À Paris, une exposition éblouissante révèle pour la première fois l’art mystérieux d’Olga de Amaral
Utilisant superbement l’architecture transparente de Jean Nouvel pour le rez-de-chaussée de la Fondation Cartier, la designer Lina Ghotmeh fait dialoguer les tissages de Olga de Amaral (née en 1932 à Bogota) avec la nature environnante. Un accrochage subtil et poétique à voir sur deux niveaux jusqu’au 16 mars.
Dès l’entrée de l’exposition de cette rare artiste textile colombienne, on est surpris par la mise en espace des grandes tapisseries de Olga de Amaral flottant les unes devant les autres. Grâce à Lina Ghotmeh et à l’architecture de Jean Nouvel, intérieur et extérieur ne font qu’un. Le lien entre les deux milieux se fait par des pierres d’ardoise posées dans les salles de la Fondation Cartier et dehors. Les feuilles d’automne des arbres du jardin de la Fondation Cartier répondent également aux couleurs chaudes des œuvres de lin, coton ou feuilles d’or. Il ne s’agit cependant que de l’introduction à un ensemble de près de 80 œuvres créées depuis les années 1960.
« En construisant des surfaces, je crée des espaces de méditation, de contemplation et de réflexion », assure Olga de Amaral qui, depuis son année de formation en 1954 à la Cranbrook Academy of Art, près de Detroit, applique les formes géométriques observées dans l’art moderne à ses productions textiles. Elle expérimente également le mélange des matières en utilisant ses connaissances des tissus anciens de la cordillère des Andes et des plaines tropicales et en les mixant aux technologies contemporaines. Matières et couleurs lui permettent de créer des métaphores de paysages ou de ciels, qui inspirent la méditation.
Olga de Amaral met en œuvre différentes techniques comme le tissage, le nouage, le tressage ou l’entrelacs des fils. Si elle joue souvent du plan de la tapisserie, elle se plaît également à utiliser la troisième dimension. La plus belle application demeure les Brumas (brumes), commencées en 2013 et constituées de milliers de fils de coton enduits de plâtre (gesso) et recouverts de peinture acrylique. Elles évoquent la pluie ou les nuages, impalpables, indéfinis, légers comme l’air.
En descendant au sous-sol de la Fondation Cartier, l’atmosphère change. Placées dans l’obscurité, les œuvres textiles d’Olga de Amaral deviennent plus mystérieuses. On a l’impression de descendre dans une tombe précolombienne envahie de tissus aux motifs géométriques. La série des Estelas (Étoiles), commencée en 1996, évoque un alignement de stèles dorées. D’autres, à base de crin de cheval et de laine, ondulent comme des bannières.
Avec leurs dimensions monumentales, certaines œuvres d’Olga de Amaral apparaissent comme des prolongations de l’architecture qui les abrite. Ainsi de son Gran muro de 35 mètres de haut imaginé pour l’atrium du Peachtree Plaza Hotel d’Atlanta de l’architecte américain John C. Portman, qui est alors l’hôtel le plus haut du monde. Cette idée de fusion avec l’environnement est la même que celles de ses contemporains Gego, Jesus Rafael Soto ou Ana Mendieta qui, avec des moyens totalement différents, s’intègrent dans l’espace public, construit ou végétal.
Pour évoquer les fils sacrés d’Olga de Amaral, Maria Wils Londono présente de multiples sources d’inspiration dans le catalogue de l’exposition. Bien sûr, les textiles Muisca de Colombie et les urnes funéraires recouverts de motifs complexes. Puis, elle évoque les ors des retables baroques comme celui de l’église Senora del Rosario de Leyva ou ceux des églises coloniales de Bogota. Dans les Estelas, présentées dans l’obscurité du parcours, on retrouve la frontalité de ces murs dorés du XVIIe siècle et la grandiloquence permettant « de provoquer de fortes émotions favorables à la persuasion religieuse et au développement de la dévotion ».