PERSPECTIVE
2010
2011
ACTUALITÉS DE LA RECHERCHE EN HISTOIRE DE L’ART
La revue de l’
Antiquité
L’art protohistorique ? Les spécialistes exposent l’actualité de cet
art à l’esthétique étrange et inclassable. Non moins inventives,
les études sur l’art romain et l’archéologie classique interrogent
l’art comme phénomène social, entre centres et périphéries.
Moyen Âge
Entre France, Allemagne et États-Unis, Willibald Sauerländer
revient sur un demi-siècle d’histoire de l’art. Quelles méthodes pour
quels objets ? Des manuscrits aux fresques, de Bruges à Budapest, ce
dossier témoigne de la vitalité d’une discipline.
armand colin
2
PERSPECTIVE 2010/2011-2
Antiquité/Moyen Âge
ÉDITORIAL
189 | François Boespflug : Histoire de l’art et théologie, le cas français
Antiquité
Moyen Âge
DÉBAT
DÉBAT
195 | Qu’est-ce que l’art protohistorique ?
Points de vue d’Henri-Paul Francfort, Christoph Huth, Ricardo Olmos et Miklós Szabó,
avec Stéphane Verger
285 |
TRAVAUX
301 | Les manuscrits à peintures au Moyen Âge :
215 | L’architecture romaine, évolution d’un
champ d’études depuis les années 1950
Henner von Hesberg et Johannes Lipps
« L’œil écoute » : entretien avec
Willibald Sauerländer
Par Pierre-Yves Le Pogam, Michael
F. Zimmermann et, pour Perspective,
Olivier Bonfait et Marion Boudon-Machuel
bilan et perspectives de la recherche
Points de vue de Gregory T. Clark,
Dominique Vanwijnsberghe, Hanno Wijsman
et Harald Wolter-von dem Knesebeck,
avec Pascale Charron et Marc Gil
ACTUALITÉ
TRAVAUX
241 | Chiusi étrusque et son territoire :
319 | La décoration monumentale à Rome aux XIe et
XIIe siècles : révisions chronologiques, stylistiques
et thématiques
Stefano Riccioni
archéologie et historiographie
Natacha Lubtchansky
249 | Regards sur la peinture antique
Michel E. Fuchs
ACTUALITÉ
257 | L’ornementation architecturale dans les
361 | Reliques et reliquaires, entre matérialité
provinces occidentales de l’Empire romain,
une approche renouvelée
Dominique Tardy
264 | Renouveau des études sur les décors de la
Gaule romaine : peinture murale et sculpture
Xavier Lafon
271 | Archéologie, politique et histoire en débat
Zeynep Çelik
277 | Choix de publications
280 | Résumé (rubrique TRAVAUX), abstract,
Zusammenfassung, riassunto, resúmen
et culture visuelle
Nicolas Bock
369 | L’architecture médiévale en brique
dans le nord de l’Europe
Vincent Debonne
375 | Rhétoriques visuelles et débats historio-
graphiques autour de la Naples angevine
Joan Molina Figueras
384 | Histoire de la peinture médiévale
dans le royaume de Hongrie
Marie Lionnet
390 | Choix de publications
396 | Résumé (rubrique TRAVAUX), abstract,
Zusammenfassung, riassunto, resúmen
398 | Crédits photographiques
L’art protohistorique
Débat
Travaux
Actualité
Qu’est-ce que l’art protohistorique ?
Points de vue d’Henri-Paul Francfort, Christoph Huth, Ricardo Olmos
et Miklós Szabó, avec Stéphane Verger
L’art protohistorique est un art constamment actuel. Dès lors qu’il fut entendu – mais il fallut du temps pour que cela advienne – qu’il n’était pas
une copie maladroite de l’art classique, de même que les sociétés protohistoriques n’étaient pas de pâles copies des premières civilisations historiques, il tint une place à part dans le panorama des arts anciens. De l’une
de ses manifestations les plus spectaculaires, l’art celtique, on fit un art
d’anti-académisme, de résistance contre le classicisme, toujours prêt à incarner la création spontanée. Il est clair qu’il s’inspire de l’art grec, mais il
en est l’opposé esthétique et philosophique, comme l’écrit André Breton
en 1955 : « Il importe peu que le choix du statère de Philippe II comme
prototype de la plupart des monnaies gauloises ait été décidé par une circonstance fortuite […], le trait de génie a été de le considérer d’un œil neuf
qui l’arrache à sa rigidité, le sensibilise au point de lui faire supporter, dans
les limites de ses deux faces, toute l’énigme du monde » 1.
Il y a là quelque chose d’incompréhensible à l’aune de l’art classique, une esthétique étrange, inclassable, dont Georges Bataille rend déjà
compte de manière provocatrice : « Les ignobles signes et gorilles équidés des Gaulois, animaux aux mœurs innommables et combles de laideur,
toutefois apparitions grandioses, prodiges renversants, représentèrent ainsi
une réponse définitive de la nuit humaine, burlesque et affreuse, aux platitudes et aux arrogances des idéalistes » 2.
C’est cette transfiguration du réel, que Breton n’hésite pas à rapprocher
de l’art de l’alchimiste dont il croit voir comme l’essence dans les médailles gauloises, qui fait de l’art celtique, comme des autres arts protohistoriques, un art
toujours actuel. Paul-Marie Duval qualifia ainsi les célèbres petites statuettes de
danseuses en bronze « gallo-romaines » du dépôt de Neuvy-en-Sullias, habituellement considérées comme des versions abâtardies de la plastique méditerranéenne, comme des œuvres « qu’on croirait nées d’hier ou de demain » 3.
Et cette dernière réflexion est loin d’être un lieu commun lorsqu’il l’écrit en
1955 : l’art celtique, et plus généralement les arts « protohistoriques » européens,
furent alors, parmi les arts « primitifs », les derniers qui inspirèrent finalement
Henri-Paul Francfort, directeur
de recherche au CNRS et spécialiste de l’archéologie de l’Asie
centrale des âges du bronze et du
fer, travaille sur l’art des steppes et
l’art rupestre centrasiatiques, ainsi
que sur l’art des sociétés protourbaines de l’âge du bronze.
Christoph Huth, professeur d’archéologie protohistorique à l’Albert-Ludwigs-Universität de Fribourg, est l’auteur de nombreuses
publications sur la représentation
humaine pendant la protohistoire
et sur l’archéologie des religions
aux âges du bronze et du fer.
Ricardo Olmos, directeur de
recherches au Consejo Superior
de Investigaciones Científicas et
directeur de l’Escuela Española
de Historia y Arqueología à
Rome, travaille sur l’iconographie
ibérique et sur le commerce et la
réception de la céramique attique
dans la Péninsule ibérique.
Miklós Szabó, professeur d’archéologie classique et protohistorique à l’université Eötvös
Loránd de Budapest, dirige le
chantier hongrois de Bibracte. Il
s’intéresse en particulier aux terres
cuites archaïques de Béotie et à
l’art et l’archéologie des Celtes.
Stéphane Verger, directeur
d’études à l’EPHE, s’intéresse aux
différentes formes de contacts
entre les cultures méditerranéennes et les sociétés protohistoriques au Ier millénaire avant J.-C.
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
DÉBAT
195
ANTIQUITÉ
1. Gabriel Verger, installation « La
Pierre des Fades – La Pierre des
Fées » autour du tertre funéraire
néolithique B de La Boixe (Charente), 1995.
les artistes, bien après ceux de l’Afrique noire et des
civilisations précolombiennes. Ne décèle-t-on pas
dans certaines sculptures de Max Ernst, comme
Moonmad (1944), une inspiration directe – peutêtre involontaire – de certains objets en bronze de
l’art celtique insulaire ?
Loin d’être imperméables à ces visions parfois hermétiques et provocatrices, les protohistoriens en ont à l’occasion tiré des enseignements.
Ainsi, pour rester dans les études d’art celtique,
le premier grand spécialiste européen de la discipline, Paul Jacobsthal – auteur en 1944 de l’ouvrage encore fondamental Early Celtic Art (1944) – qui était lui-même un
archéologue classique et un historien de l’art grec, s’intéressa dès 1932 aux
travaux de Wilhelm Micheels, un peintre autodidacte, amateur de géométrie
gothique et créateur d’ornements à base de jeux de cercles 4 ; des expérimentations qui découlèrent de cette relation naquit une longue lignée de recherches sur la Zirkelornamentik des Celtes.
C’est aussi ce lien organique entre arts protohistoriques et arts actuels
que met en lumière Henri-Paul Francfort lorsqu’il rapproche les manifestations les plus spectaculaires de l’art néolithique « des conceptions très actuelles de la théorie et de la pratique de l’art : abstraction, installation, performance » (voir ci-dessous). Il faudrait aussi comprendre tout ce que les
travaux de Christopher Tilley 5 doivent à la monumentale créativité du Land
Art, qui lui-même a parfois trouvé son inspiration, implicitement ou explicitement, dans l’imposante géométrie paysagère de l’art mégalithique (fig. 1) 6.
C’est que finalement les arts protohistoriques, comme les arts actuels,
se renouvellent constamment : tantôt au gré de découvertes d’œuvres toujours plus surprenantes, qui se succèdent chaque année et bouleversent
souvent nos manières d’appréhender le sujet ; tantôt grâce aux innovations
touchant les techniques de fouilles et le choix des terrains explorés par
les archéologues protohistoriens, qui traquent désormais les installations
éphémères ou les vestiges fugaces d’ornements corporels et portent volontiers un regard esthétique sur leurs découvertes, mêmes les plus triviales.
Les arts protohistoriques, comme les arts actuels, n’ont certes pas fini de
nous émerveiller [Stéphane Verger].
Stéphane Verger. Entre l’art préhistorique et l’art antique, cela a-t-il un sens pour
vous de définir un art « protohistorique » du néolithique et des âges des métaux ?
Si oui, comment le définiriez-vous ? Sinon, pourquoi ?
Ricardo Olmos. Tertium non datur ? La formulation dichotomique de la question exige
une prise de position initiale, un « oui » ou un « non » catégorique. Elle interdit de se
situer sur le terrain ambigu du « oui, peut-être », du « ça dépend ». Mais je pencherais
plutôt pour le tertium exclusum. Je crois en l’histoire dans ses interrelations infinies,
en la fluidité entre les périodes et leurs connexions, et non pas en leur cloisonnement
académique et formel.
Cette dichotomie découle de l’histoire récente du terme lui-même. L’art « protohistorique » est l’expression d’un long processus épistémologique, principalement européen, à cheval sur deux cadres temporels – la préhistoire et l’Antiquité – que l’érudition
196
DÉBAT
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
L’art protohistorique
du XIXe siècle avait délimités de manière trop rigide en se fondant sur le
critère différenciateur de l’écriture. Cet instrument créait une ligne de démarcation dans le processus de l’histoire occidentale, un avant et un après ;
elle marquait une hiérarchie culturelle entre ceux qui la possédaient et les
autres. Depuis le début, l’« art antique » appartient à des régions culturellement privilégiées : l’Égypte et le Proche-Orient, d’une part, et le centre classique méditerranéen construit par la Grèce et Rome, d’autre part, dont la
suprématie, par ailleurs, était âprement discutée au XIXe et XXe siècles 7. Tout
ce qui était contemporain de ces cultures aurait été anecdotique et barbare
(au sens étymologique de « langage répétitif et mal articulé, incompréhensible »). Bien qu’appartenant à une époque révolue, cette vision de la préhistoire comme un univers totalement différent domine encore aujourd’hui.
Mais il existe des mondes fluides, aux limites imprécises, dans
l’histoire humaine, qui grandissent à mesure que la recherche s’affine et que les questions se diversifient. L’un de ces multiples espaces trouve, dans notre culture occidentale et européenne, le nom de « protohistoire » ou « Frühgeschichte ».
La protohistoire vient s’inscrire dans la construction de l’histoire antique dès le
XIXe siècle. Au passage du XIXe au XXe siècle, nous assistons à un imparable processus
de développement géographique, temporel et conceptuel de ce que l’on entendait par
« art antique ». L’Histoire de l’art dans l’Antiquité (1882-1914) de Georges Perrot et
Charles Chipiez, en dix épais volumes 8, élargit progressivement son horizon temporel,
par exemple à la Grèce mycénienne, après les découvertes d’Heinrich Schliemann.
Cette publication ouvre en outre un nouvel espace géographique lorsqu’elle accepte
d’octroyer – non sans réticences – le privilège de l’art aux manifestations matérielles de
Sardaigne : « Toutes sauvages qu´elles fussent, ces tribus nous ont aussi légué, à défaut
de livres ou d´inscriptions, les œuvres de leurs mains : elles ont eu une architecture
et une sculpture » 9. De même, Pierre Paris, dans son Essai sur l’Art et l’Industrie de
l’Espagne primitive de 1903 10, est pris dans cette ambiguïté entre art et simple industrie
face aux manifestations des cultures ibériques récemment découvertes et qui n’avaient
pas encore été qualifiées d’art en tant que tel par Perrot et Chipiez. La Dame d’Elche,
acquise par le Musée du Louvre en 1897, avait obtenu de par ses mérites propres d’être
intégrée aux salles privilégiées de l’art oriental. Mais qu’en était-il des céramiques ibériques (fig. 2), plus humbles et barbares, de facture si grossière ? Elles étaient exclues.
Elles n’étaient que l’industrie d’une culture encore considérée comme « primitive ».
J’en arrive ainsi à un début de réponse à la question initialement posée.
La division entre « art antique » et « art protohistorique » peut être, avant tout, le résultat
d’un héritage hiérarchique de l’histoire de l’art occidental et de la conquête progressive
d’un espace qui était auparavant refusé à ces arts. À cela s’ajoute l’élargissement temporel
continu de l’art antique aux manifestations de l’âge de bronze et du premier âge de fer, ce
qui nous conduit nécessairement au néolithique lui-même et à sa « révolution culturelle ».
La simple détention de l’écriture et le développement de la ville ne suffisent donc pas pour
définir la ligne de démarcation de cet art. L’héritage et les dettes de l’art antique et ses
relations avec les mondes méditerranéens, européens et proche-orientaux constituent une
trame si complexe et si dense, durant le IIe et Ier millénaire avant notre ère, que très souvent
les frontières deviennent floues entre la protohistoire et ce qu’on appelle l’Antiquité.
L’opposition entre « art antique » et « art protohistorique » peut ne pas avoir de
fondement clair dans des recherches historiques qui tendent à analyser les connexions
et interférences continues, mais elle se justifie partiellement comme l’expression de
deux approches différentes, deux traditions de la recherche qui devraient pourtant être
2. « Cálato » ibérique en céramique
provenant de Cabezo de la Guardia
(Teruel), détail montrant un affrontement entre chasseurs et sangliers,
IIe-Ier siècle avant J.-C.,
Teruel, Musée de Teruel.
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
DÉBAT
197
ANTIQUITÉ
perçues non pas comme excluantes mais comme complémentaires. L’art protohistorique
ouvre notre champ de vision : source de grands archétypes féconds, il introduit une
plus grande universalité humaine dans le champ spatial plus restreint de l’art classique.
Des terrains limitrophes, entre « art antique » et « art protohistorique », apparaissent
et se développent. L’un a de plus en plus besoin de l’autre et réciproquement ; des
recherches dynamiques en gomment les frontières. Nous devons notre connaissance
d’Homère ou d’Hésiode aujourd’hui autant à l’approche que nous en avons à partir de
l’Antiquité que de la protohistoire 11. Les lits des fleuves confluent. Tertium datur.
Henri-Paul Francfort. La définition proposée ici dépend de l’acception du terme « protohistorique ». Si le qualificatif de « protohistorique » est pris dans un sens universel,
à savoir une phase dans un schéma néo-évolutionniste, il n’y a guère de possibilité de
définition transculturelle d’un tel art. Donc, pour apporter des éléments de réponse à
la question posée, « protohistorique » doit être compris, entre la préhistoire et l’Antiquité, comme une phase de devenir de la civilisation, sur un plan local ou régional,
selon des spécifications techno-économiques ou socioculturelles.
Du néolithique aux âges des métaux, le développement dans l’Orient ancien
de la sédentarité, de l’agriculture et de l’élevage correspond à des configurations économiques et sociopolitiques qui passent de l’échelle du village à celle de la cité,
du royaume et même de l’empire – au sens de contrôle territorial –, ou, selon une
terminologie parallèle, de la structure de la tribu à celle de la chefferie (précédant
l’État et l’empire avec notamment l’invention de l’écriture). Dans cette optique, l’art,
considéré traditionnellement comme une superstructure produite par une infrastructure socio-économique, ne fait que refléter le statut social des élites et ne sert qu’à
légitimer leur pouvoir. Implicitement, cette conception admet une relation causale
biunivoque entre le stade de développement de la structure du pouvoir et la plus ou
moins grande monumentalité de l’art qui exalte les dirigeants politiques et religieux.
Mais il y a beau temps que l’on a questionné et élargi cette mono-causalité nécessaire
et universelle, et que des contre-exemples ont été avancés. Ainsi, par exemple, les
sculptures monumentales de Nevali Çori, Göbekli (Turquie) aux IXe-Xe millénaires, la
statue humaine de Yeni Mahalle (monolithe haut de 2 mètres) ou encore les effigies
d’Ain Ghazal (Jordanie) précèdent de loin les empires 12, tandis que l’art des steppes
eurasiatiques, parfaitement mobilier et largement animalier, est produit au Ier millénaire par des « empires agrammates » qui ont su tenir la dragée haute aux Achéménides et à Alexandre le Grand 13.
Une approche qui complète la précédente, sans l’éliminer, cherche à élucider
les visions du monde qui ont présidé à l’élaboration des œuvres d’art, que les sociétés
qui les ont produites aient précédé les royaumes et empires lettrés ou qu’elles soient
leurs contemporaines 14. Cette approche repose sur des analyses plus formalistes ou
structurales des œuvres et sur un retour à l’art lui-même, qu’il soit produit à une
échelle locale ou régionale. Les crânes surmodelés du néolithique proche-oriental, les
« installations » animalières dans l’architecture de Çatalhöyük et les êtres composites
des poteries peintes de la culture de Halaf, tout comme les momies parées de l’Asie
centrale, nous disent beaucoup de choses sur l’Umwelt de ces groupes. En corollaire,
le comparatisme transculturel que permet cette approche, s’il est contrôlé, ouvre des
perspectives prometteuses du côté des arts « premiers » ou « tribaux » 15.
Christoph Huth. Il n’existe pas d’art « protohistorique » en tant que fruit d’une évolution qui conduirait de l’art paléolithique à l’art antique. Au début du néolithique,
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DÉBAT
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
L’art protohistorique
l’art paléolithique est totalement tombé dans l’oubli. Quant à l’art antique, il est bien
davantage redevable au Levant et à l’Égypte qu’à l’art protohistorique.
Avant de parler d’un art du néolithique et des âges des métaux, il convient
d’abord de rappeler les modes d’expression artistique théoriquement susceptibles
d’entrer en ligne de compte : les artefacts de toutes sortes, le corps humain
(peinture corporelle, tatouages, vêtements, coiffures), le langage (narrations, récits),
la musique (avec ou sans texte) et le mouvement (danse). De tous ces supports,
pratiquement seuls les artefacts subsistent, et uniquement ceux en matériaux
pérennes. Réduit aux objets qui nous sont parvenus (et peut-être aussi marginalisé
de la sorte), l’art protohistorique présente un certain nombre de caractéristiques,
en dépit de toute sa diversité et d’un héritage étonnamment discontinu et lacunaire
dans l’espace et dans le temps. Contrairement aux représentations géométriques
et aniconiques (surtout sur céramiques et mégalithes), les créations figuratives
frappent par leur rareté 16. Hormis les statues-menhirs du chalcolithique (fig. 3) et
les statues-stèles de l’âge du fer, les figures sont toujours de petit format, même
dans le cas des gravures rupestres 17. Outre les récipients en céramique (fig. 4)
ou en métal, les supports iconographiques sont exclusivement des objets portés
sur le corps ou en étroite relation avec lui : parures (fibules, aiguilles, anneaux,
ceintures), armes (épées, poignards, couteaux) et accessoires de toilette (rasoirs,
pincettes). Les outils artisanaux et agricoles ne comportent jamais de décor figuré.
S’ajoutent, surtout au néolithique, des statuettes en terre cuite et, ponctuellement
aux âges des métaux, des gravures rupestres en grand nombre (Mont Bégo, sud de
la Scandinavie, Valcamonica ; fig. 5) 18.
La rareté des productions figurées s’accompagne d’une invariance des motifs
iconographiques (quelques douzaines seulement) et du mode d’exécution. Les œuvres
sont toujours réalisées selon les mêmes règles, qui semblent souvent extrêmement
naïves à l’observateur d’aujourd’hui. Les figures humaines sont traitées sous forme de
personnages filiformes (« bonshommes-bâtons »), et les animaux et objets avec une
simplicité analogue. Les représentations ne visent pas à rendre la réalité telle qu’elle
est, mais telle qu’on la conçoit : personnages, animaux et objets apparaissent ainsi
comme une addition d’éléments indépendants (fig. 3-5). Souvent, plusieurs visions
cohabitent (antérieure, latérale, postérieure, en surplomb). La perspective et autres
effets de profondeur spatiale font défaut, tout comme généralement les couleurs.
Les représentations sont toutes fortement simplifiées et stylisées. Seul l’art des situles
de l’âge du fer comporte des ensembles narratifs cohérents. Les représentations
individuelles sont absentes, et il en va de même pour les paysages.
Enfin, les créations figurées relèvent presque toujours d’un phénomène très
bref : une production continue s’étirant sur plusieurs siècles est exceptionnelle (statuettes néolithiques, gravures rupestres de l’âge du bronze en Scandinavie).
3. Statue-menhir provenant de
Lagundo (Italie) [dessin dans Willy
Dondio, La regione atesina nella
preistoria, Bolzano, 1995, p. 209].
Miklós Szabó. Avant de répondre à cette question, il faut examiner de plus près le
terme de protohistoire. Le concept de « première histoire » comprend une époque
intermédiaire, située après les temps préhistoriques et qui précède l’Histoire.
Sa définition traditionnelle souligne le rattachement possible des témoignages de cette
époque aux civilisations à écriture, lesquelles fournissent des repères d’identification
ethnique des cultures archéologiques. L’introduction du terme remonte aux
années 1860, période cruciale pour la fondation de la « science préhistorique »,
qui couvrait aussi, au sens large, la protohistoire telle qu’Alexandre Bertrand l’a
définie pour la Gaule 19. L’utilisation de la notion de protohistoire reflète souvent un
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
DÉBAT
199
ANTIQUITÉ
élargissement considérable du terme – des débuts du néolithique à la fin de l’âge
du fer – qui repose cependant sur des arguments assez fragiles. Voir, par exemple,
l’introduction de l’agriculture et la formation des communautés sédentaires comme
point de départ de la protohistoire européenne. En effet, la protohistoire stricto sensu
correspond principalement, en Europe tempérée, à la période récente de l’âge du
fer, qui se caractérise, entre autres, par l’émergence des premiers grands peuples
historiques dits « barbares » – peuples italiques, Celtes, Ibères, Illyriens, Thraces 20.
Ainsi, le début de l’histoire, autrement dit la protohistoire, se sépare parfaitement
des temps préhistoriques qui comprennent en Europe le néolithique et l’âge du
bronze. En conséquence, la notion d’« arts protohistoriques » (au pluriel !) est un
terme qui englobe l’art des Celtes, des Scythes et des autres peuples « barbares »
ou « périphériques » du dernier millénaire avant J.-C 21, contrairement aux « arts
préhistoriques » du néolithique et de l’âge du bronze.
4. Chars représentés sur un vase en
céramique de la Trichterbecherkultur
trouvé à Brononice (Pologne)
[dessin dans Janusz Kruk,
Sarunas Milisauskas, The Rise
and Fall of Neolithic Societies,
Cracovie, 1999, p. 167].
5. Gravure rupestre du Val Camonica (Italie) [Vincenzo Fusco,
Alberto Galbiati, Naquane. Parco
Nazionale delle Incisioni Rupestri,
Capo di Ponte, 1990, p. 71].
200
DÉBAT
Stéphane Verger. Comment comprendre cet art sans textes ? Peut-on appliquer à l’art
protohistorique les méthodes et les outils élaborés par les historiens de l’art spécialistes
de l’Antiquité, du Moyen Âge et des époques moderne et contemporaine ?
Christoph Huth. Il s’agit de créations émanant de sociétés « alittérales », paysannes,
connaissant un mode de vie très différent du nôtre. En règle générale, il est donc
impossible d’appliquer les strictes règles de l’histoire de l’art 22. Si le manque de documents écrits empêche de comprendre les contenus narratifs, l’absence totale de textes
ne constitue toutefois pas qu’un inconvénient : la nécessaire focalisation sur la source
elle-même (l’image) aide à ne pas appréhender les œuvres uniquement comme des
illustrations de connaissances transmises par le biais de l’histoire et de l’écriture.
La valeur expressive de l’univers formel de la protohistoire réside en tout
premier lieu dans les caractéristiques évoquées précédemment : mode d’exécution,
rareté, invariance, pauvreté iconographique, caractère éphémère. Le mode de
fabrication rudimentaire des images n’est pourtant pas une question de style,
mais participe des opérations mentales présidant à toute création plastique 23.
On ne saurait expliquer autrement la parfaite uniformité des œuvres dans des
cultures géographiquement et chronologiquement
fort éloignées les unes des autres. Comparons par
exemple la représentation de char du IVe millénaire
provenant de Pologne (fig. 4) avec celle sur la statuemenhir italienne du IIIe millénaire (fig. 3) et l’image
rupestre italienne du Ier millénaire (fig. 5). On peut
décrire avec exactitude ce mode de figuration
plastique avec les méthodes des sciences cognitives.
Les facultés cognitives à la base de ces créations sont acquises durant l’ontogenèse de l’homme.
Par leur structure, elles sont universelles et totalement
anhistoriques. Par conséquent, elles autorisent des
conclusions quant à la logique de pensée, tant du
créateur que du regardeur. Notons qu’il en va ici de la
structure des opérations de pensée, et non des contenus thématiques, lesquels sont entièrement tributaires
de l’histoire 24. Savoir s’il existe une évolution dirigée
dans l’art, correspondant aux stades du développement cognitif dans l’ontogenèse, est une question qui
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
L’art protohistorique
a soulevé des controverses parmi les historiens de l’art. Il n’en sera pas débattu ici,
car toutes les créations plastiques protohistoriques (à l’exception de l’art des situles)
procèdent des mêmes opérations cognitives et ne témoignent, du moins à cet égard,
d’aucune forme d’évolution 25.
Miklós Szabó. Les arts protohistoriques ne sont pas des arts sans textes stricto sensu.
L’anecdote racontée par Diodore (XXII, 9), selon laquelle Brennos, le roi des Galates,
étant entré dans un temple grec, riait bien fort en voyant que les Grecs attribuaient
aux dieux la forme humaine, révèle la différence fondamentale entre la pensée
religieuse des Grecs et celle des Barbares arrivés du nord dans la Méditerranée.
C’est le même auteur qui rompt le silence antique sur le goût des Celtes (V, 28-31 :
leurs habits étonnants « où fleurissent toutes les couleurs », les boucliers portant des
animaux en haut-relief, les casques avec des grands ornements, etc.), en complétant
la description par l’évocation de leur manière de parler : « Ils ont la parole brève,
énigmatique, procédant par allusions… ». Le même état d’esprit caractérise leur
expression par image 26. Ce regard ethnographique des Anciens, coloré par d’autres
coutumes étranges aux yeux des Grecs ou des Romains, s’applique généralement aux
peuples dits barbares. Mentionnons, par exemple, la description d’Hérodote de la
mort scythe 27. Malgré le jugement essentiellement négatif des Grecs et des Romains
sur l’art des peuples barbares, les passages des auteurs anciens qui s’y rapportent
sont à retenir lors de l’analyse des créations celtes, scythes ou autres. Les recherches
récentes consacrées aux textes classiques sur les « Barbares » s’inscrivent dans deux
approches différentes, dont la première, qui se place dans la lignée de François Hartog,
est « anthropologique », tandis que la seconde, d’inspiration historiographique, doit
beaucoup à Arnaldo Momigliano. Ces travaux ont permis de mettre en évidence
quelques-unes des constantes du regard des « civilisés », parmi lesquelles le décalage
entre l’image donnée par les auteurs anciens et la réalité, ou encore le caractère figé
et stéréotypé que les Grecs attribuèrent aux œuvres barbares 28.
L’archéologie classique a joué un rôle important dans la reconnaissance de
l’existence des arts protohistoriques 29. La synthèse fondamentale sur l’art celtique
publiée en 1944 par Paul Jacobsthal, ancien professeur d’archéologie grecque à
Marbourg, constitue une démonstration magistrale – valable encore de nos jours –
de l’application des méthodes de l’archéologie classique à l’art protohistorique 30.
Jacobsthal a défini les rapports de l’art celtique laténien avec l’art classique de la
Méditerranée, en démontrant la création d’éléments stylistiques celtiques par l’interpretatio Celtica de prototypes Grecs ou Étrusques. Cette œuvre, rééditée en 1969,
reste le point de départ pour les approches récentes de l’étude de l’art celtique.
6. Groupe sculpté appelé « Oreste
et Électre », œuvre éclectique de
la Rome républicaine, milieu du
Ier siècle avant J.-C.,
Rome, Palazzo Altemps.
Ricardo Olmos. L’étude de l’art protohistorique exploite des stratégies particulières
d’approche et d’analyse, certaines communes, d’autres différentes de celles utilisées par les historiens de l’art d’époques historiquement définies. L’art antique est
effectivement fondé sur une ample tradition reposant sur les sources écrites qui ont
régulièrement nourri et conditionné les interprétations. Nous avons coutume de
l’appeler l’héritage ou la tradition winckelmanienne, mais elle est bien antérieure
et traverse toute l’histoire européenne depuis le Moyen Âge, avec des appropriations et des relectures continuelles du passé classique. En voici un exemple parmi
tant d’autres : le fameux groupe sculpté d’Oreste et Électre de la collection Ludovisi
(fig. 6), qui se trouve aujourd’hui au Palais Altemps de Rome, doit son nom à la
proposition de Winckelmann, qui se basait d’une part sur un rapprochement des
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ANTIQUITÉ
7a. Char miniature à protomés
d’oiseaux de l’âge du bronze final
provenant d’Orăştie en Transylvanie,
fin du IIe millénaire avant J.-C.
[dessin de Sara Olmos d’après Martin Guggisberg, « Vogelschwärme
im Gefolge der grossen Göttin.
Zu einem Drillingsvogelgefäss der
Sammlung Giamalakis », dans Antike Kunst, 41/2, 1998, p. 71- 86,
fig. 15.1] ; b. Aphrodite à cheval
sur une oie, coupe attique à fond
blanc, 470 avant J.-C., Londres,
The British Museum [dessin de Sara
Olmos d’après Erika Simon, Die
griechischen Vasen, Munich, 1976].
202
DÉBAT
tragédies grecques – principalement l’Électre de Sophocle – et d’autre part sur le
rapport âge-disposition d’esprit des deux personnages sculptés qui se rencontrent
et entament un dialogue. La sculpture donnerait corps à une relation humaine profonde exprimée par les poètes tragiques. L’art antique a très souvent été vu sous
l’angle d’une forme de reconnaissance ou anagnórisis d’un mythe ou d’une histoire
du passé par le dialogue – parfois fécondateur, d’autres fois restrictif – entre le mot
et l’image. L’objectif des historiens de l’art depuis lors a été de discuter la pertinence et les limites de cette identité et ce dialogue entre le texte littéraire et son
expression plastique supposée, qui forment aujourd’hui deux mondes expressifs en
grande partie autonomes et distincts. L’histoire de l’art ancien a par ailleurs progressivement incorporé une profusion de commentaires et d’opinions spécifiques
à la tradition de la pensée occidentale qui ne sont, en définitive, qu’exégèses et
appropriations continuelles de modèles hérités du passé classique. Cette histoire
particulière, absente dans le champ protohistorique, confère à l’art antique une
qualité propre à la culture et à l’identité occidentales.
Le postulat d’une relation si étroite entre l’histoire mythologique et son
expression plastique n’est pas concevable pour l’étude de l’art protohistorique.
Le panthéon des divinités gréco-romaines, qui permet d’expliciter noms et attributs
et d’accéder à une biographie divine détaillée, trouve difficilement son équivalent
dans la majorité des champs de la protohistoire européenne. On ne retrouve pas
cette abondance de sources ni ce dialogue qui a configuré par tradition séculaire
une histoire occidentale de la culture. Très souvent, comme dans le cas des cultures
européennes dites « barbares » ou périphériques, les témoignages littéraires
sont indirects (depuis les auteurs gréco-romains, principalement historiens) et
généralement tardifs, comme c’est le cas pour l’épigraphie ou la numismatique du
monde celtique ou celtibérique. Par conséquent, la recherche sur l’art de l’époque
protohistorique a renouvelé les outils de la connaissance, enrichissant perspectives
et analyses pour obtenir d’avantage d’informations tout en construisant des
stratégies propres. La relation presque inséparable entre art et archéologie, ainsi que
la participation étroite de modèles anthropologiques, en sont deux des constantes.
D’une part, ce champ de recherche doit établir une lecture sémiotique
des éléments matériels eux-mêmes et de leurs relations multiples au sein des
contextes archéologiques dans lesquels ils apparaissent. Les séries, les combinaisons et la contextualité sont autant de clés pour connaître les systèmes
de représentation d’une culture. C’est également un domaine idéal pour les
comparaisons et les contrastes, ce qui exige de déterminer minutieusement
ce qui peut être comparé, comment et pourquoi. La comparaison permet de
mettre au jour des points communs et des différences, des précédents et des
conséquences. Un mythe d’une culture protohistorique peut difficilement
offrir le même degré de détail qu’un récit classique, qui s’appuie sur la transmission d’une mémoire textuelle. En revanche, on peut mettre en lumière un
modèle ou un archétype large et une constellation de relations qui finissent
par éclairer le monde classique lui-même d’un jour nouveau. Souvenonsnous par exemple de l’Aphrodite classique qui voyage dans le ciel sur le dos
d’un oiseau (généralement une oie, un jars ou un cygne), largement illustrée
grâce à de multiples représentations de l’art classique gréco-romain mais
aussi grâce à la tradition littéraire. Le motif du char tiré par des oiseaux, bien
connu dans la toreutique de l’Europe centrale depuis l’âge de bronze, est à
la base d’un mythème que l’on trouve à l’époque protohistorique (fig. 7).
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
L’art protohistorique
Celui-ci a peut-être donné naissance, en Grèce, à l’histoire sacrée d’Aphrodite sur
son véhicule volant, histoire qui possède cette fois nom, biographie et espace cultuel
propre. Nous connaissons bien l’expansion géographique de cette figure à travers divers
contextes européens, rarement anthropomorphiques, dont l’ubiquité invite à une multiplicité de connexions. Disons que ledit art protohistorique, d’une grande fertilité, nous
ouvre des espaces et des paradigmes explicatifs abondants et féconds.
Associations et contextualisation permettent ainsi de construire des séquences et des systèmes, et de formuler des hypothèses. Avec une contamination
textuelle bien moindre que dans l’étude de l’art à des époques historiquement datées, le document matériel acquiert une plus forte autonomie et exige un autre type
de précisions. Le dialogue avec l’art classique nous indique, dans le cas précis de
cette déesse voyageant sur son véhicule ailé, que nous nous trouvons devant l’appendice d’un phénomène historique très antérieur et diversifié. Tout en enrichissant les deux champs, il situe dans son historicité la plus concrète le phénomène
classique ponctuel. Il confère des sens lointains et originels à un grand nombre de
mythes et de représentations du monde gréco-romain.
8. Tatouages des Scythes de l’Altaï,
photographies et dessin [Barkova,
Pankova, 2005, cité n. 32].
Henri-Paul Francfort. Rien ne s’oppose à l’application à l’art protohistorique des outils et des méthodes élaborés pour les arts des périodes plus récentes. Évidemment,
l’Ut pictura poesis n’est pas possible sans textes (ni même sans « littérature » orale),
sauf transfert, comme lorsque des textes d’Hérodote éclairent des images narratives
de l’art gréco-scythe des steppes de la mer Noire (et ici le « gréco- » est important).
Par ailleurs, l’ekphrasis contemporaine de la production des œuvres fait défaut. Dès
lors, il devient intéressant, sinon facile, de rechercher dans l’immense corpus de la littérature historique et anthropologique des exemples – mais aussi des contre-exemples –
permettant d’interpréter par analogie en s’affranchissant des contraintes de l’unité de
temps et de lieu. La compréhension du traitement artistique des crânes néolithiques
au Proche-Orient, par exemple, ne peut se passer de l’étude de ceux de la Nouvelle
Guinée et du Vanuatu 31, tandis que les tatouages des momies scythes de l’Altaï 32, pour
avoir une chance d’être compris et interprétés, sont à rapprocher de ce que nous savons de ceux des peuples de la Sibérie, de la Béringie, de l’Amérique et de l’Océanie
(fig. 8). De même, l’art contemporain aide à comprendre de curieuses manifestations
protohistoriques : dans l’art des Scythes de l’Altaï à Pazyryk, par exemple, des animaux sont représentés simultanément de face et de profil, mode assez rare, distinct de
la célèbre et plus commune « représentation dédoublée ». Or il est aisé de remarquer
que Picasso, qui l’utilise fréquemment, a (re)trouvé par lui-même ce mode de représentation particulier, qui n’est pas issu de l’inspiration qu’il a tirée des arts africains.
La clé est peut-être à chercher, comme le proposait jadis Gombrich 33, dans la psychologie de la vision donc, aujourd’hui, dans les processus cognitifs.
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DÉBAT
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ANTIQUITÉ
Stéphane Verger. Qu’est-ce que les études sur l’art nous apprennent sur les sociétés
protohistoriques ?
Ricardo Olmos. Elles nous apportent principalement des formes très complexes
de représentation symbolique et les fondements de grands modèles mythiques,
comme ceux qui font référence à l’origine du monde, à la nature et à la représentation du cosmos, mais aussi à celle de la société elle-même et aux hiérarchies qui
justifient les générations successives de dieux et de princes.
L’art est toujours un indice fondamental pour la connaissance de la société qui
le produit, mais il faut situer cette affirmation, comme pour n’importe quelle autre
période de l’histoire humaine, au sein d’un segment social défini, parfois très limité,
celui qui établit un lien de dépendance précis entre le producteur et l’utilisateur, c’està-dire entre celui qui produit matériellement l’œuvre artistique et celui ou ceux qui
sont ses destinataires. Lorsque nous parlons de cultures de l’âge de bronze ou du
premier âge de fer, nous nous référons généralement à un monde de princes et de
grands aristocrates qui, d’une manière ou d’une autre, sont en relation avec des lignages divins : il n’est donc pas complètement insensé d’affirmer qu’il existe un art
pour l’usage et le plaisir des dieux eux-mêmes. Pour une grande partie de la société
– anonyme, inconnue, sans visage –, l’art n’existe pas, car il ne lui est pas adressé.
Cette limitation sociale, qui dépend de chaque espace-temps, conditionne une perception différente de l’art. Dans le domaine qui nous occupe, il peut y avoir un destinataire
du témoignage artistique en dehors des frontières limitées de la vie, par exemple dans
le domaine plus privilégié et sacré de la mort, en particulier celle du prince.
Un autre domaine passionnant est celui de la production technique et de la
transmission de la connaissance spécialisée ou de la sagesse exclusive et propre à
l’artisan. Notons que la différence, encore fluide, entre artisan et artiste à l’époque
protohistorique est sans correspondance précise avec la division taxinomique
propre à l’époque moderne.
9. Ornement de tête de cheval
scythe de l’Altaï en forme de griffon
de type achéménide persépolitain,
Kourgane de Berel’ (Kazakhstan).
204
DÉBAT
Henri-Paul Francfort. Les études nous apprennent d’abord que les sociétés préhistoriques ne peuvent se passer d’art et qu’elles y investissent beaucoup de temps et
d’énergie, mais aussi d’ingéniosité. La maîtrise des techniques et l’obtention des matières premières nécessaires sont au cœur de processus qui ne sont pas seulement
de nature économique. Certes, partout, ce sont les élites politiques, économiques et
religieuses qui patronnent et commanditent, indiquant dans leur intérêt quels objets
seront les supports de quelle fabrication artistique. Mais les choix de l’artiste en tant
qu’individu restent importants au regard des contraintes
sociales et religieuses, du joug des traditions (on ne
fait de l’art qu’avec l’art) et du cercle des civilisations
avoisinantes, souvent inspiratrices. Ainsi, les choix que
les nomades de l’Altaï ont opérés dans les riches répertoires artistiques des empires achéménide, chinois et
grec témoignent d’un processus net de déconstruction,
de sélection et de recomposition selon des conventions
stylistiques propres, avec des transferts entre les arts
monumentaux et les arts mobiliers (fig. 9) 34. Les somptueux harnachements des chevaux des chefs, découverts dans les kourganes gelés, reflètent l’originalité de
leur conception des relations avec l’autre monde, avec
une surnature, qui pose la question du chamanisme.
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
L’art protohistorique
Dans la Bactriane et la Margiane de l’âge du bronze, si des vases orfévrés
dépeignent le mode de vie des dynastes locaux, la glyptique de son côté
porte et décline sous des formes variées un bestiaire et un monde mythologique de héros, de divinités et de dragons, purement centrasiatique, dans
un « langage » artistique inspiré de celui du Moyen-Orient. La hiérarchie
des êtres mythiques y reproduit celle des humains, avec une classification
des matières et des formes selon leur préciosité qui constitue une véritable
esthétique ; mais l’on y découvre aussi les peurs et les espoirs inspirés par
leurs conceptions des mondes terrestre, chtonien et céleste 35.
Miklós Szabó. Je voudrais souligner l’importance des études consacrées aux
arts destinés aux élites dans les sociétés protohistoriques 36. L’archéologie
examine traditionnellement des sépultures de mobilier très riche (tombes
« princières » ou Prunkgräber, selon l’expression de Georg Kossack) afin
de déterminer les structures sociales. L’analyse du style et de la technique
d’exécution permet de démontrer la fabrication locale des créations exceptionnelles,
dont les prototypes sont à chercher parmi les objets d’origine méditerranéenne. Citons le
cas du fameux torque en or « de la dame de Vix », daté probablement de 500 avant J.-C.,
qui est, conformément à la nouvelle étude, une œuvre celtique 37. L’examen de la
totalité du mobilier de la tombe d’où il provient reflète le goût éclectique de la couche
dominante de la civilisation celtique hallstattienne. Actuellement, les recherches qui
visent la couche sociale dirigeante ne s’appuient plus exclusivement sur un petit
groupe de tombes dites princières, mais analysent toutes les sépultures contenant un
mobilier particulier ou plus riche que la moyenne. On peut effectivement mentionner
la culture des guerriers celtes appartenant à une des strates sociales les plus élevées
du IIIe siècle avant J.-C., magnifiquement illustrée par les garnitures de char en bronze,
les témoignages extraordinaires du « Style des épées », ou par les appliques ajourées
qui décorent une cruche à vin en bois découverte à Brno-Maloměřice (Moravie),
exécutées en tôle de bronze repoussé (fig. 10) 38. Par rapport à l’art méditerranéen,
l’art laténien du IIIe siècle reflète une réelle indépendance et originalité. En même
temps, les aspects régionaux se présentent d’une manière particulièrement claire sur
les décors des armes. Ce phénomène s’explique sans doute par la structure de la
société celtique, où les « chevaliers » (equites selon l’expression de César) formaient
la classe la plus dynamique.
10. Garniture en bronze ajourée
d’une cruche en bois découverte
à Brno-Maloměřice (Tchéquie),
bronze, IIIe siècle avant J.-C., Brno,
Moravské Muzeum [The Celts,
Sabatino Moscati et al. éd., (cat.
expo., Venise, Palazzo Grassi,
1991), New York, 1991, p. 376377].
Christoph Huth. Les techniques cognitives employées par une société dépendent des
conditions de vie et sont, par là même, caractéristiques de l’époque et de la culture
concernées. Dans la mesure où les membres d’une communauté se servent majoritairement des mêmes opérations mentales, toutes les créations plastiques sont conçues
de manière similaire. Les images permettent donc des déductions quant à la logique
dominante de la pensée dans une même entité culturelle.
La pensée protohistorique se distingue par sa suggestivité, sa subjectivité, son caractère imagé et son réalisme conceptuel. Cette pensée s’oriente en fonction des phénomènes
observés dans la réalité. Les mouvements sont perçus comme des actions déclenchées par
des agents extérieurs. Selon cette « logique d’action subjectiviste », les agents sont immanents aux choses et créatures vivantes en tant que forces latentes ou autonomes 39. Ils peuvent être stimulés par une interaction ou agir de leur propre chef. Aux choses et aux êtres
vivants sont donc généralement reconnues à la fois volonté et conscience. Georg Kossack a
parlé avec pertinence à ce propos de « force vitale cachée des choses » 40.
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
DÉBAT
205
ANTIQUITÉ
Selon la logique de cette pensée, l’image et le sujet représenté ne font qu’un.
Ils disposent de la même dynamique. En d’autres termes : la représentation d’un personnage
est le personnage représenté. La force agissante des images et l’identité entre apparence et
substance, image et réalité, expliquent bien des singularités de l’art protohistorique, telles
que la rareté des représentations figurées et la pauvreté frappante du répertoire iconographique. Les images sont des évocations chargées d’une puissance extrême. Il s’ensuit que
scènes de genre, représentations de la vie quotidienne ou autres images analogues ne peuvent absolument pas exister dans ce type de société. Ce n’est pas un hasard si l’on cherche
en vain des évocations de paysages dans l’art protohistorique. Les images sont toujours les
manifestations de croyances religieuses ou cosmologiques, de visions de la constitution et
de l’ordonnancement du monde. L’importance des images explique aussi pourquoi toutes
ces œuvres sont exécutées avec un soin et une précision extraordinaires 41.
11. Représentations « aspectives » :
a. égyptienne [dans BrunnerTraut, 1996, cité n. 45, p. 20] ;
b. d’un enfant de 8 ans [idem,
p. 45] ; c. syrienne, miniature d’un
codex du XIIe siècle [Robert Solso,
Cognition and the Visual Arts,
Cambridge (MA), 1996, p. 214].
206
DÉBAT
Stéphane Verger. Quelles avancées majeures caractérisent les études sur l’art
« protohistorique » dans les 25 dernières années, notamment pour votre domaine de
spécialité ?
Christoph Huth. Dans l’archéologie protohistorique, comme dans les autres
disciplines vouées aux cultures et aux civilisations, on a redécouvert au cours des
dernières années le rôle des images en tant que sources documentaires. Le nombre
d’approches très différentes quant à l’appréciation des œuvres révèle toutefois qu’on
est loin d’être sûr de la manière adéquate de les appréhender 42. D’autres disciplines,
notamment les sciences cognitives, la psychologie du développement, mais aussi la
psychobiologie humaine (ou « humanéthologie ») ont fourni à cet égard un apport
essentiel 43. Les études ethnologiques et socioculturelles permettent d’attribuer à l’art
protohistorique une place au sein de l’histoire des cultures 44.
Emma Brunner-Traut emploie le terme « aspective » (par opposition à « perspective ») pour qualifier les caractéristiques de la création plastique de l’Égypte ancienne, également présentes dans l’art protohistorique. Selon les règles de l’aspective, le tout est perçu
à travers ses éléments constitutifs (ou « aspects »). Dans la représentation, ces aspects sont
assemblés de façon additive comme autant de données autonomes et particulières (voir
les représentations de chars ; fig. 3-5). Les proportions restent constantes, même lorsque le
point de vue du spectateur change, alors que la taille des personnages est principalement
une fonction de leur importance. La foule est traduite par itération, la gestuelle remplace
les jeux de physionomie. Tous les aspects nécessaires à la compréhension de l’œuvre
sont montrés et même, le cas échéant, ceux qui sont invisibles dans la réalité ; l’inutile est
supprimé. L’art « aspectif » n’est pas l’apanage de l’ancienne Égypte : on le rencontre dans
toutes les cultures, et naturellement aussi chez les enfants (fig. 11). Pendant la protohistoire, il constitue d’ailleurs l’unique forme de langage plastique 45.
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
L’art protohistorique
On peut ne pas être d’accord avec tout ce qui
est écrit dans les ouvrages cités. L’affirmation souvent
exprimée selon laquelle les communautés protohistoriques auraient dessiné comme des enfants, et par
conséquent pensé de même, est certainement fausse.
Davantage d’ouverture face aux recherches des autres
disciplines n’en reste pas moins souhaitable.
Miklós Szabó. Dans mon domaine de spécialité, l’art
celtique, les avancées majeures sont spectaculaires.
À partir des dernières décennies du XXe siècle, les
études consacrées aux aspects régionaux ont largement
contribué à nuancer la connaissance de l’art celtique
continental. Les travaux récents sont étroitement liés à
des découvertes exceptionnelles. La fouille du site de
Glauberg (Hesse, Allemagne), qui a permis de mettre
au jour sa statuaire en pierre, a relancé l’étude de la
formation de l’art celtique. Les guerriers du Glauberg
(fig. 12) et le nombre considérable de représentations
anthropomorphes proposent une nouvelle approche
pour interpréter le contenu idéologique de l’art celtique dans le cadre du pluralisme régional 46. Un autre
acquis important est l’approche historique de l’art des
Celtes, face à une classification traditionnelle fondée
sur la succession des styles. La terminologie proposée
en 1944 par Jacobsthal pour l’art continental du Ve au
IIe siècle avant J.-C. (Premier style, Style de Waldalgesheim, Style plastique, Style des
épées hongroises), encore utilisée malgré son caractère hétéroclite, se fonde en effet
sur des différences stylistiques. En revanche, la subdivision actuelle de l’art celtique
distingue quatre périodes principales : la période de formation (du milieu du Ve au
début du IVe siècle avant J.-C.), la période d’épanouissement (du début du IVe au milieu de IIe siècle avant J.-C.), l’art des oppida (du milieu du IIe à la seconde moitié du
Ier siècle avant J.-C.) et les survivances insulaires (de la seconde moitié du Ier siècle
avant J.-C. au début du Ve siècle après J.-C.) 47.
12. Statue de guerrier du Glauberg
(Hesse, Allemagne) en grès rose,
seconde moitié du Ve siècle avant
J.-C., Wiesbaden, Landesamt für
Denkmalpflege Hessen [Das Rätsel
der Kelten vom Glauberg, (cat.
expo., Francfort, Schirn Kunsthalle,
2002), Stuttgart, 2002, p. 106].
Henri-Paul Francfort. Dans le domaine centrasiatique et dans le monde des steppes,
les avancées majeures concernent la façon de regarder l’art, de l’appréhender, et
elles sont dues à l’archéologie et à l’anthropologie.
La découverte du kourgane d’Arjan-1 (environ 600 avant J.-C.) en Touva
(Russie) a mis au jour une profusion d’objets d’art dont la connaissance est
fondamentale pour l’histoire de l’art des steppes 48. Les fouilles des kourganes
gelés de l’Altaï (Kazakhstan, Mongolie, Russie) 49 et des tombes desséchées du
Taklamakan (Xinjiang, RPC) 50 ont porté à notre connaissance des organisations
funéraires qui sont de véritables « installations » au sens de l’art contemporain.
La conservation des matériaux organiques montre une réelle intrication entre
l’organique et le minéral, l’humain et le non-humain, le naturel et le culturel.
Des corps composites sont recomposés et disposés pour éviter la décomposition :
embaumements et momifications par utilisation de substances minérales, animales
et végétales, élaborations de « mannequins » par adjonction de prothèses post-
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
DÉBAT
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ANTIQUITÉ
13. Mannequin inhumé dans le
cimetière de Xiaohe dans le désert
du Taklamakan (Xinjiang, RPC),
début du IIe millénaire avant J.-C.) :
seules la tête et les mains sont
humains, et la ceinture marque le
genre masculin.
14. Groupe sculpté à sujet
héroïque provenant du Cerrillo
Blanco de Porcuna (Jaén), seconde
moitié du Ve siècle avant J.-C., Jaén,
Museo de Jaén.
208
DÉBAT
mortem sur des parties de corps humains (ou l’inverse ! ; fig. 13).
Et finalement l’on procède à une mise en place très complexe et codifiée
sur ou sous la terre, dans des écorces ou des peaux de bœuf, sous
des kourganes, parfois avec des stèles sculptées (pierre) ou des mâts
(bois) ornés de bucranes peints. L’œuvre n’est pas l’artefact seul, mais
l’ensemble formé par le corps tatoué, vêtu, orné, disposé dans un lieu,
avec des animaux, etc. Ces compositions artistiques éclairent d’un jour
nouveau nos connaissances et sont illustrées tant par les effigies de la
Nouvelle-Irlande que par les « installations » de Çatalhöyük 51.
Avec ces œuvres et la critique de l’agentivité de Gell par Brigitte
Derlon et Monique Jeudy-Ballini 52, nous passons au-delà du « regardeur
qui fait l’œuvre d’art » (Duchamp) pour retrouver l’intentionnalité et
réinstaurer la fabrication. Par ailleurs, sans prétendre chercher des ontologies que nous ne pourrions pas distinguer d’un animisme approximatif 53, nous passons visiblement, entre nature et culture, par l’ensauvagement du domestique (chevaux à cornes et bois postiches scythes,
par exemple) ou inversement par la domestication du sauvage (la bête
sauvage à cornes comme monture, scythe encore) 54. Une telle hybridation des êtres, matérialisée dans l’art, ne remonte pas à la préhistoire,
où pratiquement toutes les images d’êtres composites (thérianthropes) peuvent représenter des humains déguisés ; elle est, en Orient, une invention progressive et
diversifiée de la protohistoire.
Ricardo Olmos. Mon domaine de spécialité couvre le monde ibérique dans l’extrémité
occidentale de l’oikoumene méditerranéenne pendant l’Antiquité, durant les siècles
antérieurs à la conquête romaine mais aussi au cours du long processus que nous appelons, génériquement, romanisation de l’Ibérie jusqu’à la première époque romaine.
Un facteur commun de la recherche de ces dernières décennies 55 est la définition du
territoire en relation avec les noyaux de population, en particulier l’oppidum. L’étude
du territoire et celle de la constitution du pouvoir aristocratique sont étroitement associées à celle de ses manifestations artistiques. Celles-ci contribuent à la connaissance
des processus de construction de la société ibérique.
On progresse ainsi dans la connaissance des nécropoles ibériques, des monuments funéraires divers (tours, piliers-stèles, tumulus sur chambres, etc.) et des
rituels de la mort (nécropoles et tombes comme macro et micro-espaces, avec des
images chargées de significations propres). La représentation du prince et des familles aristocratiques est en outre analysée à travers de complexes programmes iconographiques de type héroïque (Cerrillo Blanco de Porcuna,
Jaén ; fig. 14) qui sont indissociables de la construction symbolique du
paysage de l’oppidum et de ses frontières (monument d’El Pajarillo, Jaén).
On examine de manière approfondie les rapports entre les aristocraties
ibériques, le passé orientalisant antérieur et l’héritage phénicien, ainsi
que la relation créative que l’art ibérique entretient avec des modèles
grecs puis italiques et romains. Ce sont des langages prestigieux que la
société ibérique transforme toujours en une dialectique par laquelle elle
construit son propre monde artistique (à l’exemple de l’appropriation
formelle et iconographique de la céramique attique). La connaissance et
la transmission de la connaissance artisanale (sculpture ou techniques de
l’orfèvrerie et des métaux) se développent.
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
L’art protohistorique
Au cours de ces années, les codes de représentation iconographique
des sociétés ibériques dans leurs zones territoriales respectives ont été établis.
Les images nous ont permis d’accéder à des mythes fondateurs, recréateurs d’un
temps originel (céramique peinte, monuments sculptés, etc.) et d’établir une mémoire
mythique qui s’exprime dans des rituels héroïques de princes et de guerriers.
Les études d’âge et de genre occupent une place croissante dans les travaux sur l’art
ibérique et proposent de nouvelles nuances interprétatives à d’anciens monuments.
La nature (monde animal et végétal en éclosion continue, siège des transformations
et des métamorphoses) est la voie métaphorique de la vie humaine et de l’histoire
elle-même, fondatrice de temps anciens, et fait partie de la symbologie de la mort.
Le domaine des langages métaphoriques est en passe de se définir sous une nouvelle
lumière ces dernières années. Et l’on souligne aussi l’influence de l’art ibérique sur
des artistes contemporains qui cherchent en lui une source de vigueur originelle, tel
que Picasso. Un sujet qui reste à développer.
Si en 1997 une exposition internationale (Paris, Barcelone, Bonn) 56 proposait
une vue d’ensemble sur l’état de la recherche, donnant à connaître en Europe la
vitalité de l’art ibérique, l’organisation d’une nouvelle exposition pourrait offrir une
vision beaucoup plus riche et rénovée de nos connaissances. Le progrès notable
des recherches récentes suit le même parcours que son ample diffusion, avec des
publications qui conçoivent la science en tant que transmission et jouissance de la
connaissance par la société.
Stéphane Verger. D’un point de vue esthétique, quels aspects des arts du néolithique
ou des âges des métaux vous intéressent particulièrement ? Si vous aviez à choisir
l’œuvre « protohistorique » qui représente le mieux vos recherches, quelle serait-elle ?
Pourquoi ?
Ricardo Olmos. Je suis principalement attiré par le champ des représentations symboliques, ainsi que par la réélaboration continue de quelques sujets essentiels et inépuisables, sur lesquels on revient à maintes reprises dans l’histoire de
la culture occidentale. Je pense notamment à différentes œuvres
qui, à tel ou tel moment précis, m’ont attiré comme une voix de
sirène envoûtante car elles agissent comme un appeau intellectuel
dont il paraît impossible de s’éloigner. Ce sont des œuvres qui,
de temps en temps, étonnamment, stimulent la pensée et jettent
une lumière subite sur tel ou tel problème ou perspective préalable, modifiant votre perception antérieure et laissant entrevoir de
nouveaux paradigmes. Il peut s’agir d’une sculpture, d’un gobelet
en céramique décoré, même d’un simple fragment. D’ailleurs, le
fragment introduit souvent un stimulus créateur singulier, puisqu’il
renferme une multiplicité de possibilités et de conjectures, dans
cette perspective holistique à laquelle aspire en vain la recherche.
Je choisirais une œuvre de l’art ibérique qui nous permet
de relier étroitement son monde local, occidental, à l’art classique ou, mieux encore, au vaste monde méditerranéen auquel
l’art ibérique appartient toujours. Citons un exemple qui parlera
sans doute à beaucoup : la Dame de Baza (fig. 15), représentant
une dame assise, polychrome, qui sert à contenir les cendres
d’un défunt – en l’occurrence d’une femme –, statue qui était
déposée dans un puits semblable à une pièce ou à une maison ;
15. Dame de Baza (Grenade),
IVe siècle avant J.-C., Madrid,
Museo Arqueológico Nacional.
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
DÉBAT
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ANTIQUITÉ
elle présidait cet espace lui appartenant comme si elle attendait la visite de quelqu’un.
On trouve en elle à la fois un sens de vérité directe (l’expression immédiate et sévère
du visage) et une certaine ambiguïté quant à son message iconographique. Je n’ai
pas encore réussi à savoir si c’est la représentation d’une mortelle ou d’une déesse,
ce qui nous renvoie à l’incertitude que l’on ressent toujours devant l’apparition d’un
personnage noble, à la parure riche et orné de multiples bijoux : sommes-nous face à
un mortel ou un de ces dieux immortels qui surgissent subitement ?
La Dame de Baza séduit aussi car elle n’aspire pas à un idéal de beauté
hellénique, extérieur, mais à la sienne, intérieure, en tant que femme réelle.
Son apparence, au-delà des traits physiques – elle est presque de taille naturelle
–, suggère une grande force morale (l’austérité d’une matrone). Cela pourrait être
l’expression de cet eikón ou similitudo (« une ressemblance avec… ») caractéristique
de l’art antique de l’époque tardo-classique, mais exprimé de manière vigoureusement
locale. Elle m’attire et m’inquiète aussi puisque c’est une œuvre réalisée pour être
soustraite au regard des mortels (elle a été immédiatement enterrée dans sa maison
funéraire, dans la demeure de l’aristocrate qu’elle représentait). Pourtant, cette
statue, qui ne se contemple pas, qui n’est pas faite pour que nous la voyions, garde
une présence réelle dans l’espace symbolique de la nécropole – qui s’ordonne
sûrement comme une image fondatrice – et du chemin qui passe près de ce lieu.
La Dame de Baza nous pose la grande question de l’anthropomorphisme, cette
forme de langage artistique inépuisable qui se développe dans diverses cultures
de l’espace méditerranéen pendant la protohistoire et tout au long de l’Antiquité.
Elle invite à être comparée et mise en regard avec les femmes assises sur des trônes
ailés qui peuplent la Méditerranée.
16. Char avec représentation
du soleil de Trundholm (Danemark) [dessin dans Aner, Kersten,
1976, cité n. 57, pl. 139].
Christoph Huth. Incontestablement, il existe aussi dans l’art protohistorique des
conventions esthétiques propres à l’époque et à la culture concernées. Il n’est que
de penser à l’art celte. Or la dimension expressive des œuvres ne réside pas en
priorité dans leur esthétique, mais dans leur mode de conception, comme l’illustre
bien le chariot solaire de Trundholm, au Danemark (fig. 16) 57. À l’instar de toutes
les œuvres, le char est exécuté avec un soin particulier. Il montre le soleil parcourant le ciel tiré par un cheval. Sur un côté, le disque solaire est doré (course diurne),
sur l’autre non (course nocturne). Le cheval, qui devait sûrement avoir un nom,
est fortement stylisé. Tout l’attelage est monté sur un char à six roues. Pourtant, ce
n’est pas le char qui tire le soleil, mais le cheval (comme le montrent les œillets).
Selon la logique protohistorique et son approche subjectiviste de l’action, le soleil
ne peut se déplacer de lui-même. Il doit être mu par un agent, en l’occurrence le
cheval. Des réminiscences de ce motif se retrouvent
dans la mythologie antique sous les traits d’Hélios.
L’attelage a été placé sur un char afin que l’on puisse
reproduire l’action (le mouvement), certainement lors
de cérémonies religieuses. C’est une preuve, là aussi,
de la suggestivité de la pensée protohistorique, visible
dans l’art plus que dans tout autre domaine.
Miklós Szabó. La façon de voir des Celtes paraît,
pour le spectateur moderne, fort abstraite et irrationnelle. L’idée de l’apparition d’un langage artistique abstrait sur la parure et l’armement des Celtes
210
DÉBAT
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
L’art protohistorique
anciens est cependant purement moderniste au sens
péjoratif du terme. L’enrichissement extraordinaire du
nombre de témoignages de l’art celtique a créé une
situation favorable à la recherche dans ses tentatives
de définir, d’interpréter et de déchiffrer les représentations ambiguës des œuvres des artisans celtes.
Un exemple typique est le fourreau de Bölcske-Madocsahegy en Transdanubie hongroise (fig. 17). Deux protomés d’oiseaux, composantes de base de son décor
supérieur, ont été identifiés depuis un certain temps.
On retrouve entre la paire d’oiseaux renversés une tête
couronnée de la double feuille de gui, avec une palmette sous le menton, la caractéristique de ce type de décor étant la végétalisation du visage humain. Si l’on
répertorie ses composants, il faut noter, à côté de l’élément anthropomorphe (le
masque probablement divin), les motifs d’origine végétale (attributs de la divinité)
et animalière (monstres associés à la représentation divine). À l’analyse des séries
consécutives de décors, il semble clair que la signification dépasse largement le
domaine des symboles apotropaïques, elle est fondée sur un système religieux qui
exprime la présence divine 58.
Henri-Paul Francfort. D’un point de vue esthétique, il est intéressant de souligner
ce qui concerne la démarche de schématisation et le nécessaire langage visuel et
mental, lié à un véritable calcul opératoire, qui permettent de passer de la perception du monde et de sa complexité apparente et phénoménale à la fabrication
(la construction) d’œuvres artistiques qui en expriment l’essence. Dans cette perspective, les tendances mimétiques naturalistes ou illusionnistes de l’art ne sont
plus nécessairement prédominantes par rapport aux intentions ornementales ou à
la stylisation. Et cela concerne aussi bien la composition de l’objet que celle du
locus, qui, à son tour, forme un environnement visuel plus ou moins monumental
déterminant pour la pensée visuelle et la fabrication, pour la construction, de nouvelles œuvres 59. Il m’apparaît que la conception de l’esthétique analytique d’Eddy
Zemach qui prend l’art comme satisfaction d’un désir cognitif 60, est la plus apte à
rendre compte de ces aspects de l’art protohistorique
qui, toujours plongé dans son contexte chrono-culturel
et socio-politico-religieux, mais hors du mimétisme et
de l’académisme, dépassent la figuration en rejoignant
les conceptions très actuelles de la théorie et de la pratique de l’art : abstraction, installation, performance.
Deux œuvres « protohistoriques » me paraissent
bien illustrer ce propos. La première est une figurine féminine composite bactrienne du IIIe millénaire, simplement faite d’une fine tête en albâtre avec une coiffure
en stéatite posée sur un mince plateau en pierre noire
parcouru d’ondulations incisées (fig. 18). Très pure, cette
image de divinité des eaux (une synecdoque, diraient
les tenants de la métaphore rhétorique) rappelle évidemment une célébrissime tête de Brancusi qui a déjà souvent été mise en parallèle avec des photographies, des
sculptures africaines et des œuvres de Matisse.
17. Fragments d’un fourreau en
fer décoré de Bölcske-Madocsahegy (Hongrie), avec l’analyse
des décors, vers 200 avant J.-C.,
Budapest, Magyar Nemzeti Galéria
[Miklós Szabó, Les Celtes de l’Est,
Paris, 1992, p. 138 et 142].
18. Statuette composite (stéatite
et albâtre) provenant d’une tombe
de la Bactriane protohistorique
(Afghanistan), [Marie-Hélène
Pottier, Matériel funéraire de la
Bactriane méridionale de l’âge
du bronze, Paris, 1984, n° 303].
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ANTIQUITÉ
19a. Dessin restituant une cavalière
et un cavalier provenant de tombes
gelées de l’Altaï (plateau de
Ukok, Russie), début du IIIe siècle
avant J.-C. ; b. détail d’une haute
coiffe à armature de tige métallique. On note le décor très codifié
des harnais ainsi que des coiffes
étagées ornées d’herbivores et d’oiseaux [Polos’mak, 2001, cité n. 32,
fig. 165, et Polos’mak, Barkova,
2005, n. 49, fig. 2.43].
La seconde œuvre est la sépulture de la « princesse » d’Ak-Alakha dans l’Altaï russe (fig. 19), un ensemble extrêmement complexe si l’on intègre dans la
composition les chevaux immolés et leurs harnais ornés,
d’inspiration parfois perse ; l’architecture en rondins de
la chambre funéraire et les offrandes qui y étaient déposées ; la jeune femme soigneusement embaumée dans
son sarcophage monoxyle, somptueusement vêtue (soie),
portant une très haute coiffe ornementale scythe et dont
le corps était frappé d’étonnants tatouages animaliers et
imaginaires steppiques que l’on avait longtemps crus réservés aux « hommes dominants ». Elle représente une
vision (pour nous) ou une mémorisation (pour ceux qui
l’ont inhumée) d’une esthétique vaste et complète, composition et performance, relation au monde (Umwelt).
Nous sommes très loin de la poubelle renversée et,
comme l’écrit Douglas Hofstadter : « Les cerveaux humains sont en permanence en train de réduire la complexité de ce qu’ils perçoivent, ce qui signifie qu’ils cherchent constamment à s’emparer des structures inhabituelles, complexes, faites d’un grand nombre de symboles qui
viennent d’être activés ensemble, pour en éveiller un seul familier et préexistant (en tout
cas un petit nombre d’entre eux). En fait, c’est l’activité principale du cerveau humain
– prendre une situation complexe et en dégager les grandes lignes, filtrer la profusion
de sensations et d’idées pour dégager ce qui compte vraiment. Pointer l’essentiel » 61.
L’art, indispensable, est un composant de la fonction symbolique qui seule permet de comprendre le monde. L’art protohistorique, à partir du néolithique mais sur des
bases reconnaissables venues de la préhistoire, a recomposé l’environnement visuel pour
le rendre compréhensible, ou simplement dicible, dans un monde changé, rendu plus
complexe par l’ajout, à l’ancestrale Nature des chasseurs cueilleurs, de nouvelles espèces
animales et végétales, de nouvelles architectures et d’objets plus élaborés en des matériaux plus diversifiés dans des groupes humains plus nombreux, plus organisés et plus
différenciés. S’extérioriser, par l’art et par la construction de schématisations plastiques,
d’un monde plus complexe, domestiqué et artificialisé, a pu être le moyen d’en contrôler
la compréhension et d’en assurer la maîtrise conceptuelle. Élaborer (qui plus est, de l’intérieur) un système conceptuel plus puissant que la nature et la culture vues ensemble, et
par conséquent comprenant la surnature, immanente ou transcendante, ne s’est pas fait
rapidement, ni partout de la même manière, ni au même moment, mais c’est là peut-être
ce qui pourrait caractériser le mieux, au fond, l’art protohistorique en Asie centrale.
Nota bene : ce texte résulte de l’envoi de questions aux participants et d’échanges de courriels.
1. André Breton, « Présent des Gaules », dans Pérennité de l’art gaulois, (cat. expo., Paris, Musée Pédagogique, 1955), Paris, 1955, p. 70. Je tiens à remercier
Patrice Fava, qui a attiré mon attention sur les contributions d’André Breton sur l’art celtique.
2. Georges Bataille, « Le cheval académique », dans
Documents, 1, avril 1929, p. 27-31.
3. Paul-Marie Duval, « Choix de sculptures gauloises
et gallo-romaines », dans Pérennité …, cité n. 1,
212
DÉBAT
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p. 47-48. Voir aussi Le cheval et la danseuse : à la
redécouverte du trésor de Neuvy-en-Sullias, Catherine Gorget, Jean-Paul Guillaumet éd., (cat. expo.,
Orléans, Musée des beaux-arts/Bavay, Musée site
archéologique départemental, 2007-2008), Paris/
Orléans, 2007.
4. Ludwig Pauli, « Vergessene Anfänge der Forschungen zur keltischen Zirkelornamentik », dans Germania, 64, 1986, p. 145-157.
L’art protohistorique
5. Christopher Tilley, The Materiality of Stone,
(Explorations in Landscape Phenomenology, 1),
Oxford/New York, 2004 ; Body and Image, (Explorations..., 2), Walnut Creek (CA), 2008 ; Interpreting
Landscapes: Geologies, Topographies, Identities, (Explorations..., 3), Walnut Creek (CA), 2010.
6. Sites et traces 3. Art contemporain et archéologie,
(cat. expo., Angoulême, Musée d’Angoulême, 1994),
Angoulême, 1995, p. 34-52.
7. Martin Bernal, Black Athena: the Afroasiatic Roots
of Classical Civilization, I, The Fabrication of Ancient
Greece, Londres, 1987.
8. Georges Perrot, Charles Chipiez, Histoire de l’art
dans l’Antiquité, 10 vol., Paris, 1882-1914.
9. Perrot, Chipiez, Histoire de l’art dans l’Antiquité,
IV, Judée, Sardaigne, Syrie, Cappadoce, 1887, p. 11.
10. Pierre Paris, Essai sur l’Art et l’Industrie de l’Espagne primitive, 2 vol., Paris, 1903-1904.
11. Robin Lane Fox, Travelling Heroes: Greeks and
their Myths in the Epic Age of Homer, Londres, 2008.
12. Vor 12.000 Jahren in Anatolien: die ältesten Monumente der Menschheit, (cat. expo., Karlsruhe, Badisches Landesmuseum, 2007), Stuttgart, 2007.
13. Véronique Schiltz, Les Scythes et les nomades
des steppes : 8e siècle avant J.-C. 1er siècle après
J.-C., (L’Univers des formes, 39), Paris, 1994.
14. Elisabeth Demarrais, Chris Gosden, Colin Renfrew éd., Rethinking materiality: the engagement of
mind with the material world, (McDonald Institute
Monographs, 1363-1349), Cambridge, 2004.
15. Thierry Dufrêne, Anne-Christine Taylor éd., Cannibalismes disciplinaires : quand l'histoire de l'art et
l'anthropologie se rencontrent, Paris, 2010.
16. Christoph Huth, Menschenbilder und Menschenbild: anthropomorphe Bildwerke der frühen Eisenzeit, Berlin, 2003.
17. Pierre-Paul Bonenfant, Jean-Paul Guillaumet, La
statuaire anthropomorphe du premier âge du Fer,
Besançon, 1998 ; Dei di pietra : la grande statuaria
antropomorfa nell’Europa del III millennio a.C. =
Dieux de pierre : la grande statuaire anthropomorphe
en Europe au IIIe millénaire, (cat. expo., Aoste, Museo
Archeologica Regionale, 1998-1999), Milan, 1998.
18. Svend Hansen, Bilder vom Menschen der Steinzeit: Untersuchungen zur anthropomorphen Plastik
der Jungsteinzeit und Kupferzeit in Südosteuropa,
Mayence, 2007 ; John Coles, Shadows of a Northern
Past: Rock carvings of Bohuslän and Østfold, Oxford,
2005 ; Henri de Lumley éd., Gravures protohistoriques et historiques de la région du mont Bego, Aixen-Provence, 2003 ; Emmanuel Anati, Valcamonica:
una storia per l’Europa – il linguaggio delle pietre,
Capo di Ponte, 1994.
19. Voir Ève Gran Aymerich, Naissance de l’archéologie
moderne 1798-1945, Paris, 1998, p. 218-227.
20. Voir, par exemple, Venceslas Kruta, L’Europe des
origines : la Protohistoire 6000-500 avant J.-C., L’Univers des formes, 38), Paris, 1992, p. 306-310.
21. Voir, Massimo Pallottino, « Per una nuova prospettiva della storia dell’arte antica: il problema dei
rapporti tra le esperienze preclassiche, periferiche e
postclassiche nel mondo circummediterraneo », dans
Saggi di Antichità, III, Immagini inedite e alternative di
arte antica, Rome, 1979, p. 869-882 ; John Boardman,
The Diffusion of Classical Art, Londres, 1994.
22. Christoph Huth, « Früheisenzeitliche Bildwelten –
Eigenschaften und Aussagewert einer archäologischen
Quellengattung », dans Carsten Juwig, Catrin Kost éd.,
Bilder in der Archäologie – eine Archäologie der Bilder ?, Münster, 2010, p. 127-153.
23. John Willats, Art and Representation: New Principles in the Analysis of Pictures, Princeton, 1997.
24. Günter Dux, Die Logik der Weltbilder: Sinnstrukturen im Wandel der Geschichte, Francfort, 1990.
25. J. Gavin Bremner, « Children’s drawings and the
evolution of art », dans Andrew Lock, Charles R. Peters éd., Handbook of Human Symbolic Evolution,
Oxford, 1996, p. 501-519.
26. Venceslas Kruta, « Brennos et l’image des dieux :
la représentation de la figure humaine chez les
Celtes », dans Académie des Inscriptions & BellesLettres, Comptes Rendus, 1992, p. 821-846.
27. Schiltz, 1994, cité n. 13, p. 417-434.
28. Patrick Thollard, « Le regard des ‘civilisés’ », dans
Miklós Szabó éd., Les Civilisés et les Barbares du
Ve au IIe siècle avant J.-C., (colloque, Budapest, 2005),
(Bibracte, 3, Celtes et Gaulois, l’Archéologie face à
l’Histoire, 12), Glux-en-Glenne, 2006, p. 15-27.
29. Adolf Furtwängler, « À propos de la trouvaille de
Schwarzenbach », dans Jahrbuch des kaiserlichen deutschen archaeologischen Instituts, Archaeologischer Anzeiger, 2, 1889, p. 43 ; Adolf Furtwängler, Der Goldfund
von Vettersfelde, Berlin, 1883.
30. Paul Jacobsthal, Early Celtic Art, Oxford, 1944.
Pour les approches différentes, voir Ruth et Vincent
Megaw, « Through a window on the European Iron
Age darkly: fifty years of reading early Celtic art », dans
World Archaeology, 25, 1994, p. 287-303, et OttoHerman Frey, « A new approach to Early Celtic Art »,
dans Proceedings of the Royal Irish Academy, 104C/5,
2004, p. 107-129. Sur l’art scythe, voir Schiltz, 1994,
cité n. 13 ; sur l’art thrace, Ivan Marazov, The Rogozen
Treasure, Sofia, 1996, et Thracian Warrior, Sofia, 2005.
31. Alain Testart, « Des crânes et des vautours ou la
guerre oubliée », dans Paléorient, 34/1, 2008, p. 33-58,
et la discussion dans le numéro 35/1, 2009, p. 105-136.
32. Natalia V. Polos’mak, Vsadniki Ukoka, Novossibirsk, 2001 ; Ludmilla L. Barkova, S. V. Pankova, « Tattooed Mummies from the Large Pazyryk
Mounds: New Findings », dans Archaeology, Ethnology & Anthropology of Eurasia, 22, 2005, p. 48-59.
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
DÉBAT
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ANTIQUITÉ
33. Ernst Gombrich, The Sense of Order: a Study in the
Psychology of Decorative Art, Londres, [1979] 1984.
34. Henri-Paul Francfort, « Choix des nomades et choix
des sédentaires en Asie Centrale dans l’adaptation de
thèmes et de motifs des arts de la Perse achéménide »,
dans Pierre Rouillard, Catherine Perlès, Emmanuel Grimaud éd., Mobilités, immobilismes : l’emprunt et son
refus, Paris, 2007, p. 267-282.
35. Henri-Paul Francfort, « Observations sur la toreutique de la civilisation de l’Oxus », dans Osmund
Bopearachchi, Marie-Françoise Boussac éd., Afghanistan, ancien carrefour entre l’Est et l’Ouest, (Indicopleustoi, 3), Turnhout, 2005, p. 21-64.
36. Markus Egg, Dieter Quast éd., Aufstieg und
Untergang: Zwischenbilanz des Forschungschwerpunktes « Eliten », (Monographien des Römischgermanischen Zentralmuseums, 82), Mayence, 2009.
37. Claude Rolley éd., La tombe princière de Vix, Paris, 2003, p. 171-216.
38. Voir Martin Schönfelder, « Élite ou aristocrates ?
Les Celtes vus par les sources archéologiques »,
dans Henri-Louis Fernoux, Christian Stein éd., Aristocratie antique. Modèles et exemplarité sociale, Dijon, 2007, p. 11-23.
39. Dux, 1990, cité n. 24.
40. Georg Kossack, Religiöses Denken in dinglicher
und bildlicher Überlieferung Alteuropas aus der
Spätbronze- und frühen Eisenzeit (9.-6. Jahrhundert
v. Chr. Geb.), Munich, 1999.
41. Huth, 2003, cité n. 16 ; Huth, 2010, cité n. 22.
42. Gerhard Milstreu, Henning Prøhl (éd.), Prehistoric Pictures as Archaeological Source, Tanumshede,
2004 ; Colin Renfrew, Iain Morley éd., Image and Imagination: a Global Prehistory of Figurative Representation, Cambridge, 2007 ; Juwig, Kost, 2010, cité n. 22.
43. David Marr, Vision. A computational investigation
into the human representation and processing of visual information, San Francisco, 1982 ; Willats, 1997,
cité n. 23 ; Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Christa Sütterlin,
Weltsprache Kunst. Zur Natur- und Kunstgeschichte
bildlicher Kommunikation, Vienne, 2007.
44. Christopher Hallpike, The foundations of primitive thought, Oxford, 1979 ; Dux, 1990, cité n. 24.
45. Emma Brunner-Traut, Frühformen des Erkennens:
Aspektive im alten Ägypten, Darmstadt, 1996.
46. Voir Martin A. Guggisberg, « L’art celtique. Spécificité et points de convergence », dans Szabó, 2006,
cité n. 19a, p. 229-243.
47. Venceslas Kruta, Les Celtes : histoire et dictionnaire des origines à la romanisation et au christianisme, Paris, 2000, p. 111-118.
48. Konstantin V. Chugunov, Hermann Parzinger,
Anatoli Nagler, Der skythenzeitliche Fürstenkurgan
Aržan II in Tuva, (Archäologie in Eurasien, 26, Steppenvölker Eurasiens, 3), Mayence, 2010.
214
DÉBAT
PERSPECTIVE 2010/2011 - 2
49. Voir Polos’mak, 2001, cité n. 32 ; Natalia
V. Polos’mak, Ludmilla L. Barkova, Kostjum i tekstil‘ pazyrykcev Altaja (IV-III vv. do n. e.), Novossibirsk, 2005.
50. Voir Bernadette Arnaud, « Les momies des sables », dans Sciences et Avenir, mai 2008, p. 10-18 ;
Alfried Wieczorek, Christoph Lind éd., Ursprünge der
Seidenstrasse: sensationelle Neufunde aus Xinjiang,
China, Stuttgart, 2007, p. 106-133.
51. Brigitte Derlon, De mémoire et d’oubli : anthropologie des objets malanggan de Nouvelle-Irlande,
Paris, 1997 ; Ian Hodder, Çatalhöyük The Leopard’s
Tale: revealing the mysteries of Turkey’s ancient
‘town’, Londres, 2006. En général, voir Dufrêne, Taylor, 2010, cité n. 15.
52. Brigitte Derlon, Monique Jeudy-Ballini, « L’art
d’Alfred Gell. De quelques raisons d’un désenchantement », dans L’Homme, 193, 2010, p. 167-184.
53. Philippe Descola éd., La fabrique des images :
visions du monde et formes de la représentation,
Paris, 2010.
54. Roberte N. Hamayon, La chasse à l’âme : esquisse
d’une théorie du chamanisme sibérien, Nanterre, 1990.
55. Pour des travaux importants de ces dernières années, voir : Arturo Ruiz, Manuel Molinos, Los iberos :
análisis arqueológico de un proceso histórico, Barcelone, 1993 ; Carmen Aranegui éd., Estructuras de poder en la sociedad ibérica, (colloque, Barcelone, 1998),
Barcelone 1998 ; Trinidad Tortosa, Juan Antonio Santos
Velasco éd., Arqueología e Iconografía: indagar en las
imágenes, (colloque, Rome, 2001), Rome, 2003 ; Ricardo Olmos, « Imaginarios y prácticas religiosas entre
los iberos. Perspectivas de un proceso histórico », dans
Archiv für Religionsgeschichte, 6, 2004, p. 111-134.
56. Les Ibères = Los Iberos, príncipes de Occidente,
(cat. expo., Paris, Galeries nationales du Grand Palais/Barcelone, Fundació La Caixa/Bonn, Kunst- und
Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland,
1997-1998), Barcelone, 1998.
57. Ekkehard Aner, Karl Kersten éd., Die Funde der älteren Bronzezeit des nordischen Kreises in Dänemark,
Schleswig-Holstein und Niedersachsen, II, Holbæk,
Sorø und Præstø Amter, Copenhague, 1976, p. 63,
n° 867, pl. 138-140.
58. Voir, par exemple, Miklós Szabó, « Éléments
anthropomorphes dans le décor des fourreaux laténiens », dans 115e Congrès National des Sociétés Savantes, Avignon 1990, Paris, 1993, p. 271-286.
59. Voir ci-dessus les n. 5 et n. 6, ainsi que Colin
Renfrew, Figuring It Out. What are we? Where do we
come from? The parallel visions of artists and archaeologists, Londres, 2003.
60. Eddy M. Zemach, La beauté réelle : une défense
du réalisme esthétique, Rennes, 2005.
61. Douglas Hofstadter, Je suis une boucle étrange,
Paris, [2007] 2008, p. 365. Voir aussi Alain Berthoz,
La simplexité, Paris, 2009.