PATINAGE :
 “Ils n’auraient certainement pas gagné s’ils étaient restés à Lyon”

Date de publication : 11/05/2015

Derrière la surprenante victoire du jeune couple Papadakis-Cizeron au championnat du monde de danse sur glace, il y a un entraîneur lyonnais, Romain Haguenauer. L’ancien pensionnaire du Club des Sports de Glace de Lyon a préféré partir au Canada l’année dernière. Il s’explique. Par Maud Guillot

Avez-vous été surpris par la victoire de votre couple lors de ces championnats du monde ?
Romain Haguenauer : Oui. Il y a six mois, je n’aurais jamais imaginé une telle réussite, un championnat d’Europe, puis un championnat du monde. En décembre, Gabriella et Guillaume avaient 20 points de retard sur les meilleurs. Je savais donc qu’ils avaient le potentiel, mais à plus long terme car ils sont très jeunes, 19 et 20 ans.

Depuis quand est ce vous entraînez ce couple ?
J’ai commencé à travailler avec eux quand ils avaient 13-14 ans. Ils vivaient à Clermont et venaient en stage pendant les vacances scolaires. Puis il y a quatre ans, ils sont venus vivre à Lyon, pour s’entraîner ici. Gabriella suivait en parallèle des études de lettres et Guillaume les Beaux Arts. 


Aviez-vous perçu leur potentiel dès le départ ?

Pour être très honnête, la première fois que je les ai entraînés, alors qu’ils étaient déjà champions de France benjamin et minime, j’ai trouvé que Guillaume était timide, dans son monde, voire pas très motivé ! Et puis, des petits doués techniquement, on en voit vraiment passer pas mal. Donc je ne pensais pas qu’ils feraient la différence. C’est quand ils sont venus à plein temps avec moi que j’ai vraiment réalisé leur potentiel.

Qu’est ce qui fait leur force ?

Ce qui fait la différence dans notre sport, c’est le genou. Chez eux, il est très actif, mais surtout à la fois puissant et souple, ce qui est très rare. Le genou fait avancer le patineur sur la glace. Il doit être un amortisseur. Il leur permet d’aller deux fois plus vite que les autres. Et surtout de ne pas montrer l’effort, d’avoir une danse très fluide. 


Mais comment expliquez-vous ce succès en quelques mois ?

Ils ont du talent, c’est évident ! Mais le déclencheur a quand même été notre départ pour Montréal en juin dernier. Personnellement, j’avais décidé de quitter Lyon pour rejoindre ce grand pays du patinage. Je ne les ai pas forcés mais ils m’ont suivi. Ce qui était un pari pour nous.

Pourquoi avez-vous quitté Lyon ?

Le président du club de Lyon et celui de la fédération étaient en désaccord. Pour moi, c’était vraiment une guéguerre de personnes, une lutte de pouvoir, pour obtenir la suprématie sur la glace française. Mais ça a fini par avoir des conséquences sur mon travail qui est quand même de maintenir des sportifs au plus haut niveau. D’autant que j’étais salarié du ministère des Sports, détaché à la Fédération, mais au sein du club de Lyon. J’étais donc entre deux feux. De plus, je n’étais plus vraiment d’accord avec les orientations du club.


Que reprochiez vous à ce club où vous êtes resté près de 18 ans ?


J’étais libre de faire mes choix sur la glace avec mes patineurs. En revanche, je prétendais avoir mon mot à dire, après toutes ces années, sur le reste. Je voulais prendre d’autres responsabilités en matière d’organisation, me projeter vers l’avenir. Mais Muriel Zazoui et son mari, qui ont créé cette structure et qui la dirigent, n’étaient pas d’accord avec cette évolution. Ils ne voulaient pas vraiment passer la main... Même à un fidèle. 


Mais pour un fidèle, vous êtes quand même partis avec les patineurs sous le bras !

C’est sûr qu’ils doivent me considérer un peu comme un traître. Mais je n’ai pas fait de coups dans le dos. J’ai même joué carte sur table. Ils ont fait leur choix. En revanche, je pense qu’ils ont sous estimé mon lien avec les patineurs. Ils avaient perdu le contact avec la réalité du terrain. Cette victoire est donc importante pour moi. J’avais des choses à prouver.

Papadakis-Cizeron ne seraient pas champions du monde aujourd’hui s’ils étaient restés à Lyon ?
Non. Pas dans les conditions actuelles. Mais le club est désormais un peu en reconstruction, notamment avec Olivier Schoenfelder qui prend de l’importance. Et je lui souhaite de réussir. Il faut aussi dire que le Canada propose de bonnes conditions d’entraînement, un climat très positif. J’ai rejoint le centre de Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon. On peut y travailler toute la journée. Et pas seulement de 6h à 9 h du matin, puis entre midi et deux, comme à Lyon.

Il n’y a pas assez de patinoires à Lyon ?
A Lyon comme en France. Sur l’île de Montréal, il y a plus de patinoires que dans toute la France ! Mais ce n’est pas de la faute de la municipalité de Lyon qui s’est toujours montrée très réceptive. Il s’agit d’un équipement public qui était mis à notre disposition, donc qui coûtait de l’argent à la mairie. Il est donc tout à fait logique qu’il soit ouvert au grand public, aux enfants... Mais c’est quand même mieux pour le corps des patineurs d’éviter de se lever tous les jours à 5 h !


Aviez-vous évoqué ce problème avec Thierry Braillard, adjoint aux sports devenu ministre ?
Non. Il était en contact direct avec les Zazoui. Ce qui montre aussi que je n’étais pas très écouté.

Vous pourriez revenir à Lyon ?

Je viens d’arriver au Canada mais je suis très attaché à Lyon que je n’imaginais jamais quitter. Donc je ne ferme aucune solution. Même si je n’aime pas les retours en arrière. On verra dans les prochaines années.

Quel est le programme désormais pour votre couple ?


Ce sont les JO dans trois ans. Mais cet objectif n’est pas nouveau. On avait prévu un plan sur quatre ans au cours duquel nous voulions les faire sortir de l’enfance pour proposer un véritable couple homme-femme. D’où le programme, la révolution artistique, avec ce thème de Mozart, inspiré du ballet le Parc d’Angelin Preljocaj que ma sœur m’avait fait découvrir et qui me trottait dans la tête depuis longtemps... Gabriella et Guillaume ont juste explosé le timing !

Quelle était la place réelle visée pour ces championnats ?
2015, c’était une année post-olympique, avec les meilleurs couples qui avaient décidé d’arrêter. Pour se mettre dans la course pour les prochains JO, il fallait que Gabriella et Guillaume se fassent remarquer. Ils devaient se placer en embuscade derrière les meilleurs, le premier couple américain ou canadien, et devant les non "podiumables”. Ils visaient donc la 5e place au championnat d’Europe et parmi les 10 premiers au championnat du monde.

Cet objectif n’était pas très ambitieux...
Au contraire. Vu leur âge et leur expérience, cela aurait déjà été très beau ! D’ailleurs, ils avaient signé un contrat avec la Fédération. Leurs aides financières étant conditionnées à ces objectifs. Et je pensais que ça allait être dur. Mais maintenant, on vise clairement l’or pour les JO.


La différence c’est qu’ils vont partir favoris, donc avec plus de pression !

Cette réaction est typiquement française : on pleure parce qu’on ne gagne pas, et quand on gagne, on a peur de perdre ! Guillaume et Gabriella ont montré qu’ils supportaient bien la pression depuis leur premier grand prix en Chine. Ensuite, ils ont été attendus à chaque compétition. Pourtant, ils ont patiné de mieux en mieux. Ils ont les qualités pour dominer leur sport dans les prochaines années. Ils apportent un vent de fraîcheur dans cette discipline. Ils ont encore une belle marge de progression car leur programme était loin d’être parfait. 


Vous n’avez pas eu de soucis avec les juges, pour une fois...


C’est une réalité. Notamment quand il y a des Russes dans le coup. Ils tentent d’influencer leurs pays satellites. La corruption est aussi plus facile avec des juges qui viennent de pays moins favorisés. D’autant qu’une médaille olympique peut changer la vie des patineurs. Mais Gabriella et Guillaume étaient cette fois au dessus du lot. Mais il va vraiment falloir qu’ils le restent, et largement, pour qu’il n’y ait pas de contestation possible.

Son parcours


Rien de destinait Romain Haguenauer au patinage artistique. Elevé dans le quartier d’Ainay, dans une famille d’intellectuels, avec un père avocat et une mère institutrice, alors que son grand-père est prof de latin-grec au lycée Ampère, il découvre la glace, enfant, lors d’une sortie dominicale. Sa mère l’inscrit alors, avec sa sœur Marianne, au club local. "Mes parents ont eu l’intelligence de nous laisser vivre notre passion et de nous soutenir alors qu’ils n’étaient pas du tout sportifs.” explique Roman Haguenauer. Le frère et la soeur vont en effet former un duo de danse sur glace. Un duo assez doué puisqu’ils sont champions de France en junior, cadet... Et remplaçants au championnat d’Europe et du monde.
Mais Romain doit arrêter à 20 ans, suite aux soucis de santé de sa sœur. "Je n’ai aucun regret. Car au fond, je pense que j’étais plus entraîneur que patineur. J’avais toujours tendance à coacher ma sœur, ce qui posait quelques problèmes. Mais je n’avais par exemple aucun plaisir à faire des galas qui permettent de briller et de gagner de l’argent.” explique-t-il aujourd’hui. Il obtient un Capes d’éducation physique et sportive et commence à enseigner au collège Jean Monnet. Dans le même temps, il devient entraîneur au club de Lyon, aux côtés de Muriel Zazoui qui a fondé ce pôle majeur de la danse sur glace. Il est rapidement détaché de l’Education pour devenir entraîneur national. Ce qui permet de créer véritablement le pôle France et de faire de Lyon la capitale de la danse sur glace puisque tous les champions français en sortent. Sont présents dans ce centre, le couple Anissina-Peizerat, Delobel-Schoenfelder... "Je peux dire que j’ai formé Nathalie Péchalat et Fabien Bourzat puisque je les ai mis ensemble. J’ai aussi travaillé avec Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon.” Un couple canadien qu’il a d’ailleurs rejoint il y a un an, suivi de Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron.

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