Michael Cimino rêve d'adapter « La Condition Humaine » d'André Malraux
Michael Cimino rêve d'adapter « La Condition Humaine » d'André Malraux
On le croyait mort, le voilà revenu des enfers. Par la magie du numérique, Michael Cimino a offert une nouvelle vie à « La Porte du Paradis », son chef d'œuvre maudit qui causa, en 1981, la faillite du studio United Artists et précipita du même coup sa propre carrière dans un gouffre sans fond. Depuis la présentation de la version restaurée du film au festival de New York, en septembre dernier, il reçoit enfin, plus de trois décennies après sa sortie en salles, les honneurs qu'il mérite.
Son auteur, lui, semble sur un petit nuage. Méconnaissable depuis qu'il a troqué son physique d'italo-américain macho pour une frêle et improbable enveloppe corporelle imberbe, blonde, qu'on pourrait qualifier de féminine s'il ne l'habillait pas d'une parfaite panoplie de cowboy (chemise en jean, stetson, santiags...), il n'a rien lâché de ses obsessions. Parmi celles-ci, l'idée d'adapter « La Condition Humaine » d'André Malraux, n'est pas la moins tenace. Alors qu'il a écrit, dit-il, une trentaine de scénarios en trente ans (pour seulement quatre longs-métrages réalisés), il n'a jamais cessé de remettre celui-ci sur le tapis. Comme il le confie à ARTINFO, il espère que ce nouveau tour de piste inespéré que lui offre sa « Porte du Paradis », lui donne l'occasion de mettre le film en chantier.
« La Condition Humaine » est un projet que vous portez depuis longtemps...
J'ai écrit le scénario il y a vingt ans, et n'ai pas cessé de le travailler depuis. Personne n'a jamais voulu le financer. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. À la demande d'un de mes producteurs, j'ai travaillé avec John Briley, un Anglais qui avait reçu un Oscar pour le scénario de « Gandhi », qui était au fond assez médiocre. Plus tard j'ai écrit avec Robert Bolt, un auteur génial lui, qui avait travaillé sur « Lawrence d'Arabie ». J'ai toujours su de quoi le film allait parler, comment j'allais le raconter, pourquoi je voulais le faire. Aujourd'hui, le scénario est parfait, les ayants-droits d'André Malraux l'adorent.
Le cinéma a beaucoup résisté à ce livre.
C'est un livre de philosophie. On est dans la tête d'un jeune type qui se débat avec ses idées. Adapter « La Condition Humaine » c'est un peu comme adapter les mémoires de Cicéron. Le livre n'a pas de trame narrative. De nombreux scénarios ont été écrits -- Costa Gavras en a fait un, très mauvais d'ailleurs--, mais aucun ne tenait la route. Ils commençaient tous avec la fameuse scène d'ouverture du livre, où un homme meurt poignardé. Un scénario qui commence ainsi est condamné d'avance. On n'a aucune idée ni du pourquoi, ni du qui, ni du comment. Il n'y a aucune émotion.
Pensez-vous que vous allez tourner votre film, enfin ?
Oui. Si vous n'avez pas d'espoir vous n'avez rien
Avez-vous des acteurs en tête ?
Non. Il faut éviter de penser aux acteurs quand on écrit. Il suffit de penser à quelqu'un pour être sûr qu'on ne l'aura pas ! Et une fois qu'on vous dit non, il n'y a plus qu'à réécrire le scénario pour gommer toutes les caractéristiques qui étaient propres à cette personne et qu'on ne pourra pas transférer à une autre. Une belle perte de temps.
Qu'est ce qui vous obsède tant dans ce livre d'André Malraux ?
Je suis passionné d'histoire et de géographie. J'ai toujours aimé lire l'histoire, me plonger dans des cartes... On apprend ceci, à savoir qu'à travers les siècles, la même histoire se joue dans tous les pays du monde : des jeunes hommes donnent leur vie pour les idées de vieux imbéciles croulants. Je ne peux plus supporter cette idée.
Aux Etats-Unis, l'exemple typique c'est le Vietnam. Mais l'Irak, l'Afghanistan, c'est la même chose : des jeunes hommes, des jeunes femmes perdent leur bras, leur jambe, se font exploser la tête, tout ça pour des discours auxquels personne ne croit. Et puis au bout d'un moment, quand suffisamment de sang a coulé, que suffisamment de gens sont morts, ces enfoirés du Congrès finissent par dire "ok, il est temps de mettre un terme à tout cela".
Je ne peux pas trop parler de mon scénario, mais c'est l'idée. C'est la trajectoire de Kyo, qui est mort d'avoir trop cru les sornettes que lui inculquait son père (le professeur Gisors, un intellectuel marxiste, ndlr). A la fin, May, la femme de Kyo, met le professeur en cause en lui disant : "C'est toi qui as tué ton fils, tu es responsable de sa mort, tes idées pourries en sont la cause, tu dois porter ce fardeau..." Elle le regarde et s'en va.
Propos recueillis par Isabelle Regnier
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