie de toi-même qui est en souffrance à qui tu dis de se taire toute la journée. »
Ce bout-là a 7 ans et son grand-père maternel la touche. Son grand-père est un homme formidable, sympathique, que tout le monde aime, dans cette grande famille où l’on vénère les anciens. La petite fille se tait. Mais dès lors rase les murs, fait le tour de la table, et s’applique à tenir « le loup » à distance… Le Loup, c’est ainsi qu’elle le baptise dans un livre pour enfants ainsi titré, qu’elle publie aujourd’hui à La Martinière, pas pour dénoncer mais pour encourager les enfants victimes d’inceste, comme elle, à parler, à demander secours, tout en sachant que ce sont des murs auxquels ils vont se heurter.
Les murs les plus solides sont en soi-même, témoigne-t-elle. « J’avais peur que mon père tue mon grand-père, que mes parents soient tristes, que toute la famille explose à cause de moi, que ça me retombe dessus également. Elle est super, notre famille. Je ne voulais pas les déranger, perturber l’équilibre. » Une sacrée tribu. Le père, c’est Christian Chapiron, alias Kiki Picasso du groupe d’anarchistes du graphisme, Bazooka. Le frère, c’est Kim Chapiron, fondateur avec Romain Gavras et Ladj Ly de la bande Kourtrajmé, qui a épousé Ludivine Sagnier…
Mai Lan a 13 ans lorsque enfin, elle parle de son drame à sa mère. « J’ai pleuré pendant deux semaines avant de pouvoir me lancer. J’allais mal et je ne comprenais rien. L’adolescence, c’est un torrent d’émotions incontrôlées. Et ce truc grandissait. Je me rappelle que c’est à ce moment qu’est sorti L’Ame des guerriers [film du Néo-Zélandais Lee Tamahori, autour d’une famille maorie]. Le fait que la fille se suicide après son viol m’a marquée. »
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