HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 1995
Le paysage urbain dans la peinture au moyen-âge et à la Renaissance 12 I. La représentation du pa... more Le paysage urbain dans la peinture au moyen-âge et à la Renaissance 12 I. La représentation du paysage urbain dans l'art médiéval Mais la peinture topographique est peu à peu passée de mode dans l'empire romain, au profit de sujets plus strictement décoratifs. A partir de la fin du troisième siècle de notre ère, toute la peinture murale à fresque régresse, et, avec elle, la curiosité inhérente à la recherche d'une vision naturaliste du monde. Les peintures paléochrétiennes, ainsi que les mosaïques qui tendent à les supplanter, se plient à un goût pour la stylisation décorative, riche en couleurs, avec des formules conventionnelles et un symbolisme codé. On voit cependant encore à Rome, au début du Ve siècle, une belle mosaïque (abside de l'église de Sainte Pudentienne) représentant un Christ en majesté trônant devant un portique au-dessus duquel se déploie un décor urbain (fig 4). Ce décor représente Jérusalem : on y reconnaît la rotonde du St Sépulcre et la basilique du Martyrium, édifiées sous Constantin. Il est traité dans la tradition naturaliste de la peinture classique9: ombre et lumière, détail et variété des architectures, cohérence du rétrécissement perspectif, qui se fait vers les extrémités latérales du paysage, rappelant certains essais empiriques de perpective synthétique des IIIe et IVe styles (par exemple la fresque du mur de l'atrium de la maison l'Ara Massima, à Pompéi) ; l'effet de diminution des édifices est accentué par le contraste avec la toiture du non comme un système homogène" (La R enaissance et ses avant-courriers dans l'art d'o ccid en t, Flammarion, 1976, pp. 129-130). Tout en reconnaissant l'intérêt de son argumentation (développée surtout dans L a perspective comme fo rm e sym bolique), notamment concernant les conceptions philosophiques et mathématiques de la réalité qu'avaient les Grecs, il nous semble difficile, vu le peu d'oeuvres qui nous sont parvenues, de formuler un jugement si catégorique; la Ville avec p o rt m aritim e est, à notre avis, bien supérieure dans la cohérence spatiale à beaucoup de vues cavalières des XVIe et XVIIe siècles. Analysant une peinture du Ille style, Thétis dans l'a telier d'H ephaïstos, John White est également en désaccord avec les conclusions de Panofsky; il déclare que "Des compositions comme celle-ci prouvent qu'il est faux de dire, comme on le fait souvent, que les artistes de l'antiquité ne parvinrent jamais à coordonner dans l'espace des objets solides isolés. Les oeuvres d'art qui subsistent et les témoignages littéraires montrent qu'ils y parviennent souvent" J. White, N aissance e t R enaissance de l'espace p ictu ra l, Adam Biro, 1992, p. 294. 9 Cette tradition a été d'abord transposée dans le décor de mosaïque, sur les murs des premiers édifices chrétiens de Syrie et de Palestine; la mosaïque de Sainte Pudentienne est d'inspiration palestinienne. Le paysage urbain dans la peinture au moyen-âge et à la Renaissance 13 portique d'avant-plan qui suit la courbe concave de l'abside, et donc semble, lui, grandir sur les côtés. Avec la venue des barbares à Rome, et avec l'empire chrétien de Byzance, le désintérêt pour le réalisme pictural va croissant. Il se double d'un désintérêt pour tout ce qui n'est pas directement lié aux personnages représentés: le paysage est réduit à sa plus simple expression, et la profondeur spatiale est annulée. Pourtant la ville ne disparaît pas des représentations: on trouve d'assez nombreuses images de Jérusalem sur les mosaïques qui ornent les églises, et sur les pages des bibles, évangéliaires, et psautiers. Mais ces images deviennent ce qu'elles resteront dans l'art byzantin et dans l'art d'occident jusqu'au XIVe siècle: une représentation symbolique "compactée" à l'extrême, une sorte de pictogramme, intermédiaire entre la représentation qu'on pourrait dire "naturaliste" d'objets réels de petites dimensions, comme des maquettes ou des décors stylisés, et le dessin d'idéogrammes conventionnels, analogues à ceux du guide Michelin (ils étaient employés couramment dans la représentation cartographique du monde romain10 *). 10 Ce type de représentation, où le nombre de tours symbolise l'importance de l'agglomération, n'a jamais disparu au cours de l'histoire de la cartographie; il est particulièrement dense sur les mappemondes fantaisistes des monastères du XIIIe siècle (par exemple la carte d'Ebstorf-détruite en 1943, et la mappemonde de la cathédrale de Hereford); dans le monde romain, on le trouve employé dans les traités d'arpentage, les G rom atici (nous les connaissons par des copies du XVIe siècle); dans les cartes appelées itinéraires (là aussi les originaux ont disparu: le plus célèbre itinéraire romain, la Tabula Peutingeriana, datant du IVe siècle, nous est connu par une copie du XIIe siècle conservée à la NationalBibliothek de Vienne); et dans les documents administratifs, tels la Notilia Dignitarum, du Ve siècle; c'est un tableau administratif et militaire de lEmpire où les provinces sont schématisées par des vignettes carrées à l'intérieur desquelles les cités sont symbolisées par une enceinte généralement hexagonale, en vue cavalière, et au centre de laquelle se trouve parfois fichée une colonne. Voir C artes et fig u re s de la Terre, catalogue d'exposition du CCI, Paris, 1980, notamment l'article de Christian Jacob, pp. 104-119. 14 I. La représentation du paysage urbain dans l'art médiéval B. les villes schématiques du moyen âge L'art pictural médiéval, dominé par la représentation symbolique et conventionnelle, couvre une période de neuf siècles (Ve-XIIIe s.) ; il est donc naturel qu'il soit loin de constituer un champ homogène. Dans la représentation des villes, des différences existent selon les périodes et les lieux; mais on observe aussi une variation continuelle d'un artiste-ou d'un atelier-à l'autre, varation due à l'incertitude des procédés de figuration11 et à l'hétérogénéité des modèles qui circulent dans les abbayes. Il nous a semblé cependant qu'il était possible de les regrouper en quatre catégories: les représentations pseudo-géométrales ; les pictogrammes12 * de type "maquette" ; les enceintes vues en surplomb ; les assemblages en bandes. 1. le s représentations pseudo-géométrales Ces représentations ne sont pas très nombreuses; les plus anciennes figurent sur la mosaïque palestinienne découverte en 1896 à Madaba (fig 5), sur le sol de l'église Saint Georges, et qui remonte au milieu du VIe siècle; cette mosaïque représente une carte de la Palestine et de l'Egypte, 11 Des règles précises existent cependant pour la représentation des personnages, notamment le canon byzantin; voir Panofsky, L 'o e u v re d'art e t ses significations, Gallimard, 1969, p 72 sq. 12 Lavedan parle d"'idéogrammes urbains"; voir Lavedan, R eprésentation des villes dans l'a rt du M oyen A g e, éd. Vanoest, 1954 20 Parmi les plus significatives: "le possédé de Gerasa"; "les trois tentations du Christ"; "la décollation du Baptiste"; "les fils de Zébédée";"la guérison du jeune homme épileptique". Cf. D as E vangeliar K aiser O tto I I I im D om schatz zu A achen, Fribourg-en-Brisgau, 1984. Au début du XIe siècle, on trouve des représentations analogues dans les E vangiles de Lim bonrg de Reichenau (par exemple le feuillet de la guérison du lépreux ; Cologne, Erzbischôfliche, Diôzesanbibliothek).
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 1995
Le paysage urbain dans la peinture au moyen-âge et à la Renaissance 12 I. La représentation du pa... more Le paysage urbain dans la peinture au moyen-âge et à la Renaissance 12 I. La représentation du paysage urbain dans l'art médiéval Mais la peinture topographique est peu à peu passée de mode dans l'empire romain, au profit de sujets plus strictement décoratifs. A partir de la fin du troisième siècle de notre ère, toute la peinture murale à fresque régresse, et, avec elle, la curiosité inhérente à la recherche d'une vision naturaliste du monde. Les peintures paléochrétiennes, ainsi que les mosaïques qui tendent à les supplanter, se plient à un goût pour la stylisation décorative, riche en couleurs, avec des formules conventionnelles et un symbolisme codé. On voit cependant encore à Rome, au début du Ve siècle, une belle mosaïque (abside de l'église de Sainte Pudentienne) représentant un Christ en majesté trônant devant un portique au-dessus duquel se déploie un décor urbain (fig 4). Ce décor représente Jérusalem : on y reconnaît la rotonde du St Sépulcre et la basilique du Martyrium, édifiées sous Constantin. Il est traité dans la tradition naturaliste de la peinture classique9: ombre et lumière, détail et variété des architectures, cohérence du rétrécissement perspectif, qui se fait vers les extrémités latérales du paysage, rappelant certains essais empiriques de perpective synthétique des IIIe et IVe styles (par exemple la fresque du mur de l'atrium de la maison l'Ara Massima, à Pompéi) ; l'effet de diminution des édifices est accentué par le contraste avec la toiture du non comme un système homogène" (La R enaissance et ses avant-courriers dans l'art d'o ccid en t, Flammarion, 1976, pp. 129-130). Tout en reconnaissant l'intérêt de son argumentation (développée surtout dans L a perspective comme fo rm e sym bolique), notamment concernant les conceptions philosophiques et mathématiques de la réalité qu'avaient les Grecs, il nous semble difficile, vu le peu d'oeuvres qui nous sont parvenues, de formuler un jugement si catégorique; la Ville avec p o rt m aritim e est, à notre avis, bien supérieure dans la cohérence spatiale à beaucoup de vues cavalières des XVIe et XVIIe siècles. Analysant une peinture du Ille style, Thétis dans l'a telier d'H ephaïstos, John White est également en désaccord avec les conclusions de Panofsky; il déclare que "Des compositions comme celle-ci prouvent qu'il est faux de dire, comme on le fait souvent, que les artistes de l'antiquité ne parvinrent jamais à coordonner dans l'espace des objets solides isolés. Les oeuvres d'art qui subsistent et les témoignages littéraires montrent qu'ils y parviennent souvent" J. White, N aissance e t R enaissance de l'espace p ictu ra l, Adam Biro, 1992, p. 294. 9 Cette tradition a été d'abord transposée dans le décor de mosaïque, sur les murs des premiers édifices chrétiens de Syrie et de Palestine; la mosaïque de Sainte Pudentienne est d'inspiration palestinienne. Le paysage urbain dans la peinture au moyen-âge et à la Renaissance 13 portique d'avant-plan qui suit la courbe concave de l'abside, et donc semble, lui, grandir sur les côtés. Avec la venue des barbares à Rome, et avec l'empire chrétien de Byzance, le désintérêt pour le réalisme pictural va croissant. Il se double d'un désintérêt pour tout ce qui n'est pas directement lié aux personnages représentés: le paysage est réduit à sa plus simple expression, et la profondeur spatiale est annulée. Pourtant la ville ne disparaît pas des représentations: on trouve d'assez nombreuses images de Jérusalem sur les mosaïques qui ornent les églises, et sur les pages des bibles, évangéliaires, et psautiers. Mais ces images deviennent ce qu'elles resteront dans l'art byzantin et dans l'art d'occident jusqu'au XIVe siècle: une représentation symbolique "compactée" à l'extrême, une sorte de pictogramme, intermédiaire entre la représentation qu'on pourrait dire "naturaliste" d'objets réels de petites dimensions, comme des maquettes ou des décors stylisés, et le dessin d'idéogrammes conventionnels, analogues à ceux du guide Michelin (ils étaient employés couramment dans la représentation cartographique du monde romain10 *). 10 Ce type de représentation, où le nombre de tours symbolise l'importance de l'agglomération, n'a jamais disparu au cours de l'histoire de la cartographie; il est particulièrement dense sur les mappemondes fantaisistes des monastères du XIIIe siècle (par exemple la carte d'Ebstorf-détruite en 1943, et la mappemonde de la cathédrale de Hereford); dans le monde romain, on le trouve employé dans les traités d'arpentage, les G rom atici (nous les connaissons par des copies du XVIe siècle); dans les cartes appelées itinéraires (là aussi les originaux ont disparu: le plus célèbre itinéraire romain, la Tabula Peutingeriana, datant du IVe siècle, nous est connu par une copie du XIIe siècle conservée à la NationalBibliothek de Vienne); et dans les documents administratifs, tels la Notilia Dignitarum, du Ve siècle; c'est un tableau administratif et militaire de lEmpire où les provinces sont schématisées par des vignettes carrées à l'intérieur desquelles les cités sont symbolisées par une enceinte généralement hexagonale, en vue cavalière, et au centre de laquelle se trouve parfois fichée une colonne. Voir C artes et fig u re s de la Terre, catalogue d'exposition du CCI, Paris, 1980, notamment l'article de Christian Jacob, pp. 104-119. 14 I. La représentation du paysage urbain dans l'art médiéval B. les villes schématiques du moyen âge L'art pictural médiéval, dominé par la représentation symbolique et conventionnelle, couvre une période de neuf siècles (Ve-XIIIe s.) ; il est donc naturel qu'il soit loin de constituer un champ homogène. Dans la représentation des villes, des différences existent selon les périodes et les lieux; mais on observe aussi une variation continuelle d'un artiste-ou d'un atelier-à l'autre, varation due à l'incertitude des procédés de figuration11 et à l'hétérogénéité des modèles qui circulent dans les abbayes. Il nous a semblé cependant qu'il était possible de les regrouper en quatre catégories: les représentations pseudo-géométrales ; les pictogrammes12 * de type "maquette" ; les enceintes vues en surplomb ; les assemblages en bandes. 1. le s représentations pseudo-géométrales Ces représentations ne sont pas très nombreuses; les plus anciennes figurent sur la mosaïque palestinienne découverte en 1896 à Madaba (fig 5), sur le sol de l'église Saint Georges, et qui remonte au milieu du VIe siècle; cette mosaïque représente une carte de la Palestine et de l'Egypte, 11 Des règles précises existent cependant pour la représentation des personnages, notamment le canon byzantin; voir Panofsky, L 'o e u v re d'art e t ses significations, Gallimard, 1969, p 72 sq. 12 Lavedan parle d"'idéogrammes urbains"; voir Lavedan, R eprésentation des villes dans l'a rt du M oyen A g e, éd. Vanoest, 1954 20 Parmi les plus significatives: "le possédé de Gerasa"; "les trois tentations du Christ"; "la décollation du Baptiste"; "les fils de Zébédée";"la guérison du jeune homme épileptique". Cf. D as E vangeliar K aiser O tto I I I im D om schatz zu A achen, Fribourg-en-Brisgau, 1984. Au début du XIe siècle, on trouve des représentations analogues dans les E vangiles de Lim bonrg de Reichenau (par exemple le feuillet de la guérison du lépreux ; Cologne, Erzbischôfliche, Diôzesanbibliothek).
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