Jacques Higelin a fêté ses 75 ans, le 18 octobre. Samedi 24 octobre, il est en majesté, invité à chanter à la Philharmonie de Paris avec l’Orchestre national d’Ile-de-France. Higelin symphonique, qui l’eût cru ! Il s’en étonne d’ailleurs, à la toute fin du spectacle, dans un long discours descriptif de son état émotionnel quand on lui a annoncé qu’il serait la vedette de son anniversaire – il pensait que c’était celui de la Philharmonie. Il est tombé en larmes sur le parvis du pachyderme construit par Jean Nouvel, puis il a dit : « Il n’y aura personne pour venir me voir, ils viennent dans les banlieues, en province, pas ici ! » Il parle, il parle, mais il s’est tenu à carreau pendant deux heures, sans rien dire, parce que la grande salle de la Philharmonie, et l’orchestre derrière, en imposent. Il l’a joué serré. Cela a été superbe.
Le programme balaie quarante ans d’une carrière qui en comporte cinq de plus si on y ajoute les albums enregistrés dès 1965 avec Brigitte Fontaine et Areski Belkacem pour le label de Jacques Canetti, puis pour celui de Pierre Barouh, Saravah. A la « Philhar », Higelin réécrit son histoire à partir de BBH 75, sorti fin 1974. Bruno Fontaine, chef d’orchestre et arrangeur, a adapté la logorrhée rock de Mona Lisa Klaxon pour l’orchestre symphonique. C’est une prouesse, réussie, tout comme la transcription d’Irradié, magma de cordes à vous donner le tournis. En une quinzaine de chansons disparates et typées, Higelin le baladin est habillé pour l’éternité.
Câlin-bisou, bisou-câlin
Jacques Higelin aime les femmes. Il a composé, en 1977, L comme beauté, très Léo Ferré, et l’année d’avant, en 1976, La Rousse au chocolat, qu’il chante en s’accompagnant à l’accordéon, et puis Ballade pour Izïa, sa fille, quand elle est née en 1990. Elle vient le rejoindre en scène pour la chanter, et c’est câlin-bisou, bisou-câlin. Puis, dans la famille, il choisit le fils, Arthur H, tout en rouge, et ce sont deux vrais mecs qui entonnent Lettre à la petite amie de l’Ennemi public n° 1 (extraite de No Man’s Land, 1978). La voix est bonne, l’émotion, souvent épidermique.
Pars (du même album) est magnifiée, guitare en tricot (Alice Botté) et orchestre planant. Geste généreux incitant à suivre sa route en solitaire, la chanson peut s’adresser à une femme naguère chérie. Ou à des enfants grandissants. Aux rappels, le père tendre convoque les siens, Arthur à la voix basse et Izïa au timbre perché, pour un second Pars. Mais, l’enfant, c’est lui, léger comme un Trenet, titi comme un Montand, noctambule aérien qui a compris que « la mort, c’est le berceau de la vie ».