PLACE de Venise, à Rome, le touriste est généralement saisi par la laideur du monument élevé à la mémoire de Victor-Emmanuel. S'il contourne cette masse blafarde à gauche, il débouche sur la voie des forums impériaux menant tout droit au Colisée. S'il tourne sur la droite, il monte au Capitole, laissant derrière lui le Palais de Venise, qui fut la résidence de Mussolini.
Le Duce n'est pas responsable du monument à Victor-Emmanuel, qui fut édifié entre 1885 et 1911. C'est en creux qu'en ces lieux s'inscrit la présence du fascisme. Pendant toute la durée du régime, on a gratté le Capitale à sa base et sur ses flancs. Le quartier populaire d'origine médiévale a disparu, des places ou des demeures où s'étaient cristallisés des siècles d'histoire ou de vie quotidienne se sont évanouies ; telle église baroque a été détruite, telle autre démantelée, pour être reconstruite ailleurs... Pour tracer la perspective qui va du Palais de Venise au Colisée, une douzaine de rues ont été rayées de la carte. Ce tapis d'asphalte pour parades militaires, déroulé dans un décor de ruines antiques curetées et refaites, aura été une excellente contribution à l'image de marque internationale du régime.
Qu'on se déplace maintenant de l'autre côté du Tibre, à deux pas du château Saint-Ange, pour enfiler la via della Conciliazione, qui conduit à la place Saint-Pierre. Ici le kitsch est sans humour ni bizarrerie, tout est raide et faux. Le 28 octobre 1938, seizième anniversaire de la Marche sur Rome, Mussolini donnait le premier coup de pioche à la destruction de la Spina, un ensemble de vieilles demeures comprenant quelques palais et situé entre la colonnade du Bernin et le Tibre. Près de cinq mille personnes durent trouver un logement ailleurs, pour que puisse être ouverte la rue qui, désormais, unit la ville de Rome au Vatican et symbolise la réconciliation de l'État italien avec l'Église catholique.
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